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Dessine-moi un festival, une série de l'été : Eric Le Sage à Salon-de-Provence

Ils sont chanteurs, chefs d'orchestres, producteurs, patrons de salle… ou simples mélomanes. Pour le plaisir de la musique, ils consacrent leur été à faire vivre un festival. Baroque ou romantique, Boulez ou Mozart. A la ville, dans les champs, ou en bord de mer, qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ? Rencontre, aujourd'hui, avec Eric Le Sage, co-directeur du festival "Musique à l'Empéri".
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Eric Le Sage, en juin 2015, à Paris.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Nombreux sont les musiciens en France qui évoquent, pour y avoir participé ou pour en avoir entendu parler, ce petit festival et son côté un peu magique, hors du temps. "Musique à l'Empéri", à Salon de Provence, un festival créé il y a 23 ans par trois amis musiciens - le flûtiste Emmanuel Pahud, le clarinettiste Paul Meyer et le pianiste Eric Le Sage - et toujours tenu par les mêmes. Leur crédo : des rencontres musicales exigeantes et originales, dans une ambiance de retrouvailles amicales. Entretien avec l'un des trois directeurs artistiques, Eric Le Sage.

Après un concert à l'Empéri : Eric Le Sage, Emmanuel Pahud et Paul Meyer au premier plan.
 (Nicolas Tavernier.)

Qu'est-ce qui vous pousse à vous investir dans ce festival ?
Ce festival, ça fait 23 ans qu'on le fait avec les mêmes copains ! Avec Emmanuel Pahud et Paul Meyer, ça a commencé avec l'envie, quand on a vingt ans, de partager son temps de vacances entre la famille, un peu, et surtout les amis avec lesquels on fait de la musique ! L'hiver, c'était chez Paul Meyer, et l'été chez moi, en Provence. Ça a pris la forme d'un festival comme ça, c'était d'abord dans une petite église à Vernègues, puis quand celle-ci est devenue impraticable pour les concerts, Salon de Provence, à 10 km de là, nous a accueillis. C'était super, la ville avait déjà une bonne culture de festival, mais de jazz, Miles Davis et Coltrane y étaient venus jouer. Alors, depuis, évidemment nos vies, nos conditions personnelles ont changé, mais il y a toujours l'envie de le faire, là, et pour des rasions musicales en priorité. C'est un festival qui est défini uniquement par l'envie qu'on a de le faire. Parce qu'il n'y a pas de gain, le budget est très réduit. J'ai une théorie selon laquelle il faut être ou très riche ou très pauvre pour exister dans un festival. Nous, on a décidé d'être pauvres, pour être libres, on n'a pas de comptes à rendre (rires)…

Qu'est-ce qui fait venir les artistes ?
D'abord, sûrement, le plaisir de faire ensemble, de la musique de qualité. On essaie d'avoir une programmation très exigeante, avec des œuvres qu'on ne peut jouer qu'avec certaines formations. Ce qui attire les musiciens, c'est ça. On s'est dit, une fois, avec Emmanuel et Paul, que le jour où personne ne voudra venir jouer à Salon, c'est qu'on n'aura plus le niveau, ce n'est pas l'appât du gain qui fera venir les gens (rires) !

Les artistes n'ont pas de cachet ?
Si, mais très réduit, 80 euros par concert. L'été est pour les musiciens une période potentiellement très rémunératrice. Donc prendre dix jours pour notre festival, c'est aussi sacrifier un peu au business. Il y a un réseau qui petit à petit s'est créé, d'amis, de collègues ou de futurs collègues et aujourd'hui plusieurs générations se côtoient. Parmi les plus jeunes, il y a le violoncelliste Aurélien Pascal - qui est plus jeune que le festival - ou un autre violoncelliste, Bruno Delepelaire, entré il y peu comme soliste au Berliner Philharmoniker… On fait attention qu'il y ait toujours une dizaine d'habitués et entre dix et vingt "entrants" qui éventuellement reviendront. En tout cas, tout se fait naturellement, les musiciens s'attirent mutuellement, car ils savent qu'ils vont rencontrer d'autres interprètes de qualité. Daishin Kashimoto, par exemple, la première fois qu'il est venu, il a rencontré Guy Braustein alors violon solo de Berlin. Et depuis quelques années c'est Kashimoto qui est premier violon solo du Berliner parce que Braunstein qui partait, a proposé qu'il le remplace. La vie des festivals, c'est ça aussi, c'est des rencontres.
Le pianiste Franck Braley est l'un des amis musiciens habitués de l'Empéri. Ici, en répétition avec Eric Le Sage. 
 (Nicolas Tavernier.)

Chaque participant au festival reste d'office les dix jours ?
Idéalement dix, au moins cinq jours, car on fait deux sets de cinq jours avec une pause au milieu. Le premier set est piano, percussions et cordes, le deuxième plutôt instruments à vent. Donc certains musiciens viennent aussi selon les besoins de la programmation.

Votre secret de réussite, par rapport au public ?
Ce qui est bien - et c'est notre problème en même temps - c'est qu'on a le même nombre de spectateurs par concert depuis vingt ans. On a certes grossi en nombre de concerts (on est passé de 5 à 20 dans les dix dernières années), donc le public nous a suivis. Ce sont des habitués, des amateurs de musique, mais on n'a pas, pour l'instant, le "grand public", sans doute parce que le festival ne s'appuie pas sur des "têtes d'affiche". Il m'est arrivé de faire le même concert, avec les mêmes artistes à La Roque d'Anthéron, devant 10.000 personnes, et à l'Empéri deux jours après, face à 400 ou 500 spectateurs. Mais c'est un public fidèle, qui vient d'un peu partout et de tous les âges, car les places ne sont pas trop chères. Le nombre de gens varie un peu selon la programmation, notamment quand on met un peu plus de musique contemporaine, mais on tient à ce mélange de genres. C'est, en tout cas, la musique qu'on a envie de jouer, un programme axé chaque fois autour d'une thématique, cette année on l'a appelée "Symphonic Salon" car c'est un peu entre la transcription et l'œuvre symphonique.

Comment mesurer la réussite de votre festival ? Quand êtes-vous satisfaits ?
Il faut : un, qu'il y ait du monde et deux, qu'il y ait un certain niveau de qualité satisfaisant et parfois même le sentiment d'avoir fait des concerts extraordinaires. La recette, pour faire complet, c'est "Un carnaval des animaux" avec Lambert Wilson, ou un "Pierre et le loup" avec un récitant connu, mais on en fait pas tous les soirs ! Et il m'est arrivé d'être déçu de concerts magnifiques où il y avait peu de public parce que les gens étaient effrayés par exemple par un Quintette de Reger à la clarinette. Donc le tout est d'essayer de faire des programmes qui n'effrayent pas le public tout en y casant des œuvres exigeantes qui, une fois jouées, plaisent aux spectateurs.

Un  souvenir de festival…
Je me souviens d'un soir magique où il s'était mis à pleuvoir, un gros orage du sud, court mais très violent. Après l'orage, l'acoustique est toujours formidable, c'est un peu humide, le son est cristallin, beaucoup plus riche. On a repris notre trio de Ravel, c'était formidable. Et dans le public, il y avait une couleur extraordinaire, ce sont ces impressions qui peuvent vraiment vous faire aimer le plein air…

"Musique à l'Empéri", Festival international de musique de chambre de Salon-de-Provence
Du 28 juillet au 7 août 2015
 

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