La pop française en ébullition : "Education Française" témoigne en 20 titres
Saint Michel "Katherine"
Comment est née "Education Française Volume 1", quelle était l'idée de départ ?
Philippe Gandillhon : Je suis parti d'un constat personnel et d'un constat général, un sentiment dont tous les acteurs du disque témoignent : il se passe quelque chose. Au début de ma carrière chez Virgin, j'ai été témoin de la première compilation "Rappatitude" qui a beaucoup compté pour l’émergence du hip-hop en France. Et là, en dirigeant l’artistique chez Columbia je me rends compte que l’offre n’a jamais été aussi pléthorique de jeunes bons groupes français.
Nous assistons à un passage de relais et à l'émergence d'une nouvelle scène. Desinhibée, insolente, elle ne se réfère pas à grand chose et ses groupes ont peu en commun. Contrairement à la scène des bébés rockers qui était une invention de journalistes (rires) mais dont les groupes avaient beaucoup en commun et venaient surtout d'Ile-de-France, on assiste ici à l'émergence d'une famille d'artistes venue de toute la France. Ce mouvement, qui n'est pas forcément solidaire, n’a pas d'autre fil rouge que de défendre quelque chose de frais, de nouveau, jeune et racé. Côté influences, elles sont variées, issues du nouveau mode de consommation de la musique qui ne connaît plus de frontières et zappe allègrement de Biz Markie à France Gall ou MGMT.
Woodkid "Brooklyn"
Quel est l'objectif de ce projet ?
Cette compilation ambitionne d'être une photographie qualitative de cette scène, mais cela reste une esquisse. Nous savons que cela plaira à une frange du public, celle qui s’interesse aux musiques émergentes et qui est un peu désemparée par l’offre pléthorique actuelle. Education Française comporte environ un tiers de formations encore signées nulle part. C'est le cas de Hyphen Hyphen, Candide, Pegase, Equateur, Popopopops, Von Pariahs, Bengale, La Femme. Je suis sûr qu'ils auront tous trouvé partenaire avant la fin de l'année, c'est aussi l'ambition de ce projet. Les Japonais veulent déjà sortir la compilation, c'est encourageant. L'ambition c'est de marquer son époque, d'être peut-être au début d'une série, même si je ne veux pas devenir le roi de la compilation (rires).
Granville "Jersey"
Comment en né ce partenariat entre vous et Jean-Daniel Beauvallet des Inrockuptibles ?
Au départ, ça devait s’appeler Bagarre. Quand j’ai commencé le tracklisting, je voulais croiser le fer avec quelqu’un. J’ai pensé à Daho. Et puis ça a été JD. Ce n'est pas un ami, et je n’ai pas l’habitude d’appeler les journalistes, mais j’avais le sentiment qu’on avait un regard bienveillant réciproque. On se respecte, on se complète.
Quels ont été vos critères de sélection ?
Bien sûr, "Education Française" reflète aussi des choix personnels, avec des groupes et des démarches qui nous plaisaient à Jean-Daniel Beauvallet et à moi. Certains groupes n’ont pas été retenus parce qu’ils avaient une démarche trop internet, n'étaient pas assez développés ou peu aguerris au live. Il y a certainement des choix discutables, mais nous avons essayé de fonctionner au feeling, celle de mecs qui aiment la pop.
Equateur "Haunted"
Quels ont été vos meilleurs rabatteurs ou vos meilleurs viviers ?
Nous nous sommes appuyés sur la force et la qualité de nos réseaux respectifs. Les managers, les patrons de studio, les programmateurs de salles, les copains et nos équipes, celles de Columbia et d'Inrocks Lab, ont tous contribué à dénicher des trouvailles. Et puis il y a la part indéniable d’internet qui est l’outil et le player idéal : dès que quelqu’un vous parle d’un groupe, on peut aller écouter ou même voir des images dudit groupe sur scène. Il faut savoir perdre du temps sur le web, vagabonder pour trouver de nouvelles choses.
Education Française mélange des noms déjà connus, tels que Lou Doillon, The Shoes, Lescop ou Woodkid, avec de véritables inconnus. Pourquoi ?
J’ai tenu dès le départ à ce qu’on soit sur une photographie élargie. Il faut s'appuyer sur des noms de qualité pour aider de nouveaux artistes à émerger. Ca fait partie d’une dynamique : les plus gros aident à tirer vers le haut les plus petits. Dans cette photo un peu inégale et aventureuse, il y a des artistes qui ont à mon sens l’odeur du moment mais dont je ne pense pas qu’ils ont encore l’envergure de faire un premier album, ils sont encore un peu trop embryonnaires.
La Femme "Sur la planche"
Si vous pouviez changer quelque chose à l’industrie du disque telle qu’elle est actuellement, que changeriez-vous ?
Je pense qu’il y a trop peu d’exposition de la musique dans la presse, en radio et à la télé. Il y a quelques tours d’ivoire et quelques plumes mais peu de renouvellement de ceux qui se font l’écho des choses naissantes. Dans les maisons de disques, ils n’ont pas fait entrer de gens assez créatif, d’autres regards, comme chez les Anglais. Et puis il n’y a pas suffisamment la culture du travail sur la durée dans les maisons de disques. Car je pense que les artistes qui avancent le plus sont ceux pour qui les périodes d’écriture sont les plus longues. Il faut accompagner les artistes, ne pas leur demander des œuvres abouties dès le départ. On devrait toujours garder à l'esprit que Benjamin Biolay ne s'est imposé qu’au 5e album.
En concert : Le 30 novembre au Trabendo, Tsugi Super Live et Education Française présentent La Femme (dj set), The Popopopop's, Saint Michel, Isaac Delusion, Equateur, FI/SHE/S
"Education Française" compilation de 20 titres (Columbia/Sony)
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