La Seine Musicale : 5 questions à Laurence Equilbey avant son concert
Plus de 25 ans que Laurence Equilbey a imposé sa marque dans le paysage musical français. A la fois comme chef de chœur, à la tête d’Accentus qu’elle fonde en 1991 et dont la stature est devenue internationale en quelques années à peine, et comme chef d’orchestre, durablement influencée par la figure de Nikolaus Harnoncourt. Longtemps Laurence Equilbey a été (et est toujours) chef invitée de formations prestigieuses dans le monde, mais il y a cinq ans elle a fondé son propre orchestre sur instruments d’époque, Insula Orchestra, soutenu par le département des Hauts-de-Seine. Cette formation possède aujourd’hui, dans la toute nouvelle "Seine Musicale" son propre lieu de résidence. C’est là, sur l’île Seguin, à l’ouest de Paris qu’elle nous reçoit, dans des bureaux offrant une vue ensoleillée sur la végétation luxuriante des bords de Seine coté Sèvres.
1. Quel sentiment vous anime aujourd’hui en vous installant à la Seine Musicale, déjà plus de 25 ans après vos débuts ?
Il y a beaucoup d’émotion, on sent que c’est un grand chapitre qui s’ouvre et c’est très touchant pour un artiste et pour une équipe artistique. Insula Orchestra, née il y a cinq ans avec la perspective de cette résidence à la Seine Musicale, a beaucoup joué dans le département, ailleurs en France et à l’étranger, soutenue notamment par des compagnonnages très précieux, comme celui avec la Philharmonie ou le Grand Théâtre de Provence où je suis artiste associée. Mais aujourd’hui, il s’ouvre ici quelque chose de complètement nouveau : nous sommes en résidence, mais avec une liberté de programmation quasi-totale (sauf question économique), avec notre rythme et la possibilité de défendre plus facilement qu’auparavant nos valeurs et nos idées. On est d’un coup en liberté complète, avec notre page blanche à écrire, c’est extraordinaire. A cela s’ajoute la possibilité dans le cadre de cette résidence de programmer des ensembles, des phalanges, des solistes, ce qui favorise une vraie synergie sur le plan artistique et sur le plan éducatif, concernant les nouveaux publics. C’est donc un nouveau chapitre qui s’ouvre et j’ai décidé d’en goûter chaque heure de chaque journée, parce que c’est une chance unique.
2. Chef et directrice artistique en résidence ici, votre intention déclarée est de "faire briller la musique dans son époque" mais avec le défi de la partager à un vaste public et la volonté de casser les codes du classique. Comment allez-vous vous y prendre ?
Dans ma philosophie – que je tiens peut-être de Nikolaus Harnoncourt avec qui j’ai beaucoup travaillé à Vienne – on cherche à être au plus près de ce que voulait dire le compositeur, de manière à comprendre aussi sa résonance avec l’époque d’aujourd’hui. Ainsi, avec des instruments de l’époque des compositeurs qui possèdent toute leur modernité et leur véracité, on est dans quelque chose de juste. Mais on peut aussi considérer que notre époque est très visuelle, et aller dans ce sens, pour capter la jeune génération : je suis personnellement passionnée d’arts visuels, j’aime beaucoup les chorégraphies, les metteurs en scène, les plasticiens, les vidéastes et ça m’intéresse de faire se rencontrer les arts.
3. Le répertoire – qui pour Insula Orchestra comprend essentiellement la période classique et le pré-romantisme – vous définit-il ?
C’est vrai qu’il y a une grande partie de moi dans le répertoire préromantique, notamment Beethoven et Weber. Ce sont des compositeurs non seulement dont j’adore le langage mais aussi que j’aime diriger. Il y a par exemple des pièces baroques que j’aime beaucoup mais que je ne trouve pas excitantes à diriger parce qu’elles n’ont pratiquement pas besoin de chef. Tandis qu’un Weber, vous sentez que vous êtes aux affaires ! Sans doute est-ce à cause de mon enfance en Forêt Noire, en tout cas ce frémissement-là me touche beaucoup, c’est une grande partie de moi. Cela dit, si on pense aux 25 ans passés, j’ai fait beaucoup de contemporain aussi, une centaine de créations, et j’en referai sûrement.
4. En quoi ce lieu vous inspire ou vous influence ? Alors que la Philharmonie se situe dans l’est de la capitale, en bordure de quartiers moins favorisés (d’où également une politique d’ouverture des publics plus orientée), la Seine musicale est à l’ouest, plus chic, mais située sur une île autrefois dédiée aux usines Renault…
On est très complémentaires avec la Philharmonie ! A la Seine Musicale, la partie Insula Orchestra est une mission de service public, donc on a à peu près les mêmes objectifs : des tarifications basses, une ouverture à tous les publics, des projets accessibles et à la fois très exigeants artistiquement… Mais on n’est pas un établissement culturel, ce n’est pas la même échelle. Pour le reste, je me sens très bien ici parce que j’aime la nouveauté, j’aime cette esthétique japonaise très épurée de Shigeru Ban et Jean de Gastines, sur les bétons et les lumières traversantes. Et on a la chance d’être environnés par les coteaux de Meudon. Un peu de nature, de paix, de beauté, cette luminosité, cette grandeur, l’oxygène, c’est très inspirant pour un artiste ! De plus, la dimension historique du lieu est importante. Dans le spectacle pour l’inauguration, vous verrez qu’on retrace un peu l’histoire de l’île, notamment la période de l’usine Renault. On se dit que c’est incroyable de bâtir sur un lieu qui a eu une telle histoire !
5. Comment avez-vous imaginé le concert d’inauguration ?
L’idée de force est de partir de l’individuel pour aller vers l’universel. Donc on a une première partie mozartienne qui serait plutôt une forme de vaudeville politique, en écho à notre dimanche (les élections ndr), c’est le côté joyeux de l’événement. Puis viendra un côté très sombre à travers Weber – on traverse quelque chose d’assez tragique et dramatique - avant d’ouvrir sur l’universel - la joie, les ambitions, les enjeux, le sens de la vie et le sens de la musique, avec Beethoven. Donc il y a un parcours.
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