Soirée de générale à la Philharmonie de Paris : enveloppés par le son
Nous mesurons la chance de venir assister à une "générale" qui ne ressemble à aucune autre. D'abord parce que tout est neuf et tout est à voir, malgré les travaux persistant à l'extérieur, mais enfin ça y est, la Philharmonie s'offre enfin "en fonction", pour ainsi dire.
A terre, quelques bouts de carton et de la poussière blanche trahissent la hâte avec laquelle ont dû être opérées les dernières finitions. Quelques échafaudages demeurent, y compris dans la salle. C'est bien un moindre mal si l'on pense aux récentes accélérations des cadences, et on salue le travail acharné des ouvriers, techniciens de surface et autres nombreuses hôtesses d'accueil, femmes et hommes, qui s'affairent pour que tout, enfin, puisse commencer.
Proximité
Franchie la porte d'entrée de la Grande salle, les visiteurs invités, professionnels de la musique comme on dit, ou proches des musiciens de l'Orchestre de Paris lèvent la tête, écarquillent les yeux, se retournent, et mettent en éveil leurs sens pour s'assurer de ne rien rater. Espace tout en courbes, asymétrique, doté de corbeilles et de balcons si irréguliers dans leurs formes qu'on pense à Gaudì. Fauteuils confortables, chaleur des bois, couleurs reposantes, beige, brun, blanc et au loin un noir mat. Nous sommes installés dans le parterre, et la sensation première est celle d'un lieu en apparence petit, offrant une étonnante et agréable proximité avec l'orchestre. Proximité qui demeure même lorsqu'on monte, ensuite, aux balcons des cinquième et sixième étages dont la vue donne, en revanche, idée de l'immensité des espaces.
Dès les premières notes de l'orchestre, nos oreilles tendues, curieuses et quelque peu méfiantes comme avant toute expérience qui se doit d'être exceptionnelle, sont surprises (eh, oui) par un son qui littéralement nous enveloppe.
Fonds marins
L'Orchestre de Paris, dirigé par Paavo Järvi, a eu l'excellente idée de commencer son programme par la Suite n°2 de "Daphnis et Chloé" de Maurice Ravel, et d'installer ainsi l'auditeur dans une atmosphère de fonds marins, amplifié par le chœur, les vagues créées par les amples mouvements de bras du chef estonien, renforcées visuellement par le tournoiement des pages blanches des partitions des choristes. Changement radical de ton avec des extraits du "Requiem" de Gabriel Fauré, perception différente aussi de l'espace, la musique sacrée évoquant un lieu de culte, mais admirable jeu de rôles sonore, les cordes répondant habilement à la voix profonde du baryton Matthias Goerne. Plaisir aussi de saisir des nuances bien perceptibles et les variations ténues dans le Libera me.
Installés après la pause dans les balcons supérieurs, nous percevons avec la même force qu'un jet d'eau, l'irruption du son dans les espaces supérieurs. Vue d'en haut, la disposition de l'orchestre en amphithéâtre cadre bien avec le geste de Paavo Järvi qui, maintenant hiératique, se fait sec et tranchant. Il faut dire que l'heure est au "Sacre du Printemps" de Stravinski qui saisit par sa puissance. Le côté mystérieux de la mélodie n'empêche en rien un rythme de cheval fou. Les mouvements sont rapides, les percussions se déchaînent et la tension se fait forte entre les cuivres et les cordes dans un crescendo infernal. Reçue dans les places au sommet (dont la vue est très bonne) la sensation de furie est merveilleuse.
Elle est adoucie, si on lève les yeux, par la vue de formes ondulées en suspension, sortes d'hélices ou épluchures d'orange, tels de gigantesques mobiles de Tinguely. La générale du 13 janvier s'achève peu à peu, sans vrai point final, comme toute vraie répétition orchestre où de nombreux mouvements sont repris à la demande du chef. Posés leurs instruments, les musiciens se lèvent légers, et esquissent ce sourire qui dit non seulement la satisfaction, mais aussi le plaisir d'une expérience sonore et musicale inédite, qui sera dorénavant la norme.
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