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Au TCE Podalydès livre une "Clémence de Titus" presque trop intelligente !

Beaucoup d’atouts réunis pour cet opéra mal-aimé du dernier Mozart (celui des chefs-d’œuvre) : un prestigieux couturier, une belle distribution américano-francophone, la fine fleur de la Comédie-Française, un jeune chef qui monte. Au final un beau spectacle mais pas (tout à fait) le complet bonheur.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La Clémence de Titus de Mozart
 (Vincent Pontet)
Un opéra réhabilité

Oui, opéra mal-aimé. Et que l’on a redécouvert et (peut-être exagérément) réhabilité il y a une trentaine d’années. Grâce à la mode du baroque et aux chefs qui le pratiquaient comme Gardiner ou Harnoncourt.

« La clémence de Titus » est une commande pour le couronnement de l’empereur Léopold II comme roi de Bohème. Histoire héroïque sur un livret de Métastase vieux d’un bon demi-siècle et déjà utilisé par moult compositeurs, dont Gluck. Mozart, qui est à la toute fin de sa vie, ne peut évidemment refuser pareille offre: parce qu’elle vient de la cour, que les aristocrates de sa loge maçonnique ont fait le forcing pour qu’il ait le contrat, que ce contrat lui rapporte de l’argent, que l’œuvre sera créée à Prague, une ville qui lui a toujours été favorable (« Don Giovanni » y triompha, que Vienne avait rejeté) Mais il doit pour cela écrire un  «opera seria» (« opéra sérieux »), genre à base d’amour et de grandeur politique, en vogue à l’époque du baroque et déjà bien obsolète à l’heure où la Révolution Française bat déjà son plein (cette révolution qui emportera Marie-Antoinette, la sœur de Léopold).

Après la première l’impératrice Maria Luisa écrit : « Musique très mauvaise, nous y avons presque tous dormi » Après la dernière Mozart écrit : « Succès extraordinaire. Tous les morceaux ont été applaudis ». On est le 30 septembre 1791… et c’est, à Vienne, ce même jour, la première de « La flûte enchantée »! Mozart, lui, n’a plus que deux mois à vivre.

Il a fait réécrire le livret de Métastase par… le poète officiel de la cour de Dresde, Caterino Mazzola: Vitellia aime l’empereur Titus, qui a renversé le père de Vitellia. Titus ne l’aime pas mais aime Servilia qui, elle-même, est amoureuse d’Annius, ami de Sextus, son frère. Sextus est follement épris de Vitellia. C’est pour elle (qui ne l’aime pas mais le manipule) qu’il va accepter de tuer Titus, malgré les sentiments d’amitié qu’il éprouve pour l’empereur. Le complot va échouer. La clémence de Titus s’exercera, il a déjà renoncé à Servilia puisqu’elle en aime un autre, il graciera Sextus et pardonnera même à la repentante Vitellia qu’il avait entretemps choisie comme impératrice.
  Kurt Streit (Titus), Karina Gauvin (Vitellia)
 (Vincent Pontet)
Le dépit amoureux

C’est beau comme du Racine, où chacun n’est jamais avec sa chacune. Mais chez Racine l’amour et la politique s’entremêlent. L’originalité de Mozart et de Mazzola, c’est qu’ils nous montrent un complot qui ne repose absolument pas sur la conquête du pouvoir (ou de la démocratie) mais sur le dépit amoureux. Utopie parfaite comme l’est (pour l’époque mais aussi sans doute pour notre temps) la… clémence de Titus.

Le problème (de mon point de vue) vient de la musique. Ecrite vite, très vite. Avec abondance de récitatifs (c’est plus rapide à composer que les arias) et des airs, certes superbes, mais voilà : sous influence. Le final désabusé de l’acte 1 rappelle tel ensemble de « Don Giovanni », le final du 2 celui de « La flûte enchantée », tel air de Sextus a des harmonies de Chérubin, tel air de Publius Figaro ou Leporello… Même si « La clémence de Titus » est du très grand Mozart, l’œuvre est entourée de Mozart plus grands encore auxquels on est constamment confronté. L’impératrice et le public de Prague ont tous deux raison !
Un luxe d'intentions déployées par Denis Podalydès

On le constate une nouvelle fois : les metteurs en scène de théâtre abordent trop intelligemment l’opéra. On ne perçoit qu’à peine le quart du luxe d’intentions déployées par Denis Podalydès, qui situe l’action à la fin des années 30 dans une royauté en crise (beau décor sombre et majestueux d’Eric Ruf, l’ami et… désormais administrateur de la Comédie-Française) Et l’on n’a pas assez le loisir de constater l’intelligence de sa direction d’acteurs (la confrontation de Titus et de Sextus est un sommet) Car dans un opéra ce sont les voix et la musique qui dictent notre attention. Kurt Streit est un Titus fragile, au physique de Leporello, il pousse sa voix, très joliment d’ailleurs, pour se donner l’assurance d’un roi. C’est conforme à l’esprit de Podalydès mais pas vraiment à Mozart dont le personnage réclame une autre stature.
Robert Gleadow (Publius), Kate Lindsey (Annius)
 (Vincent Pontet)
Karina Gauvin est une Vitellia un peu monolithique, aux aigus parfois criés et aux graves sourds mais son air final (« Ecco il punto ») rachète tout par son énergie et son engagement. « Notre » Julie Fuchs est très bien en Servilia, qui n’est pas un personnage essentiel. Brillantes interventions en Publius du Canadien (anglais) Robert Gleadow, qui était déjà l’an dernier un superbe Leporello. Julie Boulianne, Canadienne française, est un Annius beau et émouvant, qui souffre d’être dans le même registre de mezzo que le formidable Sextus de Kate Lindsey, sans les couleurs et le moelleux de celle-ci. Sextus habité, magnifique (et magnifiquement dirigé par Podalydès) dans le « Deh per questo ». Et très bien accompagné par Jérémie Rhorer et ses musiciens qui mènent cette œuvre guère spectaculaire avec vigueur, poésie et une grande attention aux chanteurs.
Décors d'Eric Ruf
 (Vincent Pontet)
Christian Lacroix, Eric Ruf

Cerise sur le gâteau : les costumes de Christian Lacroix qui, paradoxe, habillent mieux les hommes (tombé superbe des tenues) que les femmes (dont les couleurs très « Lacroix » jurent avec le décor de Ruf) Petit plaisir esthétique qui participe du plaisir général car l’œil et l’oreille sont de merveilleux complices quand ils ne sont pas distraits par la réflexion.   


La Clémence de Titus de Mozart au Théâtre des Champs-Elysées
 les 12, 14, 16, 18 décembre 
15 avenue Montaigne, Paris VIIIe
01 49 52 50 50

Jérémie Rhorer  direction
Denis Podalydès (Sociétaire de la Comédie-Française) mise en scène
Cécile Bon  chorégraphie
Eric Ruf décors
Christian Lacroix  costumes
Stéphanie Daniel  lumières

Kurt Streit  Titus
Karina Gauvin Vitellia
Julie Fuchs Servilia
Kate Lindsey  Sextus
Julie Boulianne Annius
Robert Gleadow Publius

Durée du spectacle
1ère partie :  environ 1h
Entracte 20 mn
2e partie : environ 1h10 



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