Laurence Equilbey sublime l'esprit libre et le raffinement de Mozart dans sa "Messe du couronnement"
Sorti avant l’été, enfoui sous l’actualité combinée d’Insula Orchestra et de la nouvelle Seine musicale où Laurence Equilbey et son ensemble se sont installés en résidence, un disque mérite qu’on le signale avant que le suivant prenne sa place : le diptyque "Messe du couronnement / Vêpres solennelles pour un confesseur", de Mozart, chez Erato. Suivra un enregistrement de lieder de Schubert prévu d’ici quelques jours.
Mozart, dans l’ADN d’Insula Orchestra
"Mozart fait partie du cœur de notre répertoire", affirme d’emblée Laurence Equilbey, rencontrée pour l’occasion dans son nouveau port d’attache. Mozart est "dans l’ADN" de la chef et d’Insula Orchestra : "Il y a chez lui une forme d’insolence, et aussi de juvénilité que j’apprécie beaucoup, d’urgence dans sa musique et à la fois de grande profondeur. Ces valeurs de Mozart me touchent."La "Messe du couronnement en ut majeur K317", suivie des "Vêpres solennelles pour un confesseur K339" est un classique, moult fois gravé. "Ces deux œuvres-là, je les ai enregistrées sous la direction de Nikolaus Harnoncourt à Vienne quand j’étais étudiante, c’est au début de mes études viennoises", se souvient Laurence Equilbey. Enseignement fondateur : "Je me rappelle pratiquement de chaque jour de répétition pour ça. Maintenant il se trouve - mais c’est complètement un hasard - que ce disque sort au moment où on ouvre ce nouveau lieu et c’est comme si ce nouveau chapitre était marqué par cet album de Mozart."
Un "diptyque" composé par Mozart au terme d’un voyage européen désastreux
Pour ces deux œuvres, on parle souvent d’un diptyque : parce que les instruments utilisés sont les mêmes - il n’y a pas d’altos par exemple dans l’orchestre - et surtout, "parce que ces œuvres ont été composées dans la même période très particulière de la vie de Mozart où il revient à Salzbourg assez dépité de ses insuccès notamment à Paris", explique Laurence Equilbey.En effet, le long voyage de Mozart en Europe (entre 1777 et 1779) censé lui procurer un poste à la hauteur de son talent, a donné de piètres résultats. Pis : sa mère, qui l’accompagnait, meurt à la fin du séjour parisien. Le jeune homme (il a alors 22 ans) est effondré. Et contraint, en rentrant en Autriche, de travailler à nouveau pour quelqu’un qu’il “déteste jusqu’à la frénésie“, l’archevêque-prince de Salzbourg, Colloredo.
Aux injonctions de Colloredo, Mozart répond par l’insolence et l’humour
Depuis quelques années, celui-ci mène tambour battant son “Aufklärung catholique“, une réforme pour un culte (catholique) plus sobre et plus simple qui fasse concurrence aux protestants. Il ne veut pas leur laisser le monopole de la modération et de l’austérité : alors, sur le plan de la commande musicale, cela se traduit par l’exigence d’œuvres religieuses plus courtes et… sans faste. Fonctionnelles, en d’autres termes. Mozart est exaspéré.Et pourtant la “Messe du couronnement“ ainsi que les “Vêpres“ qu’il compose pour Colloredo passeront la censure. Par quel miracle ? Elles parviennent à contourner très habilement les consignes extrêmement rigoureuses de l’archevêque : il fallait faire plus court ? Mozart compose des tempi extrêmement rapides du “Gloria“ et du “Credo“, des "dictées de texte à toute allure", raconte en riant Laurence Equilbey. Il ne fallait pas faire trop militaire ? Mozart "a rajouté force trompettes timbales à la fin du Dona nobis pacem" : "C’étaient quand-même des réponses très insolentes !", poursuit-elle. Aux sévères injonctions de l’archevêque, le musicien a répondu par l’humour. Et c’est beau.
Dramaturgie
"La Messe" est donc une œuvre brillante, riche et presque festive, malgré les injonctions de son commanditaire, parce que portée par une véritable dramaturgie. Elle exprime la souffrance d’abord, par la coulpe et la supplication (Gloria et Credo), puis peu à peu la tendresse de la rencontre du Christ et la lumière, jusqu’à suggérer un état de sérénité (le très célèbre "Agnus Dei" pour soprano et hautbois, très joliment porté par la soprano Sandrine Piau, complice de longue date de Laurence Equilbey). De l’expression donc, plutôt que de la sobriété. Et Laurence Equilbey, avec le chœur qu’elle a créé il y a plus de 25 ans, Accentus, ainsi qu’avec Insula Orchestra, en joue délibérément. Dans la rapidité du Credo, d’abord, question tempo. Puis dans l’esprit, quasi-opératique et très peu religieux, par exemple, du "Dona nobis pacem" : "Quand Mozart imagine des bruits de guerre, je les renforce plutôt que gommer l’effet, avec des timbales et trompettes très émergents !", dit la chef d’orchestre."En contraste, en revanche, les numéros très profonds des Vêpres solennelles pour un confesseur, je les approfondis encore", ajoute-t-elle, "notamment dans le Laudate Dominum, un morceau "vraiment bouleversant", conclut Laurence Equilbey.
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