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Folle Journée de Nantes : des passeurs de musique et un japonais qui swingue
J’ai commencé (une fois n’est pas coutume) par l’heure espagnole : « Iberia » d’Albeniz. Suite du marathon musicale du Blogueur Bertrand Renard avec, Michel Dalberto, Laurent Wagschal, Marie-Josèphe Jude, Renaud Capuçon et Nicolas Angelich...
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Mais seulement la seconde partie comme si j’avais un pressentiment. Ce n’est pas à cause de l’œuvre, qui décrit, en titres évocateurs (Malaga. Jerez. El Albaicin), des « impressions » d’une beauté et d’une virtuosité folle. Luis Fernando Perez a la beauté de jeu, la virtuosité, il parle la langue, le public l’ovationne. Je suis très réticent quant à moi: la musique d’Albeniz, si magique mais si riche, a besoin qu’on laisse toute sa place au chant, sans surcharger encore, sans poser, sans ce côté « regardez comme j’ai été original, regardez comme mon silence est encore plein de musique ». J’ai décroché. Michel Dalberto joue Indy, Chausson, Duparc
Michel Dalberto est un de nos plus grands pianistes (écoutez ses Schubert d’il y a quasi trente ans, ce sont des merveilles). Réservé, tiré à quatre épingles, il a composé un programme français d’œuvres rares où défilent d’Indy, Chausson, Duparc, « Papillons noirs et papillons blancs » de Massenet « dont on ne sait même pas dans quelles circonstances ils ont été composés ». Car Dalberto, comme Queffelec, se transforme avec aisance (c’est nouveau pour lui) en conteur d’une époque, d’une ambiance. Point culminant avec « Prélude, aria et final » de César Franck. Et là, contrairement à Kadouch hier, il joue martelé, parfois touffu, avec des moments de très grand piano et aussi des hésitations de style inhabituelles chez un tel artiste.
Laurent Wagschal, magnifique virtuose, joue Florent Schmitt
Nantes est un terrain de jeu, parfois expérimental, pour les artistes comme pour le public. Je retrouve Laurent Wagschal dans un récital Florent Schmitt. Schmitt a écrit une « Tragédie de Salomé » puissante et spectaculaire. Le piano est un instrument trop petit pour lui : il lui faut la luxuriance d’un orchestre. Mais Wagschal est un magnifique virtuose, un « passeur », ce qui est essentiel pour cette musique difficile(on aimerait désormais l’entendre dans Mozart, il le mérite). Marie-Josèphe Jude belle pisniste d'origine vietnamienne pour André Jolivet
« Passeur » comme l’était aussi ce matin Marie-Josèphe Jude, belle pianiste d’origine vietnamienne, pour André Jolivet. Jolivet, grand compositeur de ces années 50-60 qui ne sont plus à la mode à force de radicalité, de refus de la mélodie. Jolivet fit scandale en 1949 avec un concerto pour piano créé à Strasbourg sous les huées. J’ai souvenir d’un beau concerto pour trompette d’esprit jazz, d’un concerto pour violon rébarbatif, même défendu par l’excellente Isabelle Faust dont je vous parlais avant-hier. « Mana » et les « Danses rituelles » que joue Jude ressemblent à des éclaboussures de piano jetées sur la partition comme sur une toile, l’ « action painting » de Jackson Pollock appliquée à la musique. Mais cette musique, Jude la comprend, l’aime, la défend admirablement. Les applaudissements vont d’abord à elle.
Capuçon, homme de groupe et de partage, joue Ernest Chausson
Renaud Capuçon : passeur et star. Il vient à Nantes pour un programme unique. Il pourrait se contenter de nous jouer un tube du répertoire, il choisit le « Concert » d’Ernest Chausson (1855-1899) : chef-d’œuvre douloureux, plein de lyrisme, aux mélodies troublantes, écrit pour une formation étrange, piano, violon et quatuor à cordes. Capuçon est un homme de groupe et de partage : un pianiste de haut vol, son ami Nicholas Angelich, exemplaire. Le jeune quatuor Modigliani, déjà célèbre et célébré mais comme « intronisé », en jouant ainsi avec Angelich et Capuçon. Comme l’avaient été, il y a quelques années, Renaud et Gautier, son frère violoncelliste, par la grande pianiste Martha Argerich. Les frères Capuçon avaient été à la hauteur de cette confiance, les Modigliani aussi : la musique circule entre eux, emplit l’espace, nous entendons six complices respirer ensemble. "L'heure espagnole" de Ravel
Dans le grand amphithéâtre la deuxième heure espagnole. La vraie. « L’heure espagnole », délicieux opéra de poche de Ravel : l’histoire de Conception qui cache ses amants, à la barbe de son mari horloger, non dans le placard mais dans l’horloge. Avant de s’enticher du déménageur. A l’époque (1911) on avait parlé de « vaudeville pornographique ». L’orchestre de Lyon, le chef américain, Leonard Slatkin, le bel et bon quatuor d’hommes et la délicieuse Isabelle Druet en robe rouge, nous ravissent (« Parlez plus bas. Les horloges ont des oreilles ». Texte de Franc-Nohain). Anne Queffelec et le chef Kazuki Yamada
On retrouve Anne Queffelec (en rouge aussi. Décidément !) dans le « 2e concerto pour piano » de Saint-Saëns, virtuosissime. Elle le joue avec clarté, simplicité. C’est très beau. Le Yokohama Sinfonietta l’accompagne ; et poursuit par « Le bœuf sur le toit » de Darius Milhaud. On ne savait pas qu’à Yokohama on avait à ce point le sens (et l’esprit) des cabarets du Montparnasse des années 20. Le chef, Kazuki Yamada, se dandine en un swing endiablé tel un danseur de charleston de Josephine Baker. Mais il n’oublie jamais de veiller à la musique (rythmes complexes, instruments à découvert) tout en jetant un éclairage différent sur cette œuvre si française (période jazz) où il entend de discrets accents brésiliens (et effectivement Milhaud revenait du Brésil). Triomphe : on n’imagine pas autant de musiciens français jouer la musique japonaise, et avec cette élégance et cette décontraction. On sort sous les étoiles. Demain, déjà le dernier jour ! Et on se jure, comme le baron de Gondremark dans « La vie parisienne » d’Offenbach, de « s’en fourrer (encore plus) jusque là »
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