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Le 29 janvier, Salle Gaveau : "Salut Salon", un quatuor de musiciennes virtuoses et hilarantes

Elles sont quatre, tout droit venues de Hambourg. Virtuoses classiques, elles secouent le cocotier depuis près de quinze ans et leurs spectacles font un tabac. Au menu : Bach, Liszt, les tangos de Piazzolla, avec un peu de folk ou de la pop chinoise, tout ça mélangé et en version acrobatique. Un nouveau disque sous le bras, elles sont Salle Gaveau vendredi prochain. Nous les avons rencontrées.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Angelika Bachmann (violon et chant), Iris Siegfried (violon et chant), Soja Lena Schmid (violoncelle et chant) et Anne-Monika von Twardowski (piano et chant) forment le quatuor Salut Salon.
 (Thorsten Wingenfelder)

"Salut Salon", ce drôle de nom ne vous dira sûrement rien. Et pourtant, une de leurs vidéos a recueilli plus de 20 millions de vues sur YouTube. Et le phénomène risque de se propager encore.

Le rire est contagieux. "Salut Salon" est un quatuor de musiciennes virtuoses : deux violonistes, une violoncelliste et une pianiste, parfois accompagnées… d'une marionnette. Signe particulier : ces filles s'amusent et leur terrain de jeu est un mélange de Bach, Liszt, Piazzolla, des chansons pop chinoises ou… de la folk finlandaise. Sur scène, les partitions prennent du relief, les notes bifurquent, les archets passent d'un violon à l'autre, la pianiste joue les bras croisés, et Vivaldi rencontre la musique de James Bond ! Difficile de résister.

L'humour est dans la musique

Pour comprendre ce phénomène, nous rencontrons deux des membres de Salut Salon, Angelika Bachmann et Anne-Monika von Twardowski de passage à Paris entre deux dates de tournée. La petite quarantaine, look décontracté, le regard malicieux. Elles ne font pas de chichi,  la parole est simple et directe, et le fou rire toujours à portée de main. Malgré le succès aujourd'hui immense, les quatre musiciennes ont eu largement le temps de ne pas prendre la grosse tête : le groupe est né il y a près de quatorze ans, à Hambourg, mais l'histoire commence à la petite enfance pour deux d'entre elles, Angelika et Iris. Copines de toujours, elles sont premier violon côte à côte dans des orchestres voisins et, désireuses de ne pas être seulement des virtuoses du classique, elles fréquentent, adolescentes, "Jour fixe", un rendez-vous mensuel de musiciens, acteurs et écrivains. Ça s'appelait alors un "salon", ce qui explique une partie de leur nom bizarre. L'autre partie de "Salut Salon" vient de leur admiration pour la pièce d'Edward Elgar, "Salut l'amour" : ça, c'est leur côté mélomane et connaisseur. Car l'essence de leur jeu vient d'abord de ça, de ce répertoire classique qu'elles ont appris dans les règles de l'art au conservatoire.

"En réalité l'humour est dans la musique", explique Anne-Monika, "il suffit de le trouver. Regardez par exemple, ce morceau de Jacques Ibert que nous jouons, "Le petit âne blanc" : on y entend quasiment l'âne brailler !". Elles ont le don de savoir le mettre en valeur. "Mais Paganini et Mozart étaient des gens très drôles", ajoute Angelika, "le côté sérieux attribué à leur musique est venu après leur mort !". Effet collatéral, cet humour en musique permet aussi d'aborder tout type de répertoire (Mendelssohn, Khatchaturian, Weill) avec des spectateurs pas nécessairement coutumiers de la chose. "C'est vrai", avoue avec une certaine fierté Angelika, "le fait qu'il y ait une porte ouverte pour eux est important. Mais ça vaut aussi pour les mélomanes qui connaissent parfaitement le classique et là l'écoutent d'une oreille différente, avec des arrangements nouveaux…".

Fous rires

Les quatre ont ajouté quelques ingrédients au répertoire classique, en s'inspirant notamment du pianiste et comédien danois Victor Borge et, plus encore, du clown suisse Dimitri : "c'est sa poésie qui m'inspire", dit Angelika, "parfois c'est même sa tristesse, sa mélancolie". "En fait la chose la plus importante est de garder les yeux ouverts", poursuit Anne-Monika : "Parfois on voit un homme jouer dans la rue des choses vraiment très drôles, on rit et on s'en inspire". Et puis c'est une question d'humeur. "Nous aimons tellement rire qu'on ne pourrait pas jouer de la musique sans s'amuser !", disent-elles en chœur. "Parfois, sur scène on en oublie même le public, ce que ce dernier apprécie car il sent que quelque chose d'authentique a lieu devant lui. Hier soir, on a dû rire au moins vingt minutes de suite !" 

Preuve que le jeu de Salut Salon est avant tout musical, le quatuor vient de sortir en CD, chez Warner Classics, son dernier projet autour du "Carnaval des animaux" de Camille Saint-Saëns. Un univers qui va bien à son esprit espiègle : le musicien français était fasciné par l'idée de transformation que suggère le carnaval et pour composer l'œuvre il s'est inspiré lui-même des pièces de ses confrères en les détournant soigneusement. Son Carnaval est peuplé d'hémiones, de lions, de cygnes et d'oiseaux gazouilleurs, certes, mais c'est un univers où la frontière homme/animal se fait ténue. Rien qui n'amuse davantage Salut Salon qui a ajouté dans le disque d'autres morceaux qui renforcent l'impression de métamorphose kafkaïenne et le sentiment de dualité. Exemple, avec le redoutable "Requin" d'Astor Piazzolla. Ou, mieux encore, la chanson signée Wittenbring/Siegfried, "J'ai en moi un zoo tout en entier" qui interroge : "L'Homme n'est-il pas un animal ?/Quel rôle jouer aujourd'hui ?/Un loup déguisé en brebis ?/ Ou l'agneau, la proie facile ?". L'accent allemand en français rappelant l'héritage des interprètes féminines de Kurt Weill, l'humour de Salut Salon est subtil et poétique.  L'hommage à l'animal devient sensuel dans le "Chant d'amour à la méduse lumineuse" de Lhasa de Sela ("L'eau m'embrasse/Je cherche ta lumière/La lumière de ta bouche/La lumière de tes yeux") et menaçant dans cette reprise de "La chanson de Kaa" ("Aie confiance") du "Livre de la jungle" dans laquelle on dit : "Le silence propice te berce/Souris et sois complice/Laisse tes sens glisser vers ces délices tentatrices".

Animalité

L'homme est parfois un loup pour l'homme, ou un serpent en l'occurrence, les musiciennes de Salut Salon en sont d'accord : "ce disque parle, plus largement, de notre humanité ou si vous préférez de notre animalité", en déduit Angelika. Et Anne-Monika d'ajouter : "C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus intéressants quand on travaille sur ce type de projet. Il ne s'agit pas seulement de chercher des musiques qui aillent bien ensemble, mais aussi de se poser des questions philosophiques comme par exemple : quel est l'animal en nous ?". De la philosophie, Angelika a fait la matière de ses études universitaires (tandis que son amie Iris devenait avocate en droits d'auteur), auxquelles elle vient d'ajouter une thèse de sociologie sur l'intervention dans les prisons pour mineurs : "j'ai déjà 21 heures d'interview avec des prisonniers", lance-t-elle avec un soudain sérieux et faisant attention à ce qu'on ne confonde pas ses activités personnelles et les concerts que Salut Salon effectue régulièrement en milieu carcéral.
  (Warner Classics)

Derrière l'humour et les fous rires, cette sensibilité envers l'autre est marquante chez les quatre musiciennes. En particulier, Angelika Bachmann et Iris Siegfried ont développé une approche pédagogique envers les enfants qui a pris la forme de quatre grands projets éducatifs (dont l'initiative "The Young ClassiX") salués à diverses reprises par le président de la République allemande. Une aptitude qui vient de très loin. "On est très reconnaissantes d'avoir pu apprendre à jouer d'un instrument dans notre enfance", explique Angelika, "ce qui nous a permis de nous exprimer, car ce n'est pas toujours évident de parler. Pour moi, la langue est un mauvais moyen pour dire ce qu'on pense, il y a des choses qu'il est plus facile de dire par la musique. Alors j'aime pouvoir à mon tour transmettre ça aux enfants. Leur apprendre à jouer, mais pas pour devenir soliste, être sur scène, mais pour qu'ils aient une nouvelle vue sur le monde, pour qu'ils soient plus riches à l'intérieur, à l'extérieur ça ne sert pas à grand-chose. Donner ça aux enfants, c'est aussi leur donner la possibilité de parler avec eux-mêmes". Angelika s'arrête brusquement. Le ton est-il trop sérieux ? Eclate alors un nouveau fou rire.


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