Il y a 20 ans, Frank Zappa se taisait et ne jouait plus de sa guitare
Zappa. Pour les inconditionnels, pas besoin de prénom. Zappa suffit. Deux syllabes qui sonnent comme un pseudonyme et qui composent pourtant le vrai nom de Frank Vincent Zappa, né en 1940 dans une famille italo-franco-américaine de Baltimore. Il grandit pourtant en Californie et montre très tôt un intérêt pour la musique, pour les groupes de l'époque bien sûr, mais également pour des compositeurs d’un abord moins évident comme Edgard Varese ou Stravinski.
Reportage : T. Brehier, V. Bars, Ph Kocheleff, J. Benard
Freak out!
C’est en 1966, en pleine vague psychédélique, que Frank Zappa publie son premier album avec son groupe, les Mothers of Invention. Inutile de chercher dans « Freak out! » les ballades acidulées et les refrains peace and love qui font alors les belles soirées du summer of love. D’emblée, il faut le reconnaître: Zappa ne s’offre pas. Aucun de ses morceaux n’apparaît de prime abord comme d’une claire évidence. Il faut parfois faire preuve de ténacité pour pénétrer son œuvre. Et cela, dés le premier album.
De A jusqu’à Z !
Pétri de jazz, de musique expérimentale, jamais dupe des idéologies, aussi bon auteur que compositeur Frank Zappa ne laisse jamais à autrui le soin de produire ses albums. Dés le premier, c’est lui qui est aux manettes. Au fil des années, il composera pendant 33 ans, il publiera des heures de musique, parfois jazz, parfois rock, parfois plus expérimentale et contemporaine, parfois gag, mais il assumera toujours l’ensemble de la production.
Un humour décapant
Aux qualités artistiques qui font de lui l’une des personnalités les plus passionnantes et parfois les plus hermétiques, il faut absolument ajouter l’humour. Un humour parfois potache, souvent grivois, toujours irrespectueux. C’est bien lui, avec les Mothers of Invention, qui a publié un album illustré par un pastiche de la célèbre couverture de « Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles et portant le titre « We’re only in it for the money » (On n’est là-dedans que pour faire de l’argent ). N’est-ce pas lui qui, déguisé en dignitaire arabe, posait sur la couverture de l’exceptionnel album « Sheik Yerbouti », jeu de mot détourné d’une phrase alors en vogue dans les milieux disco « Shake your booty » (remue ton corps) ? Il se moque tour à tour de Bob Dylan, des télévangélistes, de la scientologie et des politiciens de droite, liste non exhaustive. Pour donner un exemple de son humour, à un contradicteur porteur d’une jambe de bois qui, dans une émission de télévision, venait de lui asséner : " A en croire votre chevelure, j’en conclus que vous être une fille", il répondit du tac au tac : "A en juger par votre jambe, j’en conclus que vous êtes une table" !
Un exemple graphique de l'humour Zappa ? Tentez d'interpréter la pochette de l'album "Ship arriving too late to save a drowning witch" dont est extraite cette chanson, "Valley girl" co-interprétée par Frank Zappa et sa fille. Une exigence exceptionnelle
La technique d’enregistrement de Frank Zappa commençait souvent par la scène. Lors de ses tournées internationales, il interprétait des morceaux pas encore publiés pour les travailler ensuite en studio, rajoutant des solos de guitares, collant des extraits d’autres concerts, mélangeant les pistes. Il expérimentait également des rythmes très éloignés du binaire en vogue dans le rock. Pour les spécialistes, il allait même jusqu’à utiliser des combinaisons en 9/4 ou en 23/8 très complexes. Inutile alors de préciser que cet artiste ultra exigeant avec lui-même s’entourait des meilleurs musiciens du moment : Terry Bozzio, Vinnie Colaïuta, George Duke ou Jean-Luc Ponty, pour s’en tenir à ceux-là.
Sur scène
Les concerts de Frank Zappa étaient toujours uniques. En montant sur scène, s’il savait grosso modo quels morceaux il allait interpréter, il laissait l’ambiance et son envie du moment lui dicter comment il allait les jouer. Les musiciens très aguerris à sa manière de procéder suivaient un code gestuel du maître : tel position de la main signifiait qu’il fallait attaquer le morceau en reggae, un autre que le ton serait au hard rock ou à l’ambiance jazzy. Il n’y avait jamais aucun temps mort, les morceaux s’enchaînaient sans aucune respiration et les solos de guitare pouvaient parfois se muer en de véritables exploits quasi sportifs. Quant à Zappa, il pouvait passer plusieurs minutes à jouer en tournant le dos au public pour mieux diriger son groupe. Il agissait ainsi tout à fait comme un chef d’orchestre, tout en fumant ses éternelles Winston qu’il coinçait en haut de sa Gibson entre deux bouffées..
Toujours plus loin
Jouant sous son propre nom, Franz Zappa évolue vers des contrées musicales de plus en plus expérimentales, allant jusqu’aux confins de l’hermétisme le plus abscons comme dans « The yellow shark », son dernier album en 1993. Le rocker, toujours à la recherche de la musique à inventer, finira par cotoyer Pierre Boulez. Aujourd'hui ses deux fils, Dweezil Zappa et Ahmet Zappa continuent l'aventure paternelle en reprenant ses morceaux lors de concerts communs ou en solo, mais également en composant eux-mêmes des oeuvres parfaitement dans la continuité de celle de leur père.
Une discographie d’une incroyable richesse
Chacun retiendra le Zappa qui lui conviendra le mieux. Les grandes envolées de guitare, les successions de bruits, les chansons de facture plus classique truffées de mots d’humour et de dérision. La carrière de Zappa n’est pas un long fleuve tranquille, c’est un torrent impétueux qui coule selon plusieurs cours qui ne manquent d’ailleurs pas de se croiser, mêlant encore et toujours les genres. La qualité de ses compositions, beaucoup plus proches de la musique classique que le laisseraient penser les simples apparences, inscrit sans conteste Frank Zappa dans le peloton de tête des musiciens de son siècle.
Oser un conseil
L’auteur de ces lignes conseille à un néophyte qui désirerait entrer dans l’œuvre de Zappa de commencer par deux albums du milieu de carrière : le déjà nommé" Sheik Yerbouti" (1979), et « Joe’s Garage » de la même année. Une fois passée cette agréable acclimatation, le sas franchi, on pourra partir à l’inspiration en n’oubliant pas au passage des album aux titres attirants comme « Does humor belong to music ? » (L’humour fait-il partie de la musique ? ) et « Shut up 'n play yer guitar » (Ferme la et joue de ta guitare).
Bonus
Dinah Moe Humm, de l'album "Overnite Sensation" avec un grand choix de pochettes des albums de Frank Zappa.
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