Cet article date de plus de dix ans.

Talents de l'Adami : Corinna Niemeyer, une chef d'orchestre globe-trotter

A Paris, le 23 septembre, trois jeunes chefs se produisaient à la Salle Gaveau, sous l'oeil attentif et fier du jury des "Talents de l'Adami" qui les sélectionnait dans la catégorie "chefs d'orchestre" pour l'année 2014. Deux Français, Julien Leroy et Pierre Dumoussaud et une Allemande, polyglotte et voyageuse, Corinna Niemeyer, à la tête de l'Orchestre universitaire de Strasbourg. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Corinna Niemeyer dirige l'Orchestre Colonne à la Salle Gaveau le 23 septembre dernier. 
 (Thomas Bartel.)
Les lauréats des Talents de l'Adami : Julien Leroy, Pierre Dumoussaud et Corinna Niemeyer entourés du jury (Luca Pfaff, Laurent Petitgirard, Ariane Matiakh).
 (Thomas Bartel.)
Curieuse : Allemande, à 28 ans elle a sillonné l'Europe et séjourné à Shanghaï. Travailleuse : polyglotte, elle s'exprime autant en français qu'en italien ou en chinois. Musicienne : violoncelliste, puis chanteuse, chef de chœur, elle est aujourd'hui chef d'orchestre. 

Quelle chef êtes-vous ?
Il faut le demander aux musiciens (rires) ! Je ne suis pas toujours la même chef. Ça dépend de l'orchestre, du programme, du cadre… Ça varie même avec l'âge ou l'expérience ! J'aime l'idée de ne pas être fixée.

Plutôt très directive ou dans le dialogue ?
Certains orchestres demandent plus d'autorité, d'autres moins. Leur niveau varie aussi. Mais quel qu'il soit, mon but est toujours le même, celui de motiver l'ensemble, de chercher à élever le niveau avec l'orchestre. Seule la méthode change. Il faut savoir créer un contact avec l'orchestre et sentir comment il fonctionne pour intervenir. Or certains orchestres ont coutume de jouer ensemble, d'autres sont flexibles. Tout cela rend notre métier plus compliqué. On dit qu'en quelques secondes les musiciens détectent si le chef est bon. De la même manière, le chef doit, tout de suite, avoir une vision d'où il veut aller avec l'orchestre et comment y parvenir.
Corinna Niemeyer pendant les répétitions à la Salle Gaveau, le 23 septembre. 
 (LCA/Culturebox)
Lors de la répétition générale du concert des Révélations de l'Adami, je vous ai vue sortir très rapidement d'une impasse en privilégiant le dialogue avec un musicien. Vous lui avez demandé de proposer lui-même la solution technique au problème. Est-ce un bon exemple de votre manière de diriger ?
Les musiciens sont les professionnels sur leurs instruments, même si je connais bien le violoncelle et j'en connais d'autres. Il faut donc les croire quand il y a une difficulté technique. Dans le cas que vous évoquez, on a trouvé un moyen de réaliser la musique comme je la voyais dans la partition (donc comme je suppose que le compositeur la souhaite), mais avec le moyen technique suggéré par le musicien. Ce dialogue est important. Les musiciens réalisent, mais c'est moi qui défends la partition et il faut parfois trouver un compromis.

Vous sentez-vous proche de la grande tradition orchestrale allemande ?
On a effectivement en Allemagne une grande tradition orchestrale et le pays compte encore plus de 130 orchestres professionnels. C'est une très belle tradition : d'abord parce qu'elle offre à tous, où qu'on vive, la possibilité d'écouter de la musique, de l'opéra, pas seulement dans les grandes villes. J'en ai fait l'expérience. Ensuite, les orchestres sont de qualité, ils ont un savoir faire. Loin de nous l'image du chef qui débarque et qui fait seul des miracles ! Bien sûr, je viens un peu de cette école que j'ai connue. Malheureusement, cette tradition est en train de se perdre un peu : des orchestres fusionnent ou ferment. Même celui de la radio SWR, pourtant un orchestre d'excellence mondiale !

Vous avez été violoncelliste, mais vous avez aussi étudié le piano, le chant, ou la direction de choeur. En quoi cela vous aide-t-il comme chef d'orchestre ?
La perspective sur la partition est plus riche ; à l'œil de la chef d'orchestre ajoutez celui de la violoncelliste que j'ai été (c'est utile pour comprendre les cordes), de la chanteuse alto (utile pour diriger les chœurs) et, en quelque sorte, de la musicologue. Car la pratique intense d'un instrument vous oblige à une connaissance des compositeurs, des époques, des styles. J'ai par exemple fait de la basse continue dans des ensembles de chambre : ça vous donne une nouvelle lecture de la musique baroque !
Il y a encore peu de femmes chefs d'orchestre en France et certaines ont été discriminées. La chef Claire Gibault a, par exemple, beaucoup témoigné à ce sujet. Avez-vous ressenti un traitement différent parce que vous êtes une femme ?
Ça dépend des orchestres, mais majoritairement je n'ai pas ressenti la particularité d'être une chef femme. Aujourd'hui, par exemple, j'ai joué avec l'Orchestre Colonne et personne n'a remarqué : c'est une femme qui dirige. Et c'est très agréable. Mais il est arrivé, dans le passé, dans de très rares cas, que quelqu'un dans l'orchestre ait voulu tester mon autorité ou me mettre un peu en question. Mais j'ai appris à réagir et à passer vite à la musique. Par ailleurs, je suis très souvent la seule femme parmi les chefs et dans mes études, j'ai toujours été la seule. J'apprécierais de pouvoir avoir un échange professionnel avec des femmes chefs comme moi, même si je ne suis pas si sûre que leur point de vue serait différent de celui d'un homme.

Cette situation vous choque-elle ?
Je suis Allemande : il faut rappeler qu'il y a quelques dizaines d'années, dans le dans le Berliner Philharmoniker - regardez les vidéos de Karajan ! - il n'y avait que deux ou trois femmes et, avant encore, celles-ci étaient interdites, exception faire de la harpe ! Encore aujourd'hui, le Wiener Philharmonker ne compte que trois ou quatre femmes. Il faudra donc attendre longtemps avant que la position de chef soit attribuée à une femme dans ces orchestres d'excellence.

Polyglotte, vous avez beaucoup voyagé pour votre formation, en Europe, mais aussi en Chine ou vous avez séjourné six mois. Cette curiosité culturelle se traduit-elle dans votre musique ?
C'est vrai, j'ai une grande curiosité en général, mais en particulier pour les cultures que je rencontre dans mes voyages. J'ai appris plusieurs langues, car on y apprend aussi une culture, une façon de penser. De la même manière qu'une partition musicale révèle aussi une façon de penser. Ça me fascine et je tente de mettre en relation ces informations avec tout ce que j'ai pu lire par ailleurs sur le compositeur…
  (Thomas Bartel.)
Pensez-vous diriger différemment grâce à cette ouverture ?
Inconsciemment oui. J'aime par exemple saisir la relation à l'espace qu'on peut avoir dans certaines régions du monde, et cela me sert pour mieux comprendre les partitions de musiciens originaires de ces pays. Je l'ai expérimenté récemment en travaillant un mois en Russie, ou en Finlande où j'ai davantage compris la sensibilité de Sibelius….

Qu'est ce qui vous guide dans le choix du répertoire ? Est-ce que vous vous dites que vous pouvez tout faire ?
Ce qui me guide, c'est ma curiosité et il n'y a pas de limite. Quand on est jeune chef on ne cesse d'agrandir son répertoire. Et je n'ai pas encore de symphonie que j'aurais faite pour la 35e fois ! Je fonctionne par listes de morceaux que je note soigneusement en vue d'un prochain programme. Mais quand le moment arrive enfin, la liste ne me paraît plus aussi intéressante, je la reporte à plus tard et je pioche dans une autre colonne rédigée il y a quelques années ! Jusqu'à présent, j'ai été très variée dans mes répertoires, de l'époque baroque à la musique contemporaine. Ça va avec ma personnalité. Toujours tester de nouveaux horizons…

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.