Bob Dylan d'humeur orageuse sur l'impeccable "Tempest"
Au départ, expliquait-il récemment à Rolling Stone, il souhaitait faire quelque chose de "plus religieux". "Mais je n'avais pas assez de chansons (sur ce thème). Ca demande beaucoup plus de concentration de sortir dix chansons sur le même thème que pour le disque auquel je suis parvenu."
Le troubadour est d'humeur rageuse
Faute de thématique claire, l'album, constellé de références bibliques, navigue entre la quête d'amour, la douleur, la revanche et la mort. Globalement, le "troubadour folk" semble d'humeur sombre et colère et le commentaire social n'est jamais loin. Et cela lui va bien.
On en prend plein les gencives dès le premier titre, "Duquesne Whistle" (à écouter ci-dessous). "Your father left, your mother too/ Even death has washed his hands of you." ("Ton père est parti, ta mère aussi / La mort elle-même s'est lavée les mains de toi"), gronde-t-il de sa voix rocailleuse.
Le clip qui accompagne le morceau, premier extrait du disque, donne également le ton : débuté comme une comédie romantique, il tourne soudain au film noir et la violence s'y déchaîne sans prévenir sous inspiration "Reservoir Dogs" de Tarantino. Comprenez : le cauchemar couve sous le ciel bleu.
"Duquesne Whistle" de Bob Dylan
Sur "Pay in Blood", la fureur est à son comble. La légende vivante répète en boucle "I pay in blood but not my own" ("Je paye en sang mais pas le mien") avant d'éructer contre un "politicien" qu'il traite de "bâtard" et se demande pourquoi il devrait le respecter.
Sur le bluesy "Early Roman Kings", il dégomme encore les hommes de pouvoir : "Ce sont des colporteurs, des importuns / Ils achètent et ils vendent / Ils ont détruit vos villes / Ils vous détruiront aussi."
Il y a quelques accalmies, notamment le romantique "Soon After Midnight", mais le vrai calme après la tempête est logiquement situé en fin de parcours, avec "Roll On John", un hommage mélancolique (et tardif) à son ami John Lennon, disparu en 1980. Bob Dylan y évoque son assassinat à New York et emprunte un passage de "A Day in the Life" des Beatles ("I heard the news today, oh boy...").
De quel naufrage parle-t-on ?
Autres titres marquants du disque, "Tin Angel" et "Scarlet Town", mais aussi la chanson-titre, "Tempest", longue de 14 minutes. Sur un air traditionnel irlandais, Robert Zimmerman y décrit le naufrage du Titanic de façon très imagée sans se soucier d'exactitude historique, citant Leonardo di Caprio et le Livre des Révélations. Difficile pourtant de ne pas y voir un sens caché, une référence voilée à un pays ou à un système actuel en train de couler.
Enregistré dans les studios de Jackson Browne à Los Angeles en compagnie de ses musiciens de tournée (les guitaristes Donnie Herron, Charlie Sexton et Stu Kimball, le bassiste Tony Garner, le batteur George G. Receli ainsi que le multi-instrumentiste David Hidalgo), "Tempest" est un disque accessible et varié, enraciné dans la musique américaine : le rock, l'americana, le blues, la folk et le jazz.
Ce serait mentir que de survendre "Tempest" comme l'un des meilleurs de sa carrière, mais Robert Zimmerman donne une fois de plus dans l'excellence et fait ce qu'il sait faire de mieux : du Dylan. Un truc inimitable (et souvent imité) dont ce monstre sacré détient la formule secrète depuis 50 ans.
"Tempest" de Bob Dylan (Columbia), sortie le 10 septembre 2012 en France
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