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La disparition de Roland Dyens, géant de la guitare, artiste sans frontières

Géant de la guitare classique, virtuose ouvert à tous les styles, du Brésil à la chanson française en passant par le jazz, Roland Dyens s'est éteint samedi matin à Paris, dix jours après son 61e anniversaire. Sa disparition suscite une grande émotion chez les amoureux de la guitare du monde entier. Hommage, premières réactions de guitaristes, et témoignage de Verioca Lherm qui fut son élève.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian (avec Valérie Oddos)
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Roland Dyens
 (Bastien Burlot)

Durant des mois, il a caché sa maladie. Ce n'est que dans les toutes dernières semaines que les informations les plus alarmantes ont commencé à circuler dans le monde de la guitare. Jusqu'au bout, Roland Dyens a voulu se produire sur scène, ne renonçant que contraint et forcé à ses derniers engagements.

Musicien charismatique, brillant improvisateur, pédagogue renommé, Roland Dyens possédait une très grande culture et se passionnait autant pour les musiques dites savantes que pour les musiques populaires. Il a inspiré et ouvert des générations d'artistes professionnels et amateurs à la musique dans toute sa beauté et sa diversité.

La tristesse de "Guitare classique Magazine" qui lui prépare un hommage dans son prochain numéro :

Né le 19 octobre 1955 à Tunis, Roland Dyens débute l'étude de la guitare à l'âge de 9 ans. À 13 ans, d'une maturité musicale aussi grande que précoce, il devient l’élève du maître espagnol Alberto Ponce. C'est dans sa classe qu'il obtient en 1976 la Licence de Concert de l’École Normale de Musique de Paris. Au cours de ses études, il étudie aussi la composition auprès du compositeur et chef d'orchestre Désiré Dondeyne. Il sera lauréat d'un Premier prix d'harmonie, de contrepoint et d'analyse.

Il compose de nombreuses pièces pour guitare, dont son célèbre "Tango en skaï", considéré comme son œuvre la plus connue.


Roland Dyens se produit énormément à l'étranger, de l'Italie au Japon en passant par les États-Unis, pour des concerts, des festivals et des master-classes. Sur scène, ses moments d'improvisation - une pratique pas forcément courante chez les guitaristes classiques - sont très appréciés.

Guitariste touche-à-tout

Après un voyage au Brésil, complètement amoureux de la musique de ce pays (qu'il enseignera à ses élèves), il joue avec le même enthousiasme Heitor Villa-Lobos que des compositeurs comme Antônio Carlos Jobim, Baden Powell ou Pixinguinha, dont il réarrange certaines musiques.

Fin arrangeur, Roland Dyens revisite avec autant de bonheur des standards de jazz...


Fou de Georges Brassens, le guitariste consacre en 1985 un album entier au poète-chanteur, qu'il enregistre avec le quatuor à cordes Enesco. En 1995, il enregistre par ailleurs deux volumes de "Chansons françaises" réarrangées pour la guitare, dans lesquels il reprend notamment Claude Nougaro.


Durant sa carrière, Roland Dyens a reçu de nombreuses distinctions : Grand Prix du disque de l'Académie Charles-Cros, lauréat de la Fondation Menuhin, "Chitarra d’Oro" (en 2006) pour l’ensemble de son œuvre par la Présidence du Concours international Città di Alessandria... À 33 ans, il a été classé parmi les 100 meilleurs guitaristes du monde par le magazine "Guitarist".

Roland Dyens enseignait la guitare au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Ses dernières publications, "Les 100 de Roland Dyens" (chez les Productions d'Oz), sorties en deux volumes publiés en 2013 et 2014, étaient des recueils de partitions de petites pièces pour apprentis guitaristes.

Roland Dyens luttait contre le cancer depuis plusieurs mois. Son état de santé ne lui a pas permis d'assurer ses derniers engagements prévus en ce triste mois d'octobre.

Un dernier hommage lui est rendu vendredi après-midi à Paris, au cimetière Montparnasse, à 15h30.

Hommages de guitaristes

Valérie Folco, ancienne élève de Roland Dyens, dont elle était devenue une amie proche, a préféré ne pas s'exprimer dans l'immédiat sur la disparition du guitariste. Elle s'est contentée d'un hommage émouvant sur sa page Facebook, qu'elle nous a autorisé à diffuser : "Jamais silence ne sera si riche, si vibrant, empli d'harmonie(s). Tu m'as confié un jour que c'était cette qualité de silence que tu cherchais à établir à la fin de tes concerts, ce temps suspendu - bien avant les applaudissements - et que c'était ce dont tu étais le plus fier. Il était, il est, il sera ce "silence" si fort, au terme de décennies de travail incessant, acharné, exigeant, toi qui aurais pu te contenter de tes dons. Je veux témoigner de ton courage - inouï - de ta force incroyable, de ton humour ravageur. Le crabe a gagné cette fois mais il ne peut vaincre cette force d'amour invincible en toi et autour de toi. Ton ultime cadeau pour nous tous et pour ta famille à laquelle je pense très fort  Merci RolanDyens (tout attaché)."

Laurent Boutros a eu l'occasion de passer quelques jours avec Roland Dyens en juillet dernier, lors du festival de guitare de Lambesc. Samedi soir, il exprimait sur Facebook son incrédulité et sa peine.

Verioca Lherm : "Pour Roland, les musiques étaient plurielles, faites pour Se mélanger"

Il y a quelques semaines, la guitariste-chanteuse Verioca Lherm nous confiait dans une interview les enseignements qu'elles avait reçus de Roland Dyens, de 1980 à 1983, en matière de musique brésilienne. Depuis, elle était restée en contact avec lui. Par une triste coïncidence, nous avons publié cet article samedi matin, au moment même où le grand guitariste quittait ce monde. Nous avons recontacté Verioca pour recueillir son témoignage.

- Culturebox : Qu'est-ce qui vous a frappée, marquée, chez Roland Dyens ?
- Verioca Lherm : Il était exceptionnellement doué, techniquement et musicalement, avec un mélange de raffinement et d'humour. Il était génial... Ce que je trouvais exceptionnel chez lui, c'est sa curiosité pour toutes les musiques en général. Il n'y a pas beaucoup de guitaristes classiques qui commencent leurs concerts par une réelle improvisation qui ne parte de rien. Pour Roland, les musiques étaient plurielles, faites pour se mélanger. Il adorait autant la musique brésilienne que le jazz ou la musique baroque. Il insistait sur le fait que les musiciens baroques étaient déjà des improvisateurs et qu'il fallait arrêter de les emprisonner dans des carcans ultra classiques. Il faisait toujours le pont, la passerelle entre musiques populaires et musiques classiques, comme avaient pu le faire ses modèles comme Villa-Lobos. C'était son cheval de bataille, d'où ses adaptations de thèmes de jazz, de musique brésilienne ou classique. Ses albums de chansons françaises sont magnifiques : tout le monde aime les adaptations qu'il en a faites pour la guitare, même ceux qui n'aiment pas spécialement cet instrument. Ça a beaucoup contribué - et ça va continuer à le faire - à élargir le public trop restreint des guitaristes qui restent un peu trop entre eux. Sa contribution sur ce point est énorme. Aujourd'hui, tous les gens qui font du folk, du finger picking, de la musique sud-américaine, brésilienne, du jazz, sont en deuil.

- Vous avez dû le voir plusieurs fois en concert. Comment était-il sur scène ?
- J'ai dû le voir une bonne vingtaine de fois en concert à partir des années 80, jusqu'à 2011. La dernière fois, il m'avait invitée à participer à un festival de guitare à Colmar, c'était en octobre 2011. Il était extrêmement charismatique, avec beaucoup de délicatesse, de sensibilité et d'humour. À chaque fois que je le voyais sur scène, j'étais morte de rire ! Au niveau de son jeu, il avait un son exceptionnel pour la guitare, une attaque exceptionnelle. Et il y avait toujours chez lui une fraîcheur, un amusement, tout en étant hyper concentré. Et ce silence qu'il savait imposer dans le public. Un respect. En plus, il savait très bien s'exprimer entre les morceaux, que ce soit en italien, en anglais, en espagnol, en portugais, car il était polyglotte.

- Vous êtes restée en contact avec lui durant toutes ces années. Est-ce qu'il suivait de près votre carrière ?
- J'ai suivi, au fil des ans, un certain nombre de stages qu'il animait. Il suivait ma carrière de loin, mais avec beaucoup de confiance et de bienveillance. Quand j'ai lancé mon disque solo, il est venu me voir deux fois en concert. C'était difficile pour moi ! Il était très impressionnant, comme son regard. Une présence très forte. Il s'était assis au fond de la salle, il s'était planqué un peu... mais je savais qu'il était là et ça suffisait à me faire perdre mes moyens ! Il me demandait régulièrement de mes nouvelles. Et en 2011 à Colmar, au festival Guitarmaniaks, il a fait quelque chose de formidable qui constituait quasiment une consécration pour moi : il m'a demandé de venir jouer ce que je voulais au milieu du stage de guitare classique. Le niveau était très élevé, avec des jeunes musiciens du conservatoire, et de la musique d'ensemble - il a écrit beaucoup de superbes pièces pour orchestres de guitares. J'avais décidé de passer toute la semaine à Colmar, j'étais très contente de le revoir. Il a commencé le stage par un concert en solo. Il a annoncé ensuite le programme de la semaine. Il a dit, en parlant de moi et d'un autre guitariste, Bruno-Michel Abati : "Nous aurons un concert de deux de mes élèves que j'aime beaucoup et qui ont mal tourné ! Ils joueront leur musique brésilienne !" (elle rit) Ça a eu le don de me détendre car ça me donnait complètement carte blanche.

- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
- C'était le 15 octobre. Il était hospitalisé à Paris. Je l'ai vu juste avant de donner un petit concert avec Aurélie (Aurélie Tyszblat, sa partenaire de duo, ndlr). Elle m'y a emmenée en voiture. Il allait mal mais il n'a pas voulu faire cas de sa maladie. C'était sa façon d'envisager la chose. Il devait jouer à Narbonne une semaine plus tard, le 22 ou le 24 octobre. Il avait l'intention d'y aller. Il avait fallu que ce soit lui seul qui se désiste deux jours à l'avance. Personne ne pouvait le faire à sa place, il l'aurait eu l'impression qu'on le trahissait, ou qu'on l'enterrait déjà. le mot est fort, mais c'est vraiment l'impression que j'ai ressentie. Sa vie, c'était vraiment la musique.

[Verioca conclut] J'ai trouvé aujourd'hui sur YouTube un document qui illustre vraiment l'homme qu'il était, en plus de l'artiste. Roland y joue la Bachiana Brasileira n°5 de Villa-Lobos dans un bar. On entend les bruits du bar mais il faut en faire abstraction, car le document est formidable. Roland joue avec des amis, probablement lors d'un stage de guitare, et c'est magistral. Il y a beaucoup de swing, de groove, et il se présente tel qu'il est, avec ce que j'aimais de lui dans ses concerts. On voit toute son humanité et son amour pour la transmission de la musique.


 

> À écouter : l'émission hommage à Roland Dyens diffusée lundi 31 octobre dans "Carrefour de l'Odéon", sur France Musique, par Frédéric Lodéon 

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