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Paul Agnew sur le 8e livre des madrigaux ce soir sur Culturebox : "Monteverdi invente le rythme !"

Avec le 8e livre diffusé sur Culturebox Live, s'achève l'intégrale des madrigaux de Monteverdi initiée par Paul Agnew et Les Arts Florissants en 2011. Un voyage qui débute à l'orée du XVIIe siècle en pleine Renaissance et s'achève après l'avènement de l'opéra baroque, voyant une transformation radicale de la musique ! Rencontre avec Paul Agnew, chanteur et chef enthousiaste, à l'origine du projet.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Paul Agnew est chef associé aux Arts Florissants.
 (D.R.)
Le huitième est le dernier livre des Madrigaux de Monteverdi. Quelle place a-t-il ? Est-ce pour son auteur un aboutissement ou une œuvre testamentaire ?
Je crois qu'il ne pense pas comme ça, ce n'est pas un testament, d'ailleurs Monteverdi pensait sûrement que son travail n'était pas terminé, qu'il allait y avoir un 9e, un 10e et un 11e livre… Ce n'est pas non plus un aboutissement, mais plutôt un nouveau développement. On sait ce qu'ont représenté les précédents madrigaux dans l'évolution de la musique notamment dans l'idée de la primauté du texte (donc des paroles). Monteverdi le répète d'ailleurs dans son introduction au 8e livre : la mélodie et l'harmonie doivent servir les émotions du texte, elles sont donc au service de ce dernier. Mais à ces deux éléments s'en ajoute un nouveau dans le 8e livre : c'est le rythme, lui aussi, explique-t-il, destiné à aider à la compréhension du texte et à transmettre les sentiments. Donc il écrit un livre qui est hautement rythmique.
Claudio Monteverdi (1567-1643)
 (Alfredo Dagli Orti / The Art Archive / The Picture Desk)

De quoi parlent ces derniers madrigaux ?
Le 8e livre parle de guerre, mais ça n'a rien à voir avec la notion de guerre : c'est la guerre des sentiments. Certes, dans le "Combattimento di Tancredi e Clorinda" qui est le seul grand madrigal avec geste (donc une mise en scène), la toile de fond est la vraie guerre des Croisades, à Jérusalem. Mais là aussi on parle de guerre d'amour, entre deux êtres issus des deux camps opposés : le chrétien Tancrède et la musulmane Clorinde. Les deux ne parviennent pas à être amants, car ils ne se découvrent derrière l'armure qu'après le coup mortel que le premier inflige à la seconde.

Monteverdi s'intéresse toujours aux sentiments, à l'humanité d'une œuvre, et a fait appel pour les textes au poète Le Tasse qu'il considère comme le meilleur. Mais dans toutes ces pièces, on parle du bruit de la guerre. Et Monteverdi veut qu'on l'entende ce bruit, y compris musicalement. D'ailleurs, alors qu'il écrivait ses partitions, les instrumentistes, découvrant la succession de petites notes - "tapatapatapata" – se sont dit qu'hormis les cordes, ils ne pourraient jamais jouer tout cela ! Et Monteverdi a insisté. Et c'est comme ça qu'on entend la force du rythme, la percussion des instruments.

Monteverdi est-il le seul à se servir du rythme de la sorte ?
Peu de compositeurs vont aussi loin que lui, dans l'insistance sur les rythmes très pointés, parfois très violents. On dirait presque des onomatopées ! Ce sont des bruits très explicites, comme par exemple celui d'un archet qui frappe sur la corde, pour accompagner le mot "spade" (épées) chanté à ce moment-là. Après lui, évidemment, beaucoup de compositeurs se sont inspirés de cette méthode.
Paul Agnew et les Arts Florissants en répétition à la Philharmonie de Paris (avril 2015).
 (LCA/Culturebox)

Si ce 8e livre n'est pas un aboutissement pour Monteverdi, l'est-il pour vous, Paul Agnew, qui avec les Arts Florissants, avez entrepris d'interpréter l'intégrale des livres depuis 2011 ? Comment percevez-vous ce cheminement ?
L'aventure de l'intégrale de madrigaux est un voyage musical - 80 concerts à peu près - et humain – l'équipe est sensiblement la même depuis le 1er livre – qui compte énormément. Mais j'entends dans votre question également : est-on arrivés à quelque chose ? Ou plutôt : Monteverdi a-t-il formé quelque chose ? Je crois que je vais dire non. J'ai pris autant de plaisir avec le premier livre qu'avec le dernier, car la maîtrise et le style de Monteverdi par rapport à son époque sont aussi bons. Ce qui rend le voyage tellement fascinant est que la musique est en train de changer radicalement pendant ce temps là. Et Monteverdi n'est pas un révolutionnaire : quand on pense aux chromatismes de Monteverdi, on avait déjà entendu ça ! La monodie que le maître a révélée ? Déjà créée, avant 1607 ! Mais Monteverdi est le meilleur compositeur, de loin, de son époque ! Donc il sait écouter les expérimentations de ses collègues et en prend le meilleur parti avec le génie qu'on lui connaît. Or tout ceci – donc la transformation de la musique à l'œuvre - se passe dans les madrigaux et c'est ce qui les rend tellement importants. Il y a une très marquante évolution entre le début des madrigaux en pleine renaissance et le dernier livre, en 1638, en passant par "L'Orfeo" en 1607 ! Donc chaque livre a quelque chose à dire de particulier, ni mieux, ni moins bon que les autres.

Compte tenu de cette évolution, peut-on parler de "modernité" du Livre VIII des madrigaux ?
Il y a quelque chose de très basique dans cette association de texte et musique qui évoque par exemple les chansons de Brassens ou de Brel et même certaines chansons des Beatles. Après cette période, dès que la virtuosité de la voix domine, on perd ce mariage extraordinaire entre le texte et le chant. Quand on pense à "Au suivant" ou "Ne me quitte pas" qui est aussi puissant que le "Lamento della ninfa" du livre VIII, l'esthétique est la même. Oui, c'est la naissance de la musique moderne. La musique n'a pas changé depuis.

"Livre VIII des madrigaux" de Monteverdi au Théâtre de Caen
Les Arts Florissants 
Direction musicale de Paul Agnew
Le 28 mai
Et en Live sur Culturebox.



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