Dessine-moi un festival, une série de l'été : Isabelle du Saillant en Corrèze
Isabelle du Saillant n'est pas issue du monde musical quand, avec son mari, elle crée le Festival de la Vézère en 1981. Ils viennent alors de s'installer en Corrèze, au Château du Saillant, au bord de la Vézère, propriété de la famille de Guy de Lasteyrie du Saillant depuis près de 700 ans. Leur idée : s'investir dans la région en associant leur passion pour la musique classique et le désir de faire découvrir un patrimoine local méconnu. La formule fonctionne. Les musiciens jouent le jeu, séduits notamment par l'acoustique de l'un des lieux, la grange du Saillant, et par la beauté de l'ensemble du site. Référence dans la région, le festival en est aujourd'hui à sa 35e édition.
Qu'est-ce qui vous pousse à vous investir dans ce festival ?
C'est ancien, ce n'est pas maintenant que je me suis investie, ça fait 35 ans ! C'est une longue histoire, totalement imprévue dans ma vie, car je n'ai jamais fait de musique et il n'y avait donc pas de raison. C'est arrivé parce que d'une part j'avais la passion pour la musique et le regret de ne pas en avoir fait, et d'autre part parce que mon mari qui venait de prendre des responsabilités locales a eu le désir d'animer la région. Notre première idée était d'amener la musique dans un endroit où il n'y en avait pas. Il s'agissait donc de gagner un public à la musique et pour cela il fallait qu'elle soit très bien jouée pour faire passer l'émotion. Et puis on a émis cette idée de lier patrimoine et musique : inviter ces artistes merveilleux et faire découvrir ce beau patrimoine local, pas très connu. Et ça a marché. Je me suis investie, et après la mort de mon mari j'ai continué toute seule parce que c'était un cadeau de me faire entrer aussi profondément dans la musique et en amitié avec les artistes. C'est devenu une passion, une raison de vivre.
Sur quel critère choisissez-vous vos "amis" les artistes qui viennent se produire ? Le programme trahit une forte présence des jeunes interprètes...
Nous avons choisi, dès le départ, des artistes qui nous touchaient, c'est le critère. Il se trouve que notre goût est le goût du public, un goût qui ne se veut pas "sophistiqué". Nous invitons un musicien simplement parce qu'on le trouve merveilleux et qu'il nous fait connaître une œuvre magnifique ! On a pu commencer avec des amis, des interprètes plutôt jeunes mais déjà reconnus : le violoncelliste Roland Pidoux, puis le violoniste Patrice Fontanarosa. Et avec eux, des plus jeunes encore : ceux-là, c'était aussi une façon de les faire connaître et on puis n'avait pas les moyens de prendre des artistes très connus. Et puis, petit à petit, nos jeunes sont devenus de grands artistes, comme par exemple Philippe Jaroussky venu à ses débuts, et qui continue à venir parce qu'il nous aime bien...
Un programme inauguré depuis peu, "Une heure avec", renforce cette présence des jeunes : une heure est passée avec un compositeur au choix (une heure avec Mozart, une heure avec Schubert, avec Bach...) et avec l'aide d'un professeur de musique de chambre au Conservatoire, Philippe Ernold accompagné de ses élèves. L'idée est de toucher ainsi un public nouveau, plus régional, agricole, qui a moins accès à la musique classique. Cette année, les musiciens qui accompagnent Ernold sont vraiment très jeunes (ils ont entre 16 et 18 ans), ce qui les rend plus proche encore des spectateurs, ils transmettent un optimisme, une facilité d'accès à la musique...
Vous évoquez ce rapport au public. Quel est le secret pour que ça marche ?
Ce qui compte, c'est notre singularité, notre originalité. Prenez l'exemple de notre "opéra" produit par une troupe anglaise dans la grange du Saillant. L'endroit est improbable ! C'est joli mais pas très grand, et la troupe va y donner "Lucia di Lammermoor" et "Les Noces" ! C'est assez fou. Ça renouvelle le genre, ça a même créé un public dans la région parce qu'il n'y a pas d'opéra. C'est un énorme succès parce que c'est remarquable techniquement, même avec un simple accompagnement au piano, mais une grande qualité du chant et une belle imagination dans la mise en scène et dans les costumes ! Autre "secret" pour que ça marche, la variété dans la proposition artistique, comme dans les différents sites du concert : il y a le patrimoine public, celui des villages, les églises abbatiales et puis notre maison, avec son parc dans lequel on peut pique-niquer...
Comment évaluez-vous la réception du public ?
Les spectateurs sont très attentifs et réceptifs : on n'entend pas un grattement de gorge ni une chaise qui bouge, et c'est formidable parce qu'à part quelques exceptions, ce n'est pas un public averti ! La troupe anglaise nous le rappelle d'ailleurs régulièrement : c'est ici qu'elle a son meilleur public, captif et participatif.
En ces temps difficiles pour les festivals, comment parvenez-vous à l'équilibre budgétaire ?
En étant très raisonnables. Tantôt on gagne de l'argent, tantôt on en perd. Quand on en perd, on redouble d'attention l'année suivante et on ne fait pas de folies en termes de cachets ou de formations (plus elles sont grandes plus elles sont chères...). Généralement on retrouve l'équilibre sur deux ou trois ans !
Un souvenir de festival…
C'était au début de l'aventure du festival. Nous venions de rencontrer Barbara Hendricks qui était connue certes, mais pas encore très célèbre. Nous l'avons programmée, même si c'était un peu ambitieux pour nous et compliqué dans l'organisation. Trois jours avant le concert, la chanteuse annule sa venue ; enceinte, son médecin lui avait interdit de bouger. On a vite compris que les divas, ce n'est pas pour nous... Mais six mois plus tard nous la croisons à nouveau et d'emblée elle nous demande : alors, je viens quand ? On l'a reprogrammée et ce concert de Barbara Hendricks au Saillant a été extraordinaire, elle n'a chanté pratiquement que du Mozart, c'était unique ! Tout le monde, dans le public, était dans le bonheur, on aurait même voulu supprimer l'entre-acte pour que ça ne s'arrête pas !
Festival de la Vézère
Jusqu'au 21 août 2015
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