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"Manfred"de Schumann à l’Opéra Comique, un héros suicidaire sauvé par la musique
Ce n’est pas un opéra. C’est une musique de scène, qui accompagne en général une pièce de théâtre, à la manière du « Peer Gynt » de Grieg pour l’oeuvre d’Ibsen ou du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn pour celle de Shakespeare. A propos de « Manfred », Schumann parlait de « théâtre de l’âme »…
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Un concentré de romantisme sombre
C’est surtout un concentré de romantisme sombre. Est-ce pour cela que le spectacle baigne dans le noir ? Après « Alceste », « Aïda », « Elektra », « Les Puritains » à l’Opéra-Bastille… Ce doit être l’air du temps, bien lugubre et morose, à quoi succombe cette fois Georges Lavaudant, l’ancien directeur de l’Odéon. Il est vrai que le sujet s’y prête : le seigneur Manfred aspire à la mort dans son château alpin. Les génies de l’univers, qu’il invoque, lui répondent que la mort ne lui procurera pas l’oubli, qu’il est à lui-même son propre enfer. Un des génies s’incarne en femme (il a du goût : cette femme, dans la mise en scène de Lavaudant, est Greta Garbo!). Car le secret de Manfred est là : il a brisé le cœur de sa propre sœur, dont il était amoureux. Celle-ci, convoqué par Arimane, le prince de l’univers, prononce deux mots : « Manfred » et « Adieu ». Manfred descend vers le tombeau, refusant le soutien de l’Eglise qui aurait voulu sauver cette âme perdue pour elle. Et refusant aussi les esprits infernaux : « La main de la Mort est sur moi –mais non la vôtre ! ». « Manfred », poème dramatique de Lord Byron (lui-même, disait-on, amoureux de sa propre demi-sœur) sentait déjà le soufre à sa parution en 1817.
Lavaudant a choisi la solution du comédien unique
« Manfred » est donc un long poème et non une pièce de théâtre –première difficulté de mise en scène! Un poème empreint de désespoir existentiel avant la lettre et d’un courageux refus (pour l’époque) de tout recours à la religion, un poème porté par un souffle poétique rare… et si dense qu’il n’est pas évident à suivre quand on l’entend ainsi déclamé. Lavaudant a choisi la solution du comédien unique (Pascal Rénéric) se partageant Manfred et les autres figures masculines. La performance de Rénéric est indéniable mais son personnage succombe à la tentation du pathos, du trémolo dans la voix, de la déclamation (il est paradoxalement bien meilleur dans les rôles annexes). On devrait compatir au destin douloureux de Manfred, on voit d’abord un comédien en REPRESENTATION. Astrid Bas, dans les rôles féminins, joue plus droit et… on l’écoute. Lavaudant installe quelques éléments de décor sur un fond noir strié par une diagonale de peintures claires, telle une aspiration au ciel. Belle image des esprits infernaux se reflétant sur des miroirs avec leurs gants rouges miroitants. Mais l’articulation du texte et de la musique se fait souvent mal : « Esprits ! Apparaissez !» déclame Manfred d’une voix de bronze; et entrent d’un pas de sénateur quatre placides chanteurs en costume contemporain…
Schumann savait être un grand orchestrateur
Heureusement il y a la musique. Mais là aussi Schumann cumule les difficultés. Aucun air soliste. Que des quatuors vocaux (superbes), des chœurs, des morceaux d’orchestre. Magnifiquement écrits, prouvant que Schumann savait être un grand orchestrateur. Quant aux passages chantés (le « Requiem Aeternam » qui accompagne Manfred au tombeau est magique), ils sont dans la grande tradition allemande, mêlant avec génie sentiment de la nature et religiosité.
Emmanuel Krivine dirige avec fougue et densité sa Chambre Philarmonique dans une ouverture où les instruments d’époque montrent leur limite (cordes affreusement acides, à la limite du désaccordé, dérapages chez les cuivres). Cela va mieux par la suite, grâce surtout aux bois (le cor anglais, les clarinettes…). Belles interventions solistes des esprits malgré le ténor à la peine d’Olivier Dumait. Les hommes du chœur « Les Eléments » sont mieux chantants (et de meilleure projection) que les femmes, ce qui est gênant quand ils se répondent.
Une initiative courageuse de l'Opéra Comique
C’est Liszt qui créera « Manfred » à Weimar en 1852, preuve de l’admiration qu’il portait à Schumann. Celui-ci n’était pas là, déjà marqué par les troubles mentaux qui allaient l’emporter quatre ans plus tard. Malgré les réserves que j’ai émises, on ne peut qu’être ravi de cette initiative courageuse de l’Opéra Comique, en espérant y voir un jour ou l’autre le vrai (et seul) opéra de Schumann : « Genoveva », jamais joué non plus…
« Manfred » de Schumann à l’Opéra-Comique
Les 11, 12, 14 et 15 décembre.
1, Place Boieldieu, Paris IIe
Réservations : 01 42 44 45 40
C’est surtout un concentré de romantisme sombre. Est-ce pour cela que le spectacle baigne dans le noir ? Après « Alceste », « Aïda », « Elektra », « Les Puritains » à l’Opéra-Bastille… Ce doit être l’air du temps, bien lugubre et morose, à quoi succombe cette fois Georges Lavaudant, l’ancien directeur de l’Odéon. Il est vrai que le sujet s’y prête : le seigneur Manfred aspire à la mort dans son château alpin. Les génies de l’univers, qu’il invoque, lui répondent que la mort ne lui procurera pas l’oubli, qu’il est à lui-même son propre enfer. Un des génies s’incarne en femme (il a du goût : cette femme, dans la mise en scène de Lavaudant, est Greta Garbo!). Car le secret de Manfred est là : il a brisé le cœur de sa propre sœur, dont il était amoureux. Celle-ci, convoqué par Arimane, le prince de l’univers, prononce deux mots : « Manfred » et « Adieu ». Manfred descend vers le tombeau, refusant le soutien de l’Eglise qui aurait voulu sauver cette âme perdue pour elle. Et refusant aussi les esprits infernaux : « La main de la Mort est sur moi –mais non la vôtre ! ». « Manfred », poème dramatique de Lord Byron (lui-même, disait-on, amoureux de sa propre demi-sœur) sentait déjà le soufre à sa parution en 1817.
Lavaudant a choisi la solution du comédien unique
« Manfred » est donc un long poème et non une pièce de théâtre –première difficulté de mise en scène! Un poème empreint de désespoir existentiel avant la lettre et d’un courageux refus (pour l’époque) de tout recours à la religion, un poème porté par un souffle poétique rare… et si dense qu’il n’est pas évident à suivre quand on l’entend ainsi déclamé. Lavaudant a choisi la solution du comédien unique (Pascal Rénéric) se partageant Manfred et les autres figures masculines. La performance de Rénéric est indéniable mais son personnage succombe à la tentation du pathos, du trémolo dans la voix, de la déclamation (il est paradoxalement bien meilleur dans les rôles annexes). On devrait compatir au destin douloureux de Manfred, on voit d’abord un comédien en REPRESENTATION. Astrid Bas, dans les rôles féminins, joue plus droit et… on l’écoute. Lavaudant installe quelques éléments de décor sur un fond noir strié par une diagonale de peintures claires, telle une aspiration au ciel. Belle image des esprits infernaux se reflétant sur des miroirs avec leurs gants rouges miroitants. Mais l’articulation du texte et de la musique se fait souvent mal : « Esprits ! Apparaissez !» déclame Manfred d’une voix de bronze; et entrent d’un pas de sénateur quatre placides chanteurs en costume contemporain…
Schumann savait être un grand orchestrateur
Heureusement il y a la musique. Mais là aussi Schumann cumule les difficultés. Aucun air soliste. Que des quatuors vocaux (superbes), des chœurs, des morceaux d’orchestre. Magnifiquement écrits, prouvant que Schumann savait être un grand orchestrateur. Quant aux passages chantés (le « Requiem Aeternam » qui accompagne Manfred au tombeau est magique), ils sont dans la grande tradition allemande, mêlant avec génie sentiment de la nature et religiosité.
Emmanuel Krivine dirige avec fougue et densité sa Chambre Philarmonique dans une ouverture où les instruments d’époque montrent leur limite (cordes affreusement acides, à la limite du désaccordé, dérapages chez les cuivres). Cela va mieux par la suite, grâce surtout aux bois (le cor anglais, les clarinettes…). Belles interventions solistes des esprits malgré le ténor à la peine d’Olivier Dumait. Les hommes du chœur « Les Eléments » sont mieux chantants (et de meilleure projection) que les femmes, ce qui est gênant quand ils se répondent.
Une initiative courageuse de l'Opéra Comique
C’est Liszt qui créera « Manfred » à Weimar en 1852, preuve de l’admiration qu’il portait à Schumann. Celui-ci n’était pas là, déjà marqué par les troubles mentaux qui allaient l’emporter quatre ans plus tard. Malgré les réserves que j’ai émises, on ne peut qu’être ravi de cette initiative courageuse de l’Opéra Comique, en espérant y voir un jour ou l’autre le vrai (et seul) opéra de Schumann : « Genoveva », jamais joué non plus…
« Manfred » de Schumann à l’Opéra-Comique
Les 11, 12, 14 et 15 décembre.
1, Place Boieldieu, Paris IIe
Réservations : 01 42 44 45 40
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