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Lise de la Salle et Christian-Pierre La Marca livrent un romantique aller-retour "Paris-Moscou"

Deux solistes de grand talent et d'expérience, malgré leur jeunesse : la pianiste Lise de la Salle et le violoncelliste Christian-Pierre La Marca. Ensemble pour un disque, "Paris-Moscou" chez Sony, éloge d'une émulation musicale des plus fertiles, entre artistes russes et français à l'aube du 20e siècle : Rachmaninov, Fauré, Rimski-Korsakov et les autres. Rencontre, interview croisée.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Christian-Pierre La Marca et Lise de la Salle.
 (Julien Mignot)

Fin 19e siècle, début 20e : dans la russophilie ambiante dans les milieux artistiques français,  la musique est en première ligne. On tend l'oreille aux sons venus de Moscou, de Stravinsky à Rachmaninov, de Prokofiev à Tchaïkovski. "La fascination est réciproque", lancent la pianiste Lise de la Salle et le violoncelliste Christian-Pierre La Marca qui consacrent à cet axe "Paris-Moscou" leur premier disque commun chez Sony. Au centre du disque trône la très romantique sonate pour violoncelle et piano en sol mineur de Rachmaninov : en face, des pièces de Fauré, mais aussi de Saint-Saëns et de Massenet. Voyage au cœur d'une émulation artistique et d'une époque. Explications avec les deux artistes français que nous avons rencontrés dans un café parisien : une longue conversation au cours de laquelle l'un et l'autre n'ont cessé de s'interrompre, de se bousculer avec amitié… pour dire leur enchantement face à un tel voyage romantique.


L'axe Russie-France : c'est un répertoire que vous avez en permanence dans les doigts. Pourquoi l'avoir choisi pour ce disque ?
Christian-Pierre La Marca : C'est avant tout une question de pièces : la sonate de Rachmaninov est une grande œuvre du répertoire. En face, on a voulu mettre un bloc français qu'on aimait, parce que, déjà, on est très fans de Gabriel Fauré. Mais quelles pièces ? Un autre critère du choix est l'époque, la fin du 19e : il fallait marquer le moment où s'exerce cette fascination réciproque entre les musiciens français et les musiciens russes. Et montrer qu'à la même période ont cohabité des propositions aussi différentes que Fauré, Rachmaninov, Stravinsky, Prokofiev. Ils ont écrit des musiques presque opposées, et dont on ressent les influences et les traditions. On veut d'ailleurs que ce soit vraiment compris comme un bloc de pièces, et non pas une succession de petites pièces.

Lise de la Salle : C'est intéressant que parmi tous ces compositeurs qui ont vécu à la même époque, Rachmaninov et Fauré sont les deux grands héritiers de la tradition romantique, en rupture avec des compositeurs comme Stravinsky ou Prokofiev.
Christian-Pierre La Marca : Fauré, c'est le dernier géant après Saint-Saëns…
Lise de la Salle : Oui, il y a un air de Saint-Saëns sur le disque. Ce sont les deux derniers à avoir traduit ce lyrisme fou dans leur musique. Et les deux ont eu, parfois, des images un peu faussées. Je pense par exemple à Rachmaninov qu'on a mal compris, qu'on a considéré un peu trop kitch, trop sucré ! Alors que dans notre approche de la sonate, on est beaucoup allé à la clarté, à la délicatesse et à la subtilité, qui sont dans cette musique, spontanément. Donc si on est fidèle au texte, à la partition, ce n'est pas du tout une musique sucrée, "gnangnan"… Il y a des élans et des effets mais d'une distinction ! C'est l'âme russe, il est un peu le tsar de la musique, pour moi.


Votre disque est aussi une succession de tubes…
Christian-Pierre La Marca : C'est vrai que ce sont des pièces très connues : "Elégie" de Fauré c'est un tube, comme sa "Sicilienne" ou sa "Pavane". Les pièces de Fauré ont un vrai impact bizarrement, alors qu'on pourrait se dire que c'est un compositeur qui a un langage très spécifique… C'est peut-être aussi le cas de Rachmaninov. Ils sont…
Lise de la Salle : …des créateurs de tubes, c'est vrai (rires) !
Christian-Pierre La Marca : Parce qu'à l'instar de Schubert, ce sont des mélodistes ! Et quand on a cette force de création de mélodies, ça donne des tubes. On a essayé de trouver l'agrément dans la vocalité ou dans l'opéra, on est tous les deux fascinés par la voix, dans notre travail ça reste une constante de la recherche instrumentale.


La vocalité, c'est vrai, paraît être une dimension importante de ce disque…
Lise de la Salle : Ça l'est, absolument. Mais, en même temps, que veut dire la "vocalité" exactement ? Il ne faudrait pas mettre en opposition d'un côté la transcription d'opéras et de petites pièces et de l'autre les pièces de répertoire où il n'y aurait pas de vocalité… La voix et le modèle de l'humain chantant, c'est quelque chose qui ne nous quitte jamais, quoiqu'on fasse ! Qu'on interprète du Bach, du Chopin, du Rachmaninov ou du Fauré.
  (Julien Mignot)
Christian-Pierre La Marca : Disons-le autrement : je crois que la vocalité nous permet de créer des phrases "naturelles". La gestion de la respiration fait qu'on est obligés de découper les phrases d'une certaine manière : la musique en devient "naturelle". La vocalité est beaucoup plus dans ce sens-là que dans le fait d'être dans un romantisme exacerbé. En gros, ce n'est pas : je chante, je chante, mais : je construis mes phrases. Et donc je sais où je respire et c'est la gestion l'air, de l'archer, de la pédale, du phrasé… tout ça est fondamental.
Lise de la Salle : Oui, mais ça, c'est tout le temps ! Alors que là, on est face à un répertoire qui nous porte en particulier dans cette direction.


Le disque "Paris-Moscou" est un aussi un joli moment de dialogue entre le piano et le violoncelle, qui s'exprime en particulier dans la Sonate de Rachmaninov…
Christian-Pierre La Marca : Oui, parce que la structure sonate est construite ainsi, avec un réel échange thématique : il y a une exposition solo au piano, puis ensuite le violoncelle commente les thèmes exposés.
Lise de la Salle : C'est que chez Rachmaninov, il y a cette intelligence d'écriture : il a pensé un jeu génial entre violoncelle et piano, comme un match de ping-pong : on se passe la balle, on dialogue.
Christian-Pierre La Marca : Et c'est ça qui est intéressant pour nous à faire ressortir. Parce qu'en même temps il y a une partie piano qui est assez dense dans cette sonate…
Lise de la Salle : Très dense, même…
Christian-Pierre La Marca : Oui, puisqu'elle a été écrite sur le modèle de la sonate de Chopin, qui était la grande sonate romantique de la fin du siècle : la base des mouvements est la même, la longueur est quasiment la même, mis à part le mouvement lent. Mais on sent qu'il y a une volonté de dialogue.


Et le dialogue, c'est aussi celui de deux musiciens. Comment s'est passée votre collaboration pour ce premier disque ensemble ?
Lise de la Salle : Ça, c'est vraiment lié à notre histoire, on s'est rencontrés il y a longtemps, entre amis, en dehors de toute pression professionnelle. Après on s'est dit qu'on allait pouvoir faire de la musique ensemble, pour le plaisir. On a commencé par jouer du Beethoven, et de fil en aiguille, ça a grandi. J'espère que cette entente humaine se ressent dans le disque.
Christian-Pierre La Marca : Il y avait déjà une forme d'évidence quand on a commencé à jouer ensemble, on s'est dit : on parle la même langue.


Ça veut dire quoi, concrètement ?
Christian-Pierre La Marca : Ça veut dire qu'on n'est pas obligés de mettre en question chaque réflexion, chaque direction, chaque phrasé. On a la même vision musicale, la même sensibilité. Et à partir de cela, on construit une œuvre ensemble. C'est vrai que dans le travail, ça a été très peu laborieux…
Lise de la Salle : Même pas du tout ! (rires) On n'a jamais eu une idée différente. Pas un passage où l'un essaie de convaincre l'autre.
Christian-Pierre La Marca : C'est vrai, il y a une évidence.


Que retiendrez-vous de cette rencontre musicale franco-russe ?
Christian-Pierre La Marca : Mon premier ressenti est que c'est un disque d'une tendresse infinie et qui décrit le romantisme exacerbé d'une époque.
Lise de la Salle : Et en même temps, d'une grande délicatesse. Quand on sort de scène ou d'une session de travail avec ce programme, on a la banane ! C'est relativement rare d'avoir ce sentiment. On aime notre métier, mais il y a des pièces avec lesquelles on a n'a pas ce bien-être… Là, j'ai l'impression d'entrer dans un bain bouillant, ah….

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