Becca Stevens, la song-writer surdouée qui abolit les frontières musicales
À 33 ans, Becca Stevens possède une solide réputation en tant qu'artiste solo, qui lui vaut bien des admirateurs dans le monde du jazz, à commencer par l'ensemble Snarky Puppy et le trompettiste Ambrose Akinmusire qui l'invitent tant sur leurs albums que sur scène, alors que Kurt Elling la cite parmi ses chanteuses préférées. Née le 14 juin 1984, originaire de Caroline du Nord, la musicienne vit aujourd'hui à Brooklyn.
David Crosby, Jacob Collier, Laura Mvula invités de "Regina"
Son dernier album, "Regina", tourne autour de la thématique de la reine ("regina" en latin). L'artiste trentenaire y dévoile son écriture très personnelle, sa voix chaleureuse et volontaire, et réunit des invités de marque comme le song-writer David Crosby ainsi que des artistes de sa génération, tels que les Britanniques Jacob Collier et Laura Mvula qui aiment comme elle faire voler les frontières musicales en éclats.Enregistré sous la houlette de Troy Miller, producteur londonien réputé, co-produit notamment par Michael League, leader de Snarky Puppy, le disque comporte des compositions originales à l'exception d'une reprise, le célèbre "As" de Stevie Wonder, chanté en duo avec Jacob Collier. Becca Stevens signe la plupart des textes, inspirés parfois de ses lectures. Elle a également sollicité la contribution de David Crosby et reprend enfin un texte de Shakespeare.
Tard ce mardi soir, Becca Stevens se produit dans le cadre de Jazz à Vienne. Puis, mercredi 12 et jeudi 13 juillet, c'est la capitale qui l'accueillera pour deux soirées, deux sets par soir, au Duc des Lombards.
- Culturebox : Comment est né l'album "Regina" ? Je crois que tout a commencé par une commande d'une institution new-yorkaise du jazz, la Jazz Gallery...
- Becca Stevens : La Jazz Gallery est une organisation à but non lucratif qui aide des musiciens basés à New York à créer de la musique. Elle fonctionne sur les dons. Beaucoup d’incroyables musiciens new-yorkais de jazz ont pu faire leurs débuts grâce à elle. Chaque année, elle choisit trois artistes locaux à qui elle commande de la musique. À l’époque, je ne savais pas que mon projet aboutirait à un disque. Mais je savais que je devais l’écrire rapidement. Aussi j’ai cherché un thème qui m’aiderait à trouver de l’inspiration, mais je voulais aller plus loin dans l'écriture et dans cette thématique. À la suite du concert de création, j’ai su que ce projet serait plus important qu’une simple commande.
- Pourquoi le thème de la reine ?
- À l’époque, j’étais très inspirée par la reine Elizabeth 1re, ainsi que par Shakespeare. Je regardais des vidéos et je lisais un tas de documents sur cette souveraine, et quelque chose a déclenché une inspiration. Au début, j'ai pensé à toutes les reines, en premier lieu les reines de l’Histoire. Puis j’ai commencé à me sentir limitée par ce thème. J’ai réalisé que c’était davantage l’énergie, l’intention autour du mot, qui m’inspiraient. Alors, j’ai laissé cette thématique cheminer et évoluer autour des qualités que je pourrais incarner, dans l’écriture et la performance.
- Dans une vidéo de présentation de l'album, vous expliquez que Regina a fini par devenir une sorte d'alter ego...
- C'est quelque chose de fluctuant... Parfois, j'ai l'impression que cet alter ego existe en dehors de moi et que nous collaborons... Et parfois, j'ai la sensation que Regina existe en moi, et ça me rend plus forte. Enfin, parfois, je ne sais même pas... Je pense que je commence à ressentir de plus en plus qu'elle fait partie de moi.
- Vous avez écrit toute la musique, à l’exception de la chanson "As" de Stevie Wonder. Pourquoi ce choix, et quel lien avec la thématique initiale ?
- Pour moi, "As" représente la chanson de l’amour ultime, inconditionnel. C’est comme une mère berçant son bébé, il y a quelque chose de magnifique, de l’ordre de la Mère Nature, une mère nourricière d’une grande force à mes yeux. J’ai imaginé une reine qui posséderait ces mêmes qualités nourricières, d’attention, d’amour.
- Michael League, fondateur et leader de Snarky Puppy, a produit une partie de votre album...
- Il y a deux ans, j'ai chanté sur l'album de Snarky Puppy "Family Dinner - volume 2". C'est à cette occasion que j'ai rencontré Jacob (Collier), David (Crosby) et Laura (Mvula) qui étaient également invités sur ce disque. Je crois que ma première rencontre avec Michael League remonte à 2008. Mais c'est vraiment à la suite de ce disque, au cours des deux dernières années, que j'ai appris à le connaître.
- Deux ans plus tard, les invités de cet album se retrouvent sur votre propre disque, à commencer par David Crosby, véritable légende depuis l'époque Crosby, Stills and Nash ! Aviez-vous de l'admiration pour son travail avant de le connaître ?
- Je n'ai pas grandi avec ces musiques. Dans ma génération, beaucoup de gens ont été bercés par ces chansons parce que leurs parents les écoutaient tout le temps. Mon père, très éclectique, écoutait de la world music, du classique. Dans ma jeunesse, je n'ai pas entendu beaucoup de pop. Du coup, quand j'ai rencontré David, lors d'un dîner familial, je ne le connaissais que de nom, même si je savais qui il était. J'ai bien sympathisé avec lui et avec sa famille.
Un jour, alors que je répétais une chanson, il est venu me voir juste après : "C'était incroyable ! On devrait écrire quelque chose ensemble !" Je ne l'ai pas pris au sérieux : "Ah ouais, David Crosby, pourquoi pas !" Il a été au bout de se démarche. Il m'a envoyé un mail contenant des fichiers de textes. J'en ai choisi un que j'ai mis en musique, ça s'appelle "The Muse". Ça lui a plu et il a mis sa version de la chanson sur son album "Lighthouse", retitrée "By the light of common day". Nous avons continué à écrire de la musique ensemble. J'ai été invitée à partir en tournée avec son groupe en 2016. Sur scène, il a une force incroyable, une énergie qui enveloppe tout l'espace. Son sens de l'humour et sa musicalité sont stupéfiants. Puis j'ai assisté à un concert de Crosby, Stills and Nash. J'ai reconnu plein de choses et je me suis dit : "C'est donc de là que viennent toutes ces chansons !" J'ai commencé à prendre conscience de sa stature, mais je n'ai pas laissé cet aspect éclipser la relation que nous avions développée.
- Vous appartenez à une génération de brillants musiciens au sein de laquelle nombreux sont ceux qui, comme vous, brisent les frontières entre les genres musicaux. Cela ne doit pas aller sans difficultés ni résistances, dans un monde où on a encore besoin d'étiquettes...
- Bien sûr. Je suis confrontée à cela depuis le début de ma carrière. Ça ne m'ennuie plus tant que ça, aujourd'hui [elle soupire]. Parce que je crois en ce que je fais, et parce que je rencontre du succès en suivant ce que me dicte mon cœur. Je sais qu'il y aura toujours des gens qui apprécieront de voir des musiciens faire des choses nouvelles, et d'autres à qui ça ne plaira pas [elle sourit].
- Quel bilan tirez-vous du travail réalisé sur "Regina" ?
- J'ai l'impression que ce travail m'a ouverte sur une nouvelle dimension de moi-même. Tout ce qui concerne ce projet, en termes d'écriture et de performance, a apporté du positif dans ma vie. Les graines de ce projet, qui incluaient force et divinité, étaient très puissantes. Tout semble s'être accéléré pour moi depuis. J'espère que dans mon évolution artistique future, ça se passera toujours comme ça, comme une fleur en perpétuelle éclosion.
Becca Stevens en concert
Mardi 11 juillet 2017, 0h30, Jazz à Vienne
Mercredi 12 juillet, 19h30 et 21h30, à Paris, au Duc des Lombards
Jeudi 13 juillet, 19h30 et 21h30, à Paris, au Duc des Lombards
> L'agenda-concert de Becca Stevens
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