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Gesaffelstein : le nouveau choc de l'électro made in France
La musique de Gesaffelstein est aussi noire que le regard de braise de son auteur Mike Levy, aussi classe et structurée que les élégants costumes de velours sombre qu’arbore le ténébreux Lyonnais. Après des années à écumer les clubs du monde entier derrière les platines, Gesaffelstein sort son premier album, "Aleph", un disque choc, maléfique et oppressant qui confirme tous les espoirs mis en lui.
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Connu pour sa brutalité, Gesaffelstein s'en affranchit sur "Aleph"
De ce jeune brun ombrageux de 28 ans, beau comme une gravure de mode, on connaissait jusqu’ici le versant musical le plus brutal déployé sur ses EP et singles. Les assauts métalliques glaçants de "Viol" (2011) et "Pursuit" ont marqué les esprits.
Mais avec son premier album, le très attendu "Aleph" qui vient de sortir, Gesaffelstein prend aussi ses distances avec la violence pure et met au jour une facette différente, toujours aussi sombre mais plus psychologique que cogneuse. Comme s’il avait appris depuis à hypnotiser et étouffer sa proie en douceur, sans sévices. Des compositions diaboliquement structurées
Bien sûr, il y a le furieux "Hate or Glory" et son clip choc mais la brutalité n’est pas de mise sur le magnifique "Aleph", un titre hanté au souffle d’outre-tombe, pas plus que sur "Wall of Memories", basé sur une boucle au piano féérique très Nino Rota, qui ferait une impeccable BO de film d’horreur.
Le réjouissant clin doeil au G-Funk de "Hellifornia" et l’étonnant hommage de cet amoureux de musique classique à Chopin et aux gymnopédies d’Eric Satie sur le morceau caché en toute fin d’album, sont également au nombre des surprises de ce disque empoisonné. "Je suis a l’aise dans le noir, avec les accords mineurs. J’ai des facilités avec la musique sombre", admet-il dans Les Inrocks.
Dans ses compositions à la rigueur mathématique, toujours impeccablement architecturées, avec montées, ruptures, silences, Mike Levy joue avant tout sur les climats et les textures. Qu’on aime ou pas n’est pas la question. Force est de constater son incroyable talent pour remuer en profondeur avec la seule arme du son.
Un sorcier des machines
Avec une précision d’horloger, il sait toujours diaboliquement sur quel bouton appuyer pour dresser le poil et tordre les tripes. D’où lui vient cette science ?
S’il avoue être incapable "de repérer un do ou un fa sur un piano", il revendique un savoir-faire différent : "j’ai trouvé une façon à moi d’écrire une mélodie : je la dessine sur un séquenceur", dit il aux Inrocks.
Comme un enfant qui aurait d’abord démonté et remonté le téléviseur avant de commencer à le regarder, Mike Levy a commencé par vouloir comprendre comment la techno qu’il aimait était fabriquée avant d’avoir l’idée d’en faire. Il n’est pas musicien au sens orthodoxe du terme, mais ce fou de technologie a étudié tous les modes d’emploi de ses machines et maîtrise ses outils comme personne : les derniers logiciels mais aussi les vieux synthés analogiques ont peu de secrets pour lui. Une ferveur pour la musique industrielle
Son premier choc musical remonte à l’adolescence, vers 14-15 ans, lorsqu’il découvre Green Velvet, un des pionniers de la house de Chicago, sur une compilation appartenant à sa sœur. Dès lors, il n’a de cesse de remonter le fil de la musique électronique, de Kraftwerk à Drexciya, avec un goût particulier pour le versant européen et industriel du genre (Front 242, Nitzer Ebb, Einstürzende Neubauten).
Son nom, qui contracte Gesamtkunstwerk (l’art absolu en allemand, d’après le nom d’un disque de Dopplereffekt) et Einstein (dont il a adoré lire la biographie), il le trouve il y a une dizaine d’années, à Paris, où sa famille a déménagé. Privé de ses amis lyonnais, il se plonge dans la composition et commence à prendre la musique au sérieux.
Une rencontre capitale va le propulser en pleine lumière : celle du Grenoblois The Hacker, qu’il aborde à l’issue d’un Dj set parisien en lui glissant une démo, et qui va devenir son mentor. Il le fait jouer pour la première fois (à Munich en 2007) et sort son second maxi sur le label Goodlife qu’il a cofondé. Aujourd’hui, Gesa considère The Hacker non seulement comme son mentor mais aussi comme « mon ami, mon grand-frère ».
Ces quatre dernières années, sa notoriété est montée doucement, avec une poignée de maxis remarqués et des apparitions aux platines, notamment aux côtés de son ami Brodinski, aux quatre coins du monde.
C’est aussi un remixeur très demandé, pour Moby, Lana del Rey, Boys Noize & Erol Alkan, Depeche Mode, Justice ou Laurent Garnier . Le carnet de commandes ne désemplit pas mais il a décidé de faire une pause désormais pour se concentrer sur sa propre musique et éviter de se répéter. Delicieusement macabre, comme la famille Adams
On l’a compris, avec Gesaffelstein, on n’est pas là pour rigoler. Quoique. A la question de savoir pourquoi sa musique est si sombre, il répond (dans Elle) : « J’utilise les sentiments les plus violents qu’il y a sur terre pour essayer d’en faire quelque chose de plaisant. Il y a beaucoup de dérision là dedans. »
D’ailleurs, il avoue ne pas écouter que de la musique "dark" et ses proches parlent d’un garçon plutôt épanoui et plein d’humour. Pour autant, ce forcené de boulot se livre peu et garde jalousement son mystère. "Au public, je n’ai rien à donner de plus que ce que je donne déjà : de la musique", dit-il dans Tsugi magazine, qui lui consacre sa couverture ce mois-ci. "Ca ne m’intéresse pas toute cette « fame » à la con, c’est chiant, ça ne sert à rien. (…) Je ne suis pas acteur, mon métier ne repose pas sur ma personne, elle repose sur ce que je crée", insiste-t-il.
Réécouter l'excellente émission de Laura Leishman sur Gesaffelstein (France Inter, 24/10/2013)
Paradoxalement, le hip-hop pourrait être son tremplin
Son œuvre, très cinématique, est promise à une belle carrière dans le cinéma, les jingles et la pub, qui s’est déjà emparée de lui (Citroën et Givenchy sont les premiers à lui avoir emprunté des séquences de "Viol"). Mais c’est sans doute par l’intermédiaire du rap que ses sonorités risquent d’envahir le monde, à l’instar de David Guetta dont il est pourtant l’exact opposé.
Déjà, il a posé sa patte sur deux titres de "Yeezus", le dernier album de Kanye West. Aujourd’hui, la rumeur affirme qu’Eminem le réclame, sans parler du rappeur siphonné Danny Brown. On ne s’en étonne pas. RZA du Wu-Tang Clan ou Odd Future semblent aussi tout indiqués pour s’emparer de son œuvre. Oui, le rap qu’il connaît peu pourrait bien faire de lui une star, et de ses sons vénéneux le nouvel étalon des années à venir dans les productions hip-hop. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite, gnark gnark…
Album « Aleph » de Gesaffelstein (Parlophone/EMI)
Gesaffelstein est en Dj set jeudi 8 novembre au Yoyo (Palais de Tokyo) dans le cadre du festival des Inrocks.
Il sera aussi (en live) le 14 novembre au Transbordeur de Lyon, le 28 novembre au Rocher de Palmer à Bordeaux, le 29 novembre à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, le 30 novembre au Bikini à Toulouse, le 14 décembre à I Love Techno à Montpellier, le 30 janvier à L’Olympia à Paris et le 1er février à la Laiterie à Strasbourg.
De ce jeune brun ombrageux de 28 ans, beau comme une gravure de mode, on connaissait jusqu’ici le versant musical le plus brutal déployé sur ses EP et singles. Les assauts métalliques glaçants de "Viol" (2011) et "Pursuit" ont marqué les esprits.
Mais avec son premier album, le très attendu "Aleph" qui vient de sortir, Gesaffelstein prend aussi ses distances avec la violence pure et met au jour une facette différente, toujours aussi sombre mais plus psychologique que cogneuse. Comme s’il avait appris depuis à hypnotiser et étouffer sa proie en douceur, sans sévices. Des compositions diaboliquement structurées
Bien sûr, il y a le furieux "Hate or Glory" et son clip choc mais la brutalité n’est pas de mise sur le magnifique "Aleph", un titre hanté au souffle d’outre-tombe, pas plus que sur "Wall of Memories", basé sur une boucle au piano féérique très Nino Rota, qui ferait une impeccable BO de film d’horreur.
Le réjouissant clin doeil au G-Funk de "Hellifornia" et l’étonnant hommage de cet amoureux de musique classique à Chopin et aux gymnopédies d’Eric Satie sur le morceau caché en toute fin d’album, sont également au nombre des surprises de ce disque empoisonné. "Je suis a l’aise dans le noir, avec les accords mineurs. J’ai des facilités avec la musique sombre", admet-il dans Les Inrocks.
Dans ses compositions à la rigueur mathématique, toujours impeccablement architecturées, avec montées, ruptures, silences, Mike Levy joue avant tout sur les climats et les textures. Qu’on aime ou pas n’est pas la question. Force est de constater son incroyable talent pour remuer en profondeur avec la seule arme du son.
Un sorcier des machines
Avec une précision d’horloger, il sait toujours diaboliquement sur quel bouton appuyer pour dresser le poil et tordre les tripes. D’où lui vient cette science ?
S’il avoue être incapable "de repérer un do ou un fa sur un piano", il revendique un savoir-faire différent : "j’ai trouvé une façon à moi d’écrire une mélodie : je la dessine sur un séquenceur", dit il aux Inrocks.
Comme un enfant qui aurait d’abord démonté et remonté le téléviseur avant de commencer à le regarder, Mike Levy a commencé par vouloir comprendre comment la techno qu’il aimait était fabriquée avant d’avoir l’idée d’en faire. Il n’est pas musicien au sens orthodoxe du terme, mais ce fou de technologie a étudié tous les modes d’emploi de ses machines et maîtrise ses outils comme personne : les derniers logiciels mais aussi les vieux synthés analogiques ont peu de secrets pour lui. Une ferveur pour la musique industrielle
Son premier choc musical remonte à l’adolescence, vers 14-15 ans, lorsqu’il découvre Green Velvet, un des pionniers de la house de Chicago, sur une compilation appartenant à sa sœur. Dès lors, il n’a de cesse de remonter le fil de la musique électronique, de Kraftwerk à Drexciya, avec un goût particulier pour le versant européen et industriel du genre (Front 242, Nitzer Ebb, Einstürzende Neubauten).
Son nom, qui contracte Gesamtkunstwerk (l’art absolu en allemand, d’après le nom d’un disque de Dopplereffekt) et Einstein (dont il a adoré lire la biographie), il le trouve il y a une dizaine d’années, à Paris, où sa famille a déménagé. Privé de ses amis lyonnais, il se plonge dans la composition et commence à prendre la musique au sérieux.
Une rencontre capitale va le propulser en pleine lumière : celle du Grenoblois The Hacker, qu’il aborde à l’issue d’un Dj set parisien en lui glissant une démo, et qui va devenir son mentor. Il le fait jouer pour la première fois (à Munich en 2007) et sort son second maxi sur le label Goodlife qu’il a cofondé. Aujourd’hui, Gesa considère The Hacker non seulement comme son mentor mais aussi comme « mon ami, mon grand-frère ».
Ces quatre dernières années, sa notoriété est montée doucement, avec une poignée de maxis remarqués et des apparitions aux platines, notamment aux côtés de son ami Brodinski, aux quatre coins du monde.
C’est aussi un remixeur très demandé, pour Moby, Lana del Rey, Boys Noize & Erol Alkan, Depeche Mode, Justice ou Laurent Garnier . Le carnet de commandes ne désemplit pas mais il a décidé de faire une pause désormais pour se concentrer sur sa propre musique et éviter de se répéter. Delicieusement macabre, comme la famille Adams
On l’a compris, avec Gesaffelstein, on n’est pas là pour rigoler. Quoique. A la question de savoir pourquoi sa musique est si sombre, il répond (dans Elle) : « J’utilise les sentiments les plus violents qu’il y a sur terre pour essayer d’en faire quelque chose de plaisant. Il y a beaucoup de dérision là dedans. »
D’ailleurs, il avoue ne pas écouter que de la musique "dark" et ses proches parlent d’un garçon plutôt épanoui et plein d’humour. Pour autant, ce forcené de boulot se livre peu et garde jalousement son mystère. "Au public, je n’ai rien à donner de plus que ce que je donne déjà : de la musique", dit-il dans Tsugi magazine, qui lui consacre sa couverture ce mois-ci. "Ca ne m’intéresse pas toute cette « fame » à la con, c’est chiant, ça ne sert à rien. (…) Je ne suis pas acteur, mon métier ne repose pas sur ma personne, elle repose sur ce que je crée", insiste-t-il.
Réécouter l'excellente émission de Laura Leishman sur Gesaffelstein (France Inter, 24/10/2013)
Paradoxalement, le hip-hop pourrait être son tremplin
Son œuvre, très cinématique, est promise à une belle carrière dans le cinéma, les jingles et la pub, qui s’est déjà emparée de lui (Citroën et Givenchy sont les premiers à lui avoir emprunté des séquences de "Viol"). Mais c’est sans doute par l’intermédiaire du rap que ses sonorités risquent d’envahir le monde, à l’instar de David Guetta dont il est pourtant l’exact opposé.
Déjà, il a posé sa patte sur deux titres de "Yeezus", le dernier album de Kanye West. Aujourd’hui, la rumeur affirme qu’Eminem le réclame, sans parler du rappeur siphonné Danny Brown. On ne s’en étonne pas. RZA du Wu-Tang Clan ou Odd Future semblent aussi tout indiqués pour s’emparer de son œuvre. Oui, le rap qu’il connaît peu pourrait bien faire de lui une star, et de ses sons vénéneux le nouvel étalon des années à venir dans les productions hip-hop. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite, gnark gnark…
Album « Aleph » de Gesaffelstein (Parlophone/EMI)
Gesaffelstein est en Dj set jeudi 8 novembre au Yoyo (Palais de Tokyo) dans le cadre du festival des Inrocks.
Il sera aussi (en live) le 14 novembre au Transbordeur de Lyon, le 28 novembre au Rocher de Palmer à Bordeaux, le 29 novembre à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, le 30 novembre au Bikini à Toulouse, le 14 décembre à I Love Techno à Montpellier, le 30 janvier à L’Olympia à Paris et le 1er février à la Laiterie à Strasbourg.
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