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Baptiste Trotignon présente «Song song song», hymne à la voix, à Paris

Voyage dans l'univers de la chanson, à travers le temps et l'espace, différentes cultures. C'est ce à quoi nous convie le pianiste Baptiste Trotignon dans l'un des albums-événements de la rentrée. Un disque réalisé avec des invités de prestige : Mônica Passos, Miossec, Jeanne Added, Melody Gardot pour les voix (et textes), Minino Garay aux percussions. Baptiste Trotignon nous en raconte la genèse.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
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Publié
Temps de lecture : 18min
Baptiste Trotignon au piano, chez lui en banlieue parisienne (20/9/2012)
 (Annie Yanbékian)

Une année faste ! C'est certainement le souvenir que 2012 laissera à Baptiste Trotignon, touche-à-tout virtuose de 38 ans, après les nombreux projets menés à bien depuis environ un an. La parution fin septembre de « Song song song » en constitue l'un des points d'orgue. Mais l'on peut citer aussi sa participation décisive au somptueux « Art of dreaming » du saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, ou encore l'écriture d'une oeuvre de musique classique qui sera créée en novembre à Bordeaux par le pianiste Nicholas Angelich.

Depuis longtemps, Baptiste Trotignon rêvait de réaliser un disque célébrant l'art particulier de la chanson et du chant, celui de la voix mais aussi celui du piano. Le disque est intitulé « Song song song »‏ (« song » signifie « chanson »‏‏), clin d'oeil au « Sing sing sing »‏ de Louis Prima, standard popularisé par Benny Goodman. Il renferme onze miniatures, dont une majorité de compositions signées Trotignon. Et des textes de Jeanne Added, Mônica Passos et Christophe Miossec. Le disque comporte aussi des reprises, uniquement jouées au piano, de célèbres chansons (Brel, Gainsbourg, Barbara, Nougaro), et un lied (mélodie chantée, composée sur un poème) de Franz Schubert (1797-1828).
 


La rencontre

Nous avons rendu visite à Baptiste Trotignon chez lui, dans le Val-de-Marne, près de Paris, le 20 septembre. Avec humour et tendresse, il nous a parlé de chacun des artistes invités sur le disque, et bien sûr des chansons de cet album qui lui tient à coeur.


- Culturebox : Un album ne comportant que des morceaux courts (de 2mn41 à 6mn10), cela n'est pas très courant pour un jazzman !
- Baptiste Trotignon : Cet album comble un besoin d'une certaine légèreté, même s'il a été assez complexe à réaliser, vu la diversité des énergies à gérer... Légèreté quant aux morceaux qui sonnent comme des chansons. Légèreté dans les formats courts, si on les compare à la loquacité du jazzman ! J'aime aussi cet intense bavardage du jazzman qui va longuement improviser. Je le fais sur scène et j'adore ça. Mais cela a un côté reposant et jouissif de peaufiner un petit miniature, un petit tableau, comme un peintre ou un sculpteur, un objet défini, plutôt que quelque chose d'éphémère comme l'improvisation. Depuis une douzaine d'années que je fais des albums, c'est peut-être celui où je suis, le plus fortement, mon propre directeur artistique. J'aime bien contrôler l'ensemble de la chose, un peu comme un réalisateur de films qui aime avoir son final cut...
 


- Parlons des artistes invités. Commençons par Jeanne Added, qui chante sur « Awake », ‏« End of the gig »‏ et le lied de Schubert, « Du bist die ruh ».‏
- Au départ, je l’avais entendue chanter dans des contextes jazzistiques. Je l’ai réentendue plus tard chanter des choses un peu explosées, mais aussi des chansons françaises. Elle s’éloigne progressivement du jazz pour aller vers un truc très rock, voire grunge, ce qu’elle fait avec beaucoup de talent. Elle a toujours cette émotion dans le timbre de sa voix, qui est très personnel, pertinent et émouvant. Quand je l’ai entendue chanter, ça m’a ému, tout simplement.

- Quelques mots de votre part pour décrire Jeanne Added ?
- Jeanne possède un mélange d’énergie brute un peu sauvage, rock’n roll, un côté un peu garçonne dans son énergie. Et en même temps, il y a une vraie précision, un vrai raffinement qu’elle aime bien cacher, peut-être parce qu’elle trouve que ça ne fait pas assez rock’n roll ! Il n’empêche qu’elle possède une réelle rigueur, une précision d’orfèvre dans sa façon de faire de la musique.
 


- Jeanne Added a signé les paroles des deux morceaux qu’elle chante en anglais...
- Pour ces chansons, comme pour celle que Mônica Passos chante en portugais, il s'agit de morceaux qui existaient déjà en version instrumentale, et que j’avais joués en solo ou en trio. J'ai fait écouter certaines compositions à Jeanne. Elle a retenu ces deux-là et a décidé d'y adjoindre des paroles. C’est un travail d’orfèvre assez précis, que Jeanne et Mônica savent faire, qui consiste à coller, pied pour pied, note pour note, mot pour mot, à une mélodie déjà imposée, dessinée. Moi-même, je ne l’ai jamais fait.

- Mônica Passos a donc écrit les paroles de « Choro da cigarra », qu'elle chante en portugais...
- J'avais composé « Choro da cigarra » en revenant d'une tournée au Brésil, étant très imbibé de cette musique, parce que ce pays respire la musique. Cette mélodie m'était venue dans l'avion. Je l'avais notée, puis peaufinée de retour à la maison. Au moment de préparer l’album, j’entendais vraiment quelque chose de vocal sur cette mélodie, si possible avec un texte pour l’anoblir et le transformer en chanson. J’ai pensé à Mônica. Il s’agit d’une mélodie très rythmique, très découpée. Elle a écrit une histoire extraordinaire en portugais, un texte très engagé, assez rigolo… Mônica, je la connais depuis un certain temps, et à titre un peu personnel, elle s'entend bien avec ma femme. Mais nous n’avions jamais donné de concert ensemble.

Un peu de détente...
 (Annie Yanbékian)
- Pas de paroles en revanche sur « Gone », très beau morceau auquel Mônica Passos prête juste sa voix... et vous aussi !
- L’idée d'accoler deux voix sur ce morceau m’est venue l'hiver dernier lors de ma tournée en Amérique latine, en découvrant cet auteur-compositeur brésilien, incroyable, qui s’appelle Guinga. Ce qu'il compose est extraordinaire ! Mônica me disait qu’il était dentiste et qu'il s’était mis à chanter ses compositions parce qu’il n’y avait personne d'autre pour le faire ! Sur « Gone », j’entendais quelque chose de vocal. C'est d'ailleurs quelque chose qui arrive souvent avec mes morceaux. Cela me paraît important de le souligner, car c'est aussi pour ça que j'avais envie de faire ce disque. Pour « Gone », j'ai eu l'idée d'un morceau à deux voix, donc une vraie chanteuse, une vraie voix, Mônica, et moi, un peu sous-mixé derrière. Même si je ne suis pas chanteur, le timbre des deux voix est intéressant, et j'étais très excité de le faire. Et puis, il en y a tellement qui chantent mal... alors pourquoi pas moi !

- Quelques mots pour décrire Mônica Passos ?
- Mônica symbolise à la fois cette exubérance et cette fierté qui se trouvent dans l'âme brésilienne, âme que j'aime profondément. Et en même temps, elle est faussement cinglée ! (rires) Elle est très cultivée, consciente de beaucoup de choses, spirituelle aussi... Elle a une présence charismatique et tonitruante. Elle a une palette qui peut aller de choses très violentes à très intimistes, un peu à l'image de l'album. J'aime les artistes qui fonctionnent avec cette ubiquité émotionnelle. Moi-même, je ne peux pas m'empêcher de proposer des choses comme ça.
Melody Gardot le 17 juillet 2009 à Montreux, en Suisse
 (Fabrice Coffrini / AFP)
- Comment Melody Gardot s'est-elle retrouvée sur ce projet (elle chante sur « Mon fantôme »‏) ?
- On s'est rencontré par hasard, il y a environ deux ans, un dimanche après-midi chez une amie commune, qui est auteure et voulait lui faire essayer une chanson. Il n'y avait que nous trois, à l'écart de toute l'agitation médiatique que Melody suscite autour d'elle. C'était à cette époque que je composais « Mon fantôme » à partir d'un texte de Christophe Miossec. Lors d'une pause, j'ai tâtonné ce morceau au piano, et elle a tout de suite flashé sur la mélodie. On est resté en contact. Elle voulait mettre la chanson sur son album, mais ça ne collait pas à la thématique plutôt sud-américaine du disque. Plus tard, quand j'ai décidé de faire mon album, elle a accepté tout de suite d'y participer. Son planning était chargé, mais ça s'est calé une semaine avant l'enregistrement. Elle est très professionnelle. L'enregistrement s'est passé de manière très simple, elle connaissait la chanson, elle était très soucieuse des détails de prononciation.

- Quelques mots pour décrire Melody Gardot ?
- C'est une grande musicienne que j'estime beaucoup. Ce n'est pas un coup de marketing d'une maison de disques, malgré tout l'amoncellement médiatique, le look... Quand je la vois, je lui dis : « Qu'est-ce que tu fous avec ta perruque ? Enlève ça, c'est ridicule ! » (rires) On se voit plus souvent sur Skype. Un jour, je lui ai dit : « Tu devrais faire une pochette de disque comme "War" de U2, avec un gamin, un truc un peu cru. » C'est assez paradoxal, cette image très sophistiquée, diva... Mais quand il s'agit de travailler une chanson, elle a une vraie rigueur de musicienne. Pour moi, elle incarne la descendance artistique de grandes jazzwomen qui ont poussé l'art du phrasé très loin. Je pense à Billie Holiday, Blossom Dearie, Elis Regina (dont Melody est complètement amoureuse). Je pense aussi à João Gilberto. Elle a aussi un truc très personnel dans la façon dont elle timbre, dans le phrasé, le vibrato... C'est flagrant dans les seize mesures où elle improvise, sur le disque. Elle sait faire des choses très émouvantes, belles, précises. Parmi les jeunes chanteuses de jazz américaines, c'est l'une des rares qui ait du goût dans ce qu'on appelle le scat, l'improvisation vocale, qui souvent m'ennuie profondément... Quelques génies l'ont tellement bien fait dans le passé, comme Ella Fitzgerald ou Sarah Vaughan.
Christophe Miossec le 25 janvier 2012 à Reims, à la Cartonnerie
 (François Nascimbeni / AFP)
- Que vient faire Christophe Miossec au milieu de toutes ces voix féminines (il chante sur « Palavas-les-Flots », en plus d'être l'auteur du texte de « Mon fantôme ») ‏?
- Au départ, en effet, je pensais uniquement faire intervenir des voix féminines sur l'album. Je connais Christophe depuis environ deux ans. Quelqu'un nous avait présentés pour nous proposer d'écrire des chansons ensemble, sans destination précise. Le feeling est bien passé. Après, je l'ai invité sur scène au Printemps de Bourges. Depuis, on n'a pas cessé d'écrire des chansons ensemble, en filigrane par rapport à nos activités. Un mois et demi avant l'enregistrement de l'album, j'ai pensé que c'était dommage de se priver de sa participation. Il a tout de suite accepté.‏ Le titre que chante Melody, c'est un texte de Christophe, à partir duquel j'ai fait la musique de A à Z. En revanche, « Palavas-les-Flots » était un travail en work in progress, où il y existait un texte déjà amorcé... Je suis parti sur une atmosphère, il s'est mis à fredonner un truc, je l'ai guidé un peu au piano... Un vrai travail de composition instantanée à deux, ce que je n'avais jamais fait.

- Quelques mots sur Miossec ?
- J'ai découvert un auteur vraiment inspiré, même si effectivement, il est aussi chanteur. Mais lui-même ne se décrit pas spécialement comme un chanteur. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il s'est mis à chanter pour faire vivre ses textes, d'abord. C'est réellement un littéraire. Dans « Palavas-les-Flots »‏, il fait montre de beaucoup d'humour. Il y a un humour sombre et une forme d'ironie. Au premier degré, c'est glauque au possible ! Mais il y a aussi du détachement, et qui dit détachement dit apaisement. C'est un texte assez cruel dans sa lucidité. Quand je l'ai lu, j'ai éclaté de rire, j'adore ! Souvent, les textes de Christophe ne caressent pas vraiment dans le sens du poil. Et ça fait du bien ! Le titre initial du morceau était « La peur du vide ». Au dernier moment, avant de partir à l'impression, Christophe a suggéré le titre « Palavas-les-Flots », un nom qui n'apparaît pas dans la chanson. J'ai trouvé ça génial ! (il éclate de rire) Ça nous a peut-être "grillés" là-bas pour un futur concert...
Minino Garay
 (DR)
- Parlons enfin de Minino Garay, invité en tant que percussionniste, notamment sur le morceau d'ouverture, « La répétition »‏...
- C'est aussi quelqu'un que j'ai croisé sur la scène jazz ces deux dernières années. Minino, je l'adore. J'avais envie de m'ouvrir sur les musiques du monde et sortir du carcan jazzistique, même si je reste profondément attaché à la tradition afro-américaine du jazz. C'est très excitant de se confronter à quelqu'un comme Minino, qui connaît très bien certaines traditions rythmiques et populaires des musiques d'Amérique du Sud. On a fait des concerts en duo, moi au piano, lui au cajón, un instrument extraordinaire. C'est une belle rencontre. Minino apporte quelque chose de très personnel dans l'album. Il est présent sur trois morceaux. Sur le premier, « La répétition », il fait de la percussion corporelle, sur le torse nu, et de la percussion vocale, voix grave contre le micro. Il utilise aussi des petits instruments de percussions. « La répétition » est un morceau que j'ai écrit d'un trait, quasiment improvisé, en dix minutes.

- Pourquoi avoir choisi de jouer, strictement au piano, des monuments de la chanson francophone (« Ne me quitte pas »‏, « La Javanaise » et « Ma plus belle histoire d'amour »‏) ?
- Cela fait longtemps que j'aime défendre cette idée que le piano, qui est mon instrument, puisse être, en plus d'un instrument harmonique et rythmique, un instrument vocal, exprimant et dessinant des mélodies. J'ai donc choisi des chansons françaises -le reste du disque étant déjà suffisamment bariolé !- qui ont un pouvoir évocateur assez fort dans la mélodie. Cette dimension, très naturelle pour les interprètes classiques, est moins fréquente dans le jazz. De par l'obsession du rythme et du groove dans le jazz -ce qui est très bien !- on perd parfois la dimension vocale du piano. L'idée de faire de manière plus affichée quelque chose qui, jusque-là, était seulement sous-entendu dans mes albums, était un cap qu'il me fallait franchir.
 

- Pourquoi ce final avec Franz Schubert ( « Du bist die ruh »‏ ) ?
- Pourquoi pas ? (rires) J'ai une formation classique et j'écoute toujours beaucoup de musique classique. Au printemps dernier, Jeanne Added et moi avons donné notre premier concert ensemble. Je l'avais entendue chanter un autre lied de Schubert. Du coup, on en a cherché un deuxième, on l'a joué sur scène, ça s'est très bien passé et je l'ai gardé pour l'enregistrement. Je trouvais que c'était un joli pied de nez, après tous ces grooves différents (brésilien, pop, chanson française, swing), de conclure ce disque presque oecuménique par un clin d'oeil à quelqu'un qui a magnifié l'art de la chanson à l'Européenne, à l'époque du romantisme allemand... qui plus est un morceau où il n'y a pas de groove !

(propos recueillis par A.Y.)

> Revoir Baptiste Trotignon et Minino Garay en live dans Ce soir ou jamais (France 3, 2 octobre 2012)
Baptiste Trotignon en « répétition »‏...
 (Annie Yanbékian)
Toutes les dates de concerts de Baptiste Trotignon ici (dont celles du Duc des Lombards, à Paris, les 17, 18 et 19 janvier 2013)

Baptiste Trotignon au Café de la Danse, à Paris
Avec Jeanne Added (chant), Mônica Passos (chant), Minino Garay(percussions)
Thomas Bramerie (basse)
Dré Pallemaerts (batterie)
"Et peut-être une charmante surprise", selon la page Facebook du pianiste...
Jeudi 11, vendredi 12 octobre 2012, 20H30
5, passage Louis Philippe
75011 Paris
Tél. 01 47 00 57 59 ou réservation en ligne ici


Création de son Concerto pour piano et orchestre "Different Spaces"
Opéra national de Bordeaux
Jeudi 15, vendredi 16 novembre 2012, 20H
Nicholas Angelich, soliste
Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine
Direction Jonathan Darlington
Les infos ici

En concert avec Jacques Schwarz-Bart le 27 octobre à Tourcoing
Dans le cadre du Tourcoing Jazz Festival (album « The Art of dreaming »‏)

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