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Richard Galliano et Henri Demarquette jouent de leurs "Contrastes" au Châtelet

L'un est accordéoniste, grand nom du jazz et du "new musette", mais qui retrouve souvent Bach ou Vivaldi. L'autre est violoncelliste, star du classique, mais curieux d'horizons nouveaux. Déjà complices par le passé autour d'Astor Piazzolla, Richard Galliano et Henri Demarquette montent sur scène ce soir au Châtelet pour créer une pièce composée par le premier, "Contrastes". Rencontre croisée.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Richard Galliano et Henri Demarquette en répétition, fin novembre, à la Maison de la radio, à Paris.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Formé en musique classique au conservatoire de Nice, l'accordéoniste Richard Galliano découvre le jazz avant de rencontrer Claude Nougaro dans les années 1970 et de mener une carrière d'arrangeur dans la variété (de Barbara à Aznavour) et la musique de films. L'amitié avec l'Argentin Astor Piazzolla est à l'origine de son retour aux sources du jazz et de la musique traditionnelle via ce qui est devenu le désormais célèbre "new musette". Galliano poursuit parallèlement l'enregistrement de disques du répertoire classique, de Bach à Vivaldi.

Premier prix au Conservatoire national de Paris et très tôt sur scène, remarqué par Yehudi Menhuin alors qu'il n'a que 17 ans, le violoncelliste Henri Demarquette fait, depuis la fin des années 1980, une brillante carrière internationale. La rencontre entre Richard Galliano et Henri Demarquette a lieu au début des années 2000 à la faveur d'un projet autour d'Astor Piazzolla ("Piazzolla Forever"), conçue par Galliano.

Quand on vous écoute jouer ensemble, on se dit qu'avant la rencontre de deux instruments, le violoncelle et l'accordéon, il y a d'abord clairement celle de deux personnes tellement le dialogue est fort...
RG : L'un ne va pas sans l'autre : il y a le rapport humain, le "feeling" et puis effectivement l'écoute musicale, deux instruments, le violoncelle et l'accordéon, dont les sons se mélangent pour devenir un seul, nouveau.
HD : Et il y a autre chose : avec Richard, nous sommes parvenus à la même conviction qu'il y a trop de découpages dans la musique, alors qu'en réalité il n'y a qu'une seule musique, qu'on essaie de partager au maximum. Notre travail commun a commencé il y a quelques années avec le projet "Piazzolla Forever". J'ai adoré y découvrir tout un pan de musiques ignorées dans ma formation classique pure. Partant du tango, on a échangé sur le jazz, mais aussi sur des musiques d'ailleurs, sud-américaines, mais aussi par exemple de l'Est européen... Et d'ailleurs, ces voyages culturels m'ont conforté dans l'idée que n'importe quelle musique classique était baignée de musique populaire ou traditionnelle.
Richard Galliano et Henri Demarquette
 (LCA/Culturebox)
Pour revenir à vos instruments...
HD : Les instruments sont là pour cela. Le violoncelle, par exemple, comme la voix humaine, il peut faire toutes les musiques, avec des facultés expressives très fortes : on peut danser, il y a l'archet et des possibilités musicales étendues. L'accordéon, lui, c'est l'harmonie, et une quantité de sons insoupçonnable !
RG : Oui, l'accordéon c'est un orgue portatif et en même temps il a un soufflé qui pourrait être son archet à lui ! Et Henri a raison de parler de notre précédent projet, car notre terrain d'entente a été la musique de Piazzolla, un compositeur qui vient à la fois du classique - il se sentait proche de Bartok - et... du tango. J'ai du mal à le dire simplement parce qu'il avait la même relation au tango que je peux avoir avec la valse musette : on adore ça et on déteste ça. Ça nous colle à la peau. Donc "Piazzolla Forever" a été la rencontre entre un accordéon et des instruments pour la plupart classiques. En tournée, je vous voyais tous accorder vos instruments et j'étais frustré parce que sur le mien il y a un seul accordage... Depuis j'ai pris le tic des cordes, et dès qu'il y a une note qui ne plaît pas, je démonte l'instrument et je vais moi-même corriger (rires).

Dans "Contrastes", votre composition qui est créée ce 15 décembre, on parle de rencontre entre "musique savante et populaire"...
RG : Oui, en réalité j'en ai marre que l'on sépare la musique savante de la musique populaire. Je préfère dire qu'on fait de la musique "savante populaire". Dans les folklores, parfois c'est très savant, comme exemple le taraf que nous jouons, qui a inspiré la musique des Balkans. Il faut effacer toutes ces barrières, ces frontières !
Richard Galliano.
 (LCA/Culturebox)
Comment votre approche de jeu change-t-elle selon que vous soyez sur une partition classique ou sur une musique dite populaire ?
HD : C'est une notion de style, quelque soit la musique qu'on joue. Il faut trouver la bonne sonorité, le bon phrasé, le bon feeling. De même qu'on ne joue pas de la même manière Schubert et Brahms.
RG : Oui, notions de style. Et de langage. Quand on joue jazz, il faut en connaître le langage,  et pour cela, avoir écouté les grands jazzmen. On ne peut pas se fier qu'à la partition.  Et c'est pareil pour Bach : les broderies, par exemple, c'est un langage à part entière ! Ou Piazzolla : il écrit l'essentiel, mais si on ne joue que la partition, ça ne marche pas. Il faut apporter des broderies comme dans la musique baroque, mais aussi jouer rubato comme on joue une valse de Chopin.
HD : Dans les traités du classique, on dit : "c'est laissé au bon goût de l'artiste". Encore faut-il que le musicien ait du goût ! Le goût, ça se forme, ça se développe, c'est souvent une question de temps.
Henri Demarquette.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Vous évoquez les "broderies", on peut parler aussi d'improvisation. Y en a-t-il dans votre programme du 15 décembre ?
HD : Dans "Opale", tu improvises (avec un faux air d'accusation) !
RG : Oui… mais toi aussi (rires) ! Comme c'est un morceau que j'ai écrit après avoir entendu, en Macédoine, des musiciens jouer, lors d'un mariage, des danses à 11 temps, à 9 temps, à 7 temps… Là on improvise, c'est vrai. Sinon dans le reste des morceaux…
HD : … il y a Bach. On a transposé plutôt, mais pas improvisé. "Contrastes" est très écrit.

Justement, quel est l'esprit de "Contrastes" ?
RG : En le composant, j'ai conçu "Contrastes" comme des escales : un morceau que j'ai écrit en Argentine, un autre ailleurs, suivant les voyages, dans le Sud, à Paris… C'était aussi des contrastes de musiques qui se jouent avec l'accordéon.
HD : C'est vrai que l'accordéon joue toutes les musiques du monde, c'est un instrument universel. Et il y en a aussi bien en Russie et dans les pays de l'Est qu'au Brésil ou qu'en Italie…
RG : C'est vrai, mais avec l'accordéon (contrairement au violoncelle par exemple), on est au plus près de la musique traditionnelle, c'est vraiment la musique de la terre. Et par conséquent, les différences nationales ou même régionales sont très prononcées : avec le même instrument, on change complètement d'univers entre la valse musette de chez nous et l'accordéon des Carpathes ! Donc je me sens un peu tiraillé entre tout ça, et c'est pourquoi j'ai appelé mes compositions "Contrastes", je n'ai pas trouvé mieux…
HD : Et moi j'aime ce tour du monde en musique, sentir ces influences d'ailleurs et les intégrer dans ma manière de faire de la musique. Alors que, par ma formation classique, j'étais programmé pour vivre dans 300 ans de musique dans un univers géographiquement limité. Ce n'est pas normal, je me révolte (rires) !
La partition de "Contrastes" de Richard Galliano, pièce dédiée à Henri Demarquette.
 (LCA/Culturebox)
Richard Galliano, vous avez dédié votre partition de "Contrastes" à Henri Demarquette. Qu'est-ce que cela signifie pour celui qui la compose et celui qui la reçoit ?
RG : Il y a eu toute une démarche, qui a commencé avec le désir d'écrire le morceau un jour, alors que nous allions monter sur scène…
HD : …c'était à Marseille, dans la loge t'as dit : ah la sonorité me plaît, je vais écrire.
RG : Oui, après ça a mûri longtemps. C'est devenu une commande qu'il a fallu honorer dans les temps : écrire les arrangements, donner les partitions aux copistes, corriger, revenir sur l'idée… Et comme je ne travaille pas sur ordinateur, j'entends intérieurement la musique jusqu'au jour de la première répétition…
HD : …qui est le moment du plus grand trac. On ne sait pas ce que ça va donner.

Mais alors : qu'est-ce que cela représente d'être dédicataire d'une œuvre ?
HD : C'est le sens de la vie d'un interprète. Outre l'aspect amical, on a le sentiment, d'un coup, que la chaîne est parfaite : le compositeur / l'interprète / le public. C'est un des plus beaux moments pour un interprète de voir venir une oeuvre qu'on va pouvoir jouer.

"Contrastes" : Bach, Piazzolla, Galliano, Boccherini
Richard Galliano, Henri Demarquette
Orchestre Royal de Chambre de Wallonie
Direction musicale de Franck Braley
Théâtre du Châtelet, Paris, le 15 décembre


A signaler également : 
"Sentimentale", nouveau disque de Richard Galliano, chez Resonance Records

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