Gautier Capuçon à la Fondation Louis Vuitton : une Master Class stimulante
Les abords de la Fondation Louis Vuitton sont peu fréquentés en ce début de matinée : les touristes encore rares, il y a de la quiétude dans ce coin de campagne aux portes de Paris. La journée s'annonce ensoleillée, les baies vitrées de la Fondation reflètent de jolis nuages clairs. C'est ici, dans cet espace tout dédié à l'art, qu'un coin réservé à la musique résonne dès potron-minet.
Trois musiciens occupent la scène de l'auditorium, vaste lieu donnant sur la nature environnante : un jeune violoncelliste, jeans baskets et chemise à carreau, entièrement absorbé par son instrument. Face à lui, une star parmi les musiciens français, Gautier Capuçon, élégant comme à son habitude, la mèche rangée de côté, l'observe, son propre violoncelle à portée de main. Enfin Samuel Parent, le pianiste, autre maillon indispensable du trio, est chargé d'accompagner tour à tour les deux musiciens. La "Classe d'excellence" ou master class de violoncelle, Promotion 2, de la Fondation vient de commencer : jusqu'en juin 2016, à raison de trois-quatre jours par mois pendant six mois, six jeunes violoncellistes triés sur le volet, vont être "coachés" par un musicien à peine plus âgé qu'eux (il a en moyenne dix ans de plus), mais déjà très expérimenté.
Plus proche d'un cours que d'une conférence médiatique
Qu'on ne s'y trompe pas : ici pas de "master class" façon grande conférence unique, avec public qui déborde de la salle, conseils pour les plus jeunes et jolies déclarations pour les médias. Non, ici on se rapprocherait davantage du cours particulier, sauf que la rencontre est exceptionnelle, car limitée dans le temps et très concentrée dans la journée. Ouverte au public, mais un public silencieux, sauf lors de séances particulières où il est autorisé à poser des questions."J'ai voulu créer quelque chose de différent", explique Gautier Capuçon, "ce n'est pas une leçon pour les très jeunes qui ont besoin d'un professeur dans la durée, mais un moment spécialement conçu pour ces musiciens déjà expérimentés. Je suis là pour eux, pour les faire avancer un maximum : chacun a des choses différentes à dire et je dois, moi, les aider à décupler ça, leur donner les armes pour pouvoir travailler tout seuls après".
Stéphane Tétreault est le premier de la journée. 22 ans, Québécois, l'un des rares francophones de la session, il prépare aujourd'hui une partie du "Pezzo capriccioso" de Tchaïkovski qu'il présentera peut-être en concert ici même. "C'est beau", lui dit son aîné : "mais ça manque un peu "d'overview". Gautier Capuçon écoute le morceau en entier puis le fait reprendre, bout par bout, en intervenant régulièrement, de manière franche mais encourageante. Dans l'allegro : "un peu de grain ! (…) Ah, le spiccato est superbe ! (…) Un peu de texture !". Surtout, le jeune "maître" (c'est ainsi que l'appelle son élève canadien) s'exprime beaucoup par une écoute très attentive. Il ferme les yeux parfois, penche la tête, et quand ce n'est pas suffisant, se lève, se rapproche, et avec son instrument propose une solution ou une alternative. Parfois, il se rend sur les gradins pour écouter ou pour jouer de manière à ce que l'élève entende avec la distance.
"Avoir une idée et être capable de la justifier"
Le tu est de rigueur avec Stéphane Tétreault, mais ce n'est pas le cas avec tous les élèves, "les Français souvent me vouvoient", précise Gautier Capuçon. "Je n'arrive pas vraiment à comprendre ce que tu veux faire ici. Tu n'y as pas pensé ?", demande-t-il. Ou encore "Tu n'as pas envie de faire quelque chose de différent ?" Le Canadien connaît ces questions, typiques de Capuçon : "Je l'avais déjà eu en classe de maître chez moi, il y a deux ans. C'est quelqu'un qui demande de penser le morceau qu'on joue, d'avoir une idée et d'être capable de la justifier". Avec Julia Hagen, une Autrichienne qui succède à Stéphane Tétreault pour travailler Chostakovitch, le professeur va plus loin : "Ce que tu fais, est-ce choisi ou pas ?".Avec elle, tout se dit (ou ne se dit pas) en anglais et Gautier Capuçon est manifestement très à l'aise dans cette langue. "La plupart des Master Class dans le monde se font en anglais et le rapport à l'élève est souvent plus facile", admet-il. Revenons à Julia : "Elle est extraordinaire", dit-il, "elle travaille beaucoup dans le détail, elle réfléchit beaucoup, mais parfois il lui manque un peu la vue 3D, aérienne, la vue générale". A lui de rappeler qu'il lui faut une direction.
"Le timing !"
Autre leitmotiv chez Capuçon, le respect du "timing" qu'il rappelle à tous ses étudiants. Du rythme ? "Non, c'est par exemple la manière dont on va construire un ralenti : il faut que ce soit organique, homogène. Ou alors : comment faire une glissade (le doigt qui glisse sur la corde, d'une note à l'autre) ? C'est magnifique, mais si elle arrive un quart de seconde trop tard, elle sera de mauvais goût, ou un quart de seconde trop tôt elle ne sera pas expressive ! Il faut qu'elle tombe dans le bon timing. C'est toute une question de dosage…"Le rythme des séances est très dense, le temps passe vite et la vie dans cet espace s'écoule de manière si indépendante de l'extérieur. Des grandes façades vitrées, on aperçoit des badauds qui comme à travers un miroir sans tain, ne remarquent rien de ce qui se joue dans l'auditorium. Seul un homme chargé de l'entretien du bassin jouxtant la Fondation, se rapproche et observe médusé malgré l'absence de son. "C'est un lieu très inspirant et propice à ce type de travail", dit enchanté Capuçon. "D'autant que l'acoustique est superbe", ajoute-t-il.
Se poser les bonnes questions
Ah, le son : c'est l'obsession du professeur. "C'est par là que passent toutes les émotions, toutes les couleurs. C'est pour moi une des données vraiment essentielles et c'est pour ça que j'insiste vraiment beaucoup". C'est ce que retient le plus Stéphane Tétreault de sa séance avec Capuçon : "le fait de m'inciter à faire "parler" le son. Souvent, il me dit : "speak", "speak", comme si mon violoncelle devait "prononcer" chaque note comme une syllabe".Que fait l'élève de toutes les recommandations du "maître" ? "Je retiens, je prends des notes après la séance car je sais que de telles séquences de travail dans la durée comme celle-ci sont rares", explique le Canadien Stéphane Tétreault. "J'ai déjà travaillé avec d'autres musiciens et chacun offre son regard, parfois leurs points de vue sont très différents. Tout seul, chez moi, je vois ce qui est le mieux pour moi". "Ce qui est important", conclut à son tour Capuçon, "est que dans cette phase de transition, les élèves se posent surtout les bonnes questions. On n'a pas toujours les bonnes réponses – d'ailleurs parfois il n'y en a pas qu'une. Mais il faut en tout cas, réussir à se poser la bonne question, c'est ainsi qu'on progresse".
Fin de séance, il est 13h30, le groupe part déjeuner, "en famille", sans journalistes ni témoins. Car là aussi, autour d'un repas, se fait la formation. Comme à l'auditorium, dans l'échange.
Prochaines master class publiques :
Les 19 et 20 décembre 2015
Concert le 20 décembre à 17h
Fondation Louis Vuitton
8 Avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris
Gautier Capuçon vient de publier chez Erato :
"Shostakovich The Cello Concertos"
Gautier Capuçon avec le Mariinsky Orchestra
Dirigé par Valery Gergiev
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.