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Inconnu en France, le guitariste Thibault Cauvin enchante le monde

Il est quasi inconnu en France mais est reçu en star à l'étranger, au Carnegie Hall ou au Gasteig de Munich. Le guitariste Thibault Cauvin vit sa vie comme une vaste tournée, en homme libre, sans maison, sans affaires, juste une guitare, un ordinateur… et une planche de surf. Son dernier disque, "Thibault Cauvin" (Sony), anthologie heureuse teintée de nostalgie, est un hommage à l'instrument aimé.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le guitariste Thibault Cauvin.
 (Yann Orhan)

La rencontre a lieu à Paris, chez Sony Classical, la maison de disque qui publie le guitariste. Une salle insonorisée : "vous serez au calme", nous assure-t-on. Il est timide en apparence, Thibault Cauvin, 31 ans, mince, l'élégance décontractée, légère moustache à l'ancienne, très tendance. Sa réserve ne dure pas, le musicien est ravi de poursuivre avec nous sa rencontre entamée il y a quelques temps avec les médias français. C'est qu'il a du retard à combler : le guitariste est presque inconnu en France, alors qu'il publie déjà son huitième disque et qu'il parcourt le monde depuis plus de dix ans avec succès, accueilli en star dans des salles mythiques comme Carnegie Hall à New York, le Shangaï Concert Hall ou le Tchaïkowski Hall de Moscou, autant que dans les petits cercles d'initiés. "A 20 ans, j'ai été invité à jouer dans des pays où j'avais gagné des concours, donc ça a commencé comme ça" explique-t-il, "et puis c'est vrai qu'à l'époque, la perspective de me produire à Hong-Kong et à New York, me séduisait davantage que de jouer à Toulouse ou à Lille…"

Des affiches de concert de Thibault Cauvin, quelque part en Asie...
 (Cauvin)
"Depuis quelques années cependant, je ressens le regret de ne pas avoir joué plus dans mon pays et j'essaie, du coup, de rééquilibrer un peu la balance, de découvrir le pays, ça fait un peu idiot, mais j'aime mon pays". L'homme en rougit presque. Son sourire est sincère et permanent, sa bienveillance évidente.

Compétiteur, sportif

Mais s'il est aimable, Thibault Cauvin n'est pas un candide. Plutôt compétiteur, sportif par dessus tout. De 2001 à 2004, le jeune musicien, encore adolescent, enquille les concours internationaux… et les premiers prix : 13 gagnés avant l'âge de vingt ans, un record paraît-il. "J'étais beaucoup plus jeune que les autres et j'étais surtout très jeune dans ma tête. Et très joueur : on s'amusait entre concurrents, on essayait de se battre les uns les autres comme on le fait aux échecs, c'étaient de belles rencontres, qui avaient lieu un peu partout dans le monde", se souvient-il. "Joueur, je le suis toujours. Je joue de la guitare, mais je joue à la vie, je joue aux choses qui se présentent, dans l'organisation des concerts…". Et dans ses voyages, réglés par son interminable tournée, Thibault Cauvin s'arrange toujours pour caser une halte dans quelques spots de surf, son "jeu" de prédilection.

Notre conversation va bon train, le musicien est loquace, le verbe rythmé. Sa voix est posée, discrète, par humilité ou politesse, mais assurée. Car le guitariste a envie de raconter, ce qu'il ne fait généralement que par les cordes. Le livret de son dernier disque, "Thibault Cauvin", questionne : "qu'est-ce que la guitare, quelle en est ma vision ?". Question presque ontologique pour un garçon qui a reçu la passion en héritage par un père ancien guitariste de rock passé au jazz, puis aux musiques métissées et même au classique : "J'ai trente ans, j'ai déjà fait plusieurs disques, j'ai pris beaucoup de plaisir à jouer des pièces difficiles, dans une démarche un peu performante, comme celle d'un sportif et pas seulement d'un artiste. D'où ce besoin, aujourd'hui, de revenir à l'essentiel. Qu'est-ce que la guitare, donc ? Elle est mon quotidien depuis ma naissance, mais c'est aussi l'instrument le plus pratiqué dans le monde, le plus décliné, le plus écouté, la guitare sous toutes ses formes. J'aime présenter sous mes doigts de guitariste classique cet éclectisme, avec l'envie de faire tomber les frontières autant que possible". Et puis, Thibault Cauvin aime le rapport physique à la musique par l'instrument : "le fait de créer le son directement avec son corps, un peu comme le chanteur et sa voix, sans passerelle entre l'interprète et la note. Le violoniste, le violoncelliste ont leur archet, le pianiste a le marteau, avec la guitare techniquement on sculpte le son, on le colore aussi. On peut jouer une même note à la même hauteur et en changer le timbre, de manière plus ou moins sensible. C'est touchant, charnel et charmant".

Entre deux mondes musicaux

Formé au Conservatoire de Bordeaux puis au Conservatoire national supérieur de Paris (dans la classe d'Olivier Chassain), Thibault Cauvin s'est en réalité nourri à toutes les sources : "enfant j'allais plus souvent à des concerts de musique jazz moderne barré ou de rock qu'à des concerts de musique classique. J'ai grandi entre deux mondes : celui de la musique classique avec son approche très intellectuelle (on étudiait l'histoire de la musique, on théorisait tout, c'était passionnant !), et - du fait de mon père – l'univers de l'improvisation, des musiques actuelles, amplifiées, surtout des musiques ressenties plus que pensées". Et le répertoire qu'il s'est constitué dans ses disques est à l'image de ce parcours. Il alterne des transcriptions de musiques anciennes – on pense par exemple aux projets ambitieux et réussis de "Danse avec Scarlatti" (2013) ou du "Voyage d'Albeniz" (2014) – et des disques de musique "classique d'aujourd'hui", ou de musique contemporaine, ou métissées, comme celles contenues dans "Cities". Cet album-projet ressemble beaucoup à Thibault Cauvin : il naît de la rencontre, au fil de ses voyages, de nombreux musiciens à qui il a demandé de composer, d'après ses indications, des pièces en hommage à des villes : ainsi, Istanbul ("Koyunbaba" de Carlo Domeniconi), Calcutta ("Raga du soir", de Sébastien Vachez) ou Kyoto ("A young sprout", Leo Brower, d'après Minoru Miki) : "C'est très clairement une musique d'aujourd'hui où les frontières tombent, appelons-là world music si l'on veut", s'amuse le guitariste.

Le dernier album de Thibault Cauvin est né d'une demande spécifique de Sony, d'imaginer "le plus beau disque que l'on puisse rêver d'écouter". C'est une anthologie d'airs le plus souvent très populaires mêlant tradition arabo-andalouse (de l'incontournable "Danse espagnole" de Manuel de Falla, un arrangement pour guitare tiré de "La Vida Breve" au "Capricho arabe" de Francisco Tarrega), empreinte latino-américaine (une très jolie valse lente du paraguayen Agustin Barrios, le nostalgique "Farewell" du Brésilien Sergio Assad, ou "Chiquilin de Bachin" d'Astor Piazzolla) et transcriptions de musique ancienne (par exemple l'étonnante version pour guitare des "Variations Goldberg" de Bach) ou même romantique (la sérénade de Schubert).
  (Sony Classical)
"Ces couleurs sont, un peu, l'histoire de la guitare, qui est née en Espagne, et qui a été marquée plus tard par la grande époque sud-américaine, avant de connaître une dimension beaucoup plus mondiale aujourd'hui", explique Thibault Cauvin. Les transcriptions de musique plus ancienne (pratique extrêmement courante dans le répertoire pour guitare compte tenu de la jeunesse de l'instrument) permettent d'élargir l'horizon, mais la patte de Thibault Cauvin est toujours là : "c'est un mélange entre le désir de respecter à la fois ce qu'a voulu le compositeur, son époque, et l'instrument pour lequel le morceau a été écrit, et puis l'inévitable besoin d'ajouter de l'esthétisme actuel et de la modernité. C'est une question de dosage : certains sont plus conservateurs, d'autres le sont moins, moi je fais ma propre sauce, j'espère qu'elle fonctionne et qu'elle plaît".

Liberté totale

Un parfum de nostalgie se dégage de ce disque : "J'ai repris des pièces que je jouais quand j'étais plus jeune, et donc est remonté le souvenir d'une certaine insouciance de l'enfance ou d'un peu plus tard, quand j'étais dans les conservatoires, où je ne jouais que pour jouer, sans avoir la dimension extramusicale de mon métier (toute l'entreprise d'organisation des concerts, la communication, etc.) qui m'affecte quelques fois". Thibault Cauvin s'accroche à sa passion, et au plaisir de se produire devant le public. C'est pourquoi il ne partage presque jamais la scène avec d'autres artistes : "J'ai cette envie, ce plaisir ultime à jouer seul. J'aime la relation magique du tête-à-tête avec le public. J'imagine le grand intérêt - et je l'ai vécu quelques fois - du partage avec d'autres musiciens, mais aujourd'hui je suis tellement touché par la relation directe, exclusive, avec les spectateurs que je ne veux pas m'en priver".

Structurée par ses concerts, sa vie est celle d'un "nomade moderne". "C'est une vie un peu particulière : je suis constamment en voyage, je n'ai pas de maison, je vis dans des hôtels, même quand je suis à Paris ! Mais j'ai cette vie là depuis 18/19 ans, j'y suis habitué. J'ai très peu d'affaires, tout est sur les téléphones, les ordinateurs, j'ai ma guitare et deux t-shirts !", dit-il avec une once de fierté : "J'aime ce sentiment, je n'appartiens à rien", ajoute-t-il avant de s'apercevoir que sa langue a fourché, mais en assume l'idée. "Oui, je ne possède rien et je n'appartiens à rien, tout est lié, et ça me donne un sentiment de liberté. Et la musique est peut-être une forme de consécration de cette philosophie de liberté totale. Prenons le dernier disque : il y a des pièces étalées sur 300 ans, de différentes régions, de compositeurs  très connus comme Bach ou Schubert, de musiciens moins connus comme Tarrega, ou même inconnus. Les frontières géographiques et de temps tombent, et mon rêve ultime serait que ce soit pareil dans mon quotidien : que je puisse non seulement voyager dans le monde, mais dans les époques, dans les cultures…"


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