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"Retrouver la modernité de la musique ancienne" : Thomas Dunford, musicien baroque et homme de son temps

Il est l'une des figures de proue des jeunes musiciens baroques, au même titre que ses amis le claveciniste Jean Rondeau ou le chef Leonardo Garcia Alarcon : rencontre, à Ambronay, avec le luthiste et chef Thomas Dunford, musicien libre, à l'étroit dans toute chapelle…

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Le luthiste et chef Thomas Dunford le 18 septembre 2020. (BERTRAND PICHENE)

Ambronay 2020 : mi-septembre, aux premiers jours du festival, nous avons rencontré le luthiste et chef Thomas Dunford, figure de la nouvelle génération des musiciens baroques. Treize ans après avoir fait ses classes à la prestigieuse Académie d'Ambronay, le musicien est en tête d'affiche avec son propre ensemble, Jupiter, pour interpréter des pièces de Vivaldi avec la mezzo-soprano Lea Desandre. Jupiter, une formation qu'il a créée il y a peu "pour continuer à faire vivre la musique ancienne tout en la rendant plus moderne, en montrant à quel point elle peut être accessible", affiche son site, tout en rendant hommage aux pionniers de la redécouverte du baroque.

Franceinfo Culture : Il faut inoculer de la modernité dans la musique ancienne, dites-vous…
Thomas Dunford : C'est ce que font William Christie, John Eliot Gardiner, Philippe Herreweghe… J'adore travailler avec eux parce qu'ils prennent une musique, des manuscrits et en font quelque chose…

Le luthiste et chef Thomas Dunford le 18 septembre 2020. (BERTRAND PICHENE)

Mais je parlais de vous à propos de modernité...
Nous, on est dans cet esprit-là aussi : on pense que la musique, c'est avant tout un moyen de partager des émotions fortes ensemble. Et justement tout ce qui se passe avec les distanciations sociales, l'isolement… nous rappelle que vivre des moments forts d'émotion, c'est génial. Et les compositeurs baroques, c'est ce qu'ils voulaient aussi.

Vous citez les pionniers de la redécouverte du baroque…
Oui, car j'ai eu cette expérience-là avec tous ces musiciens qui m'ont beaucoup apporté. Déjà je suis né dans une famille de violistes. Mon père était violoncelliste à New York, il a commencé à écouter Jordi Savall et il a fait une sorte d'obsession sur Jordi Savall [rires]. Il est venu en Europe étudier et là il a rencontré ma mère dans la classe de Jordi, c'est dire si je dois beaucoup à Jordi [rires] ! Du coup, j'ai grandi dans cette musique baroque. J'ai joué du luth parce que je suis tombé sur cet instrument au hasard d'un stage, ça m'a plu. J'ai toujours adoré la musique, que ce soit les Beatles ou la musique baroque. Mais il s'avère qu'en jouant du luth, la musique baroque s'est imposée.

Vous n'avez pas pour autant oublié les Beatles, on entend la référence au groupe dans la composition que vous avez interprétée sur scène en bis du concert Vivaldi.
Oui, c'est ça [rires], c'est un mélange de Bach et des Beatles ! Mais justement c'est ce que j'aime : les artistes que je respecte, Bach, Mozart ou Paul McCartney, ne pensent pas qu'ils composent "dans ce style-là". Même Bach fait une Cantate du café, il s'amuse à faire de la musique française, de la musique italienne, il fait tout, McCartney pareil, il a fait les Beatles, puis sa carrière solo, mais il a également écrit de la musique pour orchestre et il est influencé par Beethoven et tant d'autres. Le fait d'être musicien c'est juste d'aimer la musique et la partager, peu importe les cadres ! Les gens aiment les étiquettes. Par exemple, moi qui suis musicien classique et baroque, on m'imagine très sérieux, dans une tenue noire, faisant un concert comme une espèce de performance-musée. Or ça, ça n'intéresse personne !

Comment s'en écarter, de ces "cadres" ?
C'est en travaillant avec différents chefs géniaux que je me suis dit que cette musique n'était pas faite avec un "chef" ! A l'époque c'était Vivaldi qui jouait du violon, ou Mozart du pianoforte avec les gens autour. Et donc on a une énergie commune qui est beaucoup plus forte : on réagit à l'oreille, à l'instinct, on ne réagit pas à des procédés visuels qui datent du 20e siècle ! Ce "truc" de chef est très important pour des musiques symphoniques où l'on doit mettre tout le monde d'accord, mais il est aberrant pour la musique baroque. Pour moi c'est aussi aberrant que diriger un groupe de jazz !

Alors, comment insuffler de la modernité concrètement ?
En réalité, nous on ne cherche pas à être modernes. Je pense que le résultat devient moderne, parce que la musique l'est. La musique de Vivaldi à l'époque où elle était jouée, était la musique de son temps et elle n'avait pas d'autres codes que ceux de la société de son temps. Comme les codes de l'époque de Louis XIV, avec les ornementations baroques françaises. Donc la musique réagit à son époque comme aujourd'hui quand on écoute de la pop, la musique réagit à notre société. C'est naturellement moderne.

Quelle est donc votre démarche ?
L'idée est de défendre cette musique avec tout ce que le compositeur y a écrit. Prenons une pièce comme Gelido in ogni vena : Vivaldi y décrit le sang glacé qui coule et c'est si bien écrit harmoniquement, il y a tellement de directions dynamiques à trouver ! Ce qu'on fait, concrètement, avec Jupiter : on se réunit avec un groupe d'amis, parmi mes musiciens préférés que j'ai trouvés dans différents groupes et je partage mon point de vue harmonique sur cette musique. Après avoir travaillé sur le texte, on essaie ensemble de trouver ce qu'a voulu dire Vivaldi en émotions dans cette musique, parce qu'elle est très puissante. Et je pense que ça mérite d'aller encore plus loin dans l'expression, qu'il ne faut jamais s'arrêter, sans tomber dans la caricature…

Le luthiste et chef Thomas Dunford le 18 septembre 2020. (BERTRAND PICHENE)

L'ensemble que vous avez créé, Jupiter, a donc choisi Vivaldi pour son premier disque et sa première tournée. Que représente-t-il pour vous ?
Vivaldi, c'est une montagne russe d'émotions ! Il y a un cadre précis qui est assez facile : toujours des marches harmoniques, des jolies lignes vocales, et ça permet à chacun d'exprimer sa personnalité. Et puis ce qu'on aime, avec Jupiter, c'est qu'il y ait des moments où on ne sait pas ce qui va se passer. Tout le monde se suit : Léa Desandre va proposer quelque chose et elle va créer un moment de suspension, ce sont ces moments d'imprévu un peu magiques que j'aime. Et il y a beaucoup d'improvisation, comme en jazz, le clavecin et le luth réalisant la ligne de basse.

Mais c'est en partie préparé, on suppose…
Ce n'est jamais préparé ! On a le cadre harmonique en tête, mais ensuite la manière d'égrainer les accords, les improvisations, ça doit arriver selon ce qui va le plus aider le texte musical. Et un violon va pouvoir jouer de manières tellement différentes, avec tellement d'articulations différentes qu'il faut toujours être dans l'instant de ce qui passe, comme en jazz. C'est simple : 10% de ce qu'on joue est écrit, 90% est de l'interprétation de couleurs, de dynamiques, des choses qui mettent en avant le texte. Mais la musique est tellement bien écrite qu'elle permet ça.

L'ensemble Jupiter a sorti en octobre 2019 "Vivaldi Jupiter" chez Alpha Classics.

Dates des concerts et tournées sur jupiter-ensemble.com 

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