: Interview "Avec Moon Safari, on a créé quelque chose de rassurant et d'enfantin" : Air se souvient de son premier album
Aux Nuits de Fourvière, où ils faisaient halte mardi 18 juin, les deux musiciens de Air ont enchanté les Lyonnais en déroulant, dans l'ordre, les dix morceaux de Moon Safari, leur premier album à la mélancolie rêveuse paru en 1998. Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin nous ont accordé un entretien quelques heures avant de monter sur scène, dans lequel ils se souviennent de leur état d'esprit lors de la réalisation de ce disque chéri du public, qui connut un succès instantané. L'occasion aussi d'en savoir plus sur cette tournée et sur l'avenir de Air.
Franceinfo Culture : Qu'est-ce qui vous a donné envie de remonter sur scène pour rejouer votre premier album ?
Nicolas Godin : Nous avions pris l'habitude de faire des tournées assez régulières et avec le Covid tout s'est arrêté. Ensuite on a développé chacun nos projets dans notre coin et les gens se sont mis à nous demander quand on repartait en tournée. Nous avons cherché une idée et je crois que c'était le bon moment pour nous de jouer Moon Safari. La vie est faite de cycles, là c'était le bon timing après 25 ans.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur cet album ?
Jean-Benoît Dunckel : C'est étrange parce qu'il nous embarque avec lui, c'est un album qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire, ce qui est un peu la définition du classique. Il a une atmosphère très particulière, un peu enfantine, un peu mélancolique, mais aussi rassurante, voire médicinale pour les auditeurs. Et comme il est vraiment chéri par le public, c'était l'occasion de le jouer vraiment de A à Z. Nous, on suit juste cette aventure qu'on a créée et qui nous dépasse quelque part.
Nicolas : Il a une forme d'innocence de fraîcheur qui est incroyable parce que comme disent les anglais, "you can be a newcomer only once in your life", tu ne peux être un nouveau venu qu’une seule fois dans ta vie. C'est le charme de la première fois, du premier album. Tout était alors nouveau pour nous. Avant Moon Safari, on était étudiants et on ne connaissait rien au milieu de la musique. On ne connaissait rien des maisons de disques, on ne savait pas qu'il y avait des tour-managers, des roadies, on ne savait même pas qu’il avait des balances avant les concerts. C'était dingue ! Moon Safari, ça a été un peu violent parce qu'on a tout découvert d'un coup et d’une manière très forte, parce que ça a été un succès.
A la réécoute de cet album des années après, on est saisis par cette rondeur aérienne, régressive, quasi consolatoire. Pourtant, le monde va beaucoup plus mal qu’à l’époque. Pourquoi aviez-vous alors cette volonté de faire quelque chose de si rassurant ?
Jean-Benoît : Parce que c’était pour nous soigner nous-mêmes. Je pense qu’une œuvre artistique est une projection qui peut être nécessaire aussi pour celui qui la fait. C’est quelque chose de psychologique, une vibration sonore qui nous est utile pour vivre et par laquelle on fait passer beaucoup de choses. Je pense à Françoise Hardy, qui malheureusement vient de disparaître. Etienne Daho disait que ses textes étaient très psychologiques. C’est vrai que les textes c’est un peu comme une psychanalyse, on y met beaucoup de soi et on essaye d’expliquer la vie et ses émotions. Nous, on essaie d'expliquer nos émotions avec nos sons.
Je pense qu’à cette époque-là on devait être un peu stressés parce qu'on entrait dans la vie active. On a donc a créé quelque chose de rassurant et d'enfantin, comme un cocon dans lequel on pouvait se sentir bien.
Jean-Benoît Dunckelà Franceinfo Culture
Ce disque était aussi un hommage à votre enfance...
Nicolas : Avec cet album on disait au revoir à notre enfance, qui était un monde merveilleux. Merveilleux et terrible, pour tous les enfants. On comprenait, on pressentait, que tout ce qu’on nous avait vendu, notamment l’an 2000, allait passer à la trappe. C’était la fin des années 90 et rien de ce qu’on imaginait n’allait arriver. Moon Safari c’est un peu une vision nostalgique de ce rêve qu’on avait vers 7-8 ans.
Rejouez-vous l’album exactement de la même façon qu'à l'époque de la première tournée?
Nicolas : Non, pas du tout. C’est la première fois que nous jouons ces morceaux de la même façon que sur l’album. Parce que durant la première tournée, on les jouait dans des versions différentes. À l’époque, on voulait du nouveau chaque semaine. Et dans mon souvenir la première tournée était assez chaotique. Chaque minute était une découverte.
Aujourd’hui, on a une telle distance, un tel recul par rapport à l’œuvre, qu’on peut la jouer telle quelle. Moon Safari ne nous appartient plus. Il appartient au zeitgeist [à l’air du temps].
Nicolas Godinà Franceinfo Culture
Utilisez-vous quand même les mêmes instruments qu’alors, notamment tous ces merveilleux Moog et autres Korg que vous collectionniez déjà ?
Nicolas : Oui. Mais pas parce qu’on est spécialement attachés au passé. Le fait est que ces instruments appartiennent au passé mais ils sont surtout géniaux. On aime depuis toujours la chaleur du son analogique, mais très vite on a tout mélangé : on utilisait aussi des ordinateurs, des samplers, on n'était pas bloqués. Au moment où le digital est apparu, tous ces instruments sont devenus obsolètes. Ce qui fait notre particularité c'est que nous, on n'a jamais pensé qu'ils étaient obsolètes.
Qu’est-ce que cela fait de rejouer tous les soirs le même album dans le même ordre ?
Nicolas : C’est bien ! C'est bien parce que sur nos albums il y a un sens, il y a un ordre, un équilibre et une pondération… Moon Safari, tel qu'il est sorti, c'est le parfait déroulement. Donc quand on le joue, tout se passe bien. Les morceaux ont été pensés pour s'enchaîner comme ça. Un album, comme une pièce de théâtre ou un roman, a un début, un milieu et une fin. D'ailleurs, normalement, l'ordre des albums est complètement différent de l'ordre des concerts. En général, tu mets tes meilleurs morceaux au début de l’album et dans les concerts, à l’inverse, tu réserves tes meilleurs morceaux pour la fin. Donc, sur cette tournée on joue le meilleur au début et c’est marrant, c’est frais. Et puis on joue live, alors ce n’est pas pareil tous les soirs. Les synthés analogiques, c’est quand même plein de boutons à tourner [il fait le geste]. Les réglages sont tous interdépendants alors il y a des soirs mieux que d’autres.
Vous jouez aussi un petit best-of, en complément. Comment choisissez-vous les titres de cette seconde partie de concert ?
Jean-Benoît : Ils s’imposent d’eux-mêmes, parce que ce sont soit les morceaux les plus connus, soit des titres forts, qui représentent bien l'époque dans laquelle ils ont été composés. C'est une question de force émotionnelle.
Maintenant que vous êtes réunis sur scène, quel futur peut-on espérer pour Air ?
Nicolas : Pour le moment, on vit l’instant présent...
Jean-Benoît : Le futur est incertain.
Nicolas : Ça fait quarante ans qu’on joue ensemble. Et même au-delà de Air, je ne sais pas si j’ai envie de faire un album. Je ne sais même pas si c’est bien de faire des disques ni de faire des choses tout le temps. Je suis en questionnement total.
Jean-Benoît : Moi je prends la vie telle qu’elle vient. Si on me propose des projets intéressants, je les ferai. Mais, à ce stade, j’ai envie de me concentrer sur l'essentiel et de faire des choses fortes et universelles, qui vont rester.
Nicolas : Avec l'âge, on devient philosophes (sourire).
Air poursuit sa tournée internationale Moon Safari, elle passe en France lundi 24 juin à Paris au festival Days Off à la Philharmonie, le 13 juillet à Montpellier au festival Radio France Amphi d'O et le 17 août à Saint-Malo à la Route du Rock.
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