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Au Musée Jacquemart-André à Paris : Brigitte Fossey, côté musique

Depuis quelques années, la comédienne de Clément, Truffaut ou Pinoteau dévoile une facette peu connue du grand public : celle d'une mélomane passionnée et érudite, récitante dans des spectacles consacrés à la littérature et la musique, comme celui donné au Musée Jacquemart-André. Liszt, Schumann, Mozart n'ont plus de secret pour elle. Rencontre avec une comédienne curieuse et enthousiaste.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Brigitte Fossey en 2011 lors d'une lecture musicale autour de Franz Liszt. 
 (Guillaume CLEMENT/Maxppp/MAXPPP)

Brigitte Fossey était le 23 janvier au Musée Jacquemart-André à Paris avec la pianiste Danielle Laval pour un spectacle autour de "La physiologie du goût" de Jean-Anthelme Broillat-Savarin. Brigitte Fossey se produit régulièrement, partout en France, avec différents musiciens (voir liste en fin d'article). Avec un grand enthousiasme elle répond à nos questions, désireuse de communiquer une véritable passion pour la musique.

Les Français vous ont vu évoluer depuis votre enfance comme actrice et connaissent sûrement moins cette autre dimension de votre personnalité : vous êtes une grande mélomane et depuis longtemps…
Oui, j'aime beaucoup la musique. J'ai découvert la conjugaison du texte et de la musique il y a fort longtemps, la première fois à l'initiative du festival de la Chaise Dieu qui m'a fait jouer "Pierre et loup" avec l'orchestre de Moscou. C'était absolument merveilleux ! L'orchestre de Moscou a ça dans le sang, et on sentait que chaque instrumentiste porte l'œuvre depuis son enfance… Et puis, peu à peu, les propositions ont été très variées. Parmi elles, "Jeanne au bûcher" de Honegger, que j'ai jouée une douzaine de fois, a été un vrai bonheur : la récitante qui par moments, parle en musique (donc suit la mesure), est pleinement dans l'action. L'orchestre était mon armée, il fallait que je l'entraîne pour sauver le roi de France (rires) ! Le texte de Claudel est sublime…

En 2011, un spectacle autour de Liszt.
 (Guillaume CLEMENT/Maxppp/MAXPPP)
Et puis il y a eu une autre étape : un jour, à force d'écouter Chopin dans ma voiture, je me suis dit : Chopin, fais en sorte que je travaille avec toi. Et le lendemain, Alain Duault m'appelle pour me proposer de lire au Festival de Nohan des poèmes d'amour (que j'avais recueillis dans une anthologie peu de temps avant) avec de la musique… de Chopin. Ca a été pour moi une récompense incroyable, un miracle. Depuis j'ai beaucoup travaillé avec ce festival et son président Yves Henri, notamment en y présentant des spectacles autour de Schumann. Et l'effet boule de neige fait que je n'ai pas arrêté depuis.

Comment se construisent vos spectacles ? Et que se passe-t-il dans ce moment avec les musiciens ?
Il y a d'abord la rencontre de l'interprète, qui me propose un programme ; une fois décidé, je m'en imprègne avant de proposer à mon tour des textes qui peuvent s'accorder à la musique. Lui aussi a des idées de textes que nous confrontons. Au fur et à mesure de la connivence avec le musicien, notamment quand nous retravaillons ensemble, il y a un moment où on arrive à une vraie communion. Le spectacle devient alors une sorte d'itinéraire musical dessinant une courbe d'un point à un autre, une histoire racontée à deux voix. Et comme dit Schumann, la musique parle et le texte répond, mais, malgré les écritures différentes, on finit par parler la même langue et dans ces moments-là, c'est absolument jubilatoire.

Vous sentez-vous alors davantage dans la musique ou plutôt dans  la comédie ?
Je suis vraiment dans les deux parce que la musique a une émanation harmonique qui touche le cœur, les sentiments. Quand on est mélomane mais qu'on ne pratique pas d'instrument, on est sensible au langage d'une musique. Quand je suis récitante, je me mets à l'écoute de ce langage-là pour enchaîner avec des textes qui peuvent répondre à cette musique. Donc, en général, la musique commence, et de là on avance en échangeant des sentiments : des passions, des craintes, des secrets même quelquefois, car il y a des musiques très secrètes comme celle de Schumann.

Comment vous préparez-vous ?
C'est un exercice qui demande d'être sensible et à l'écoute du texte musical. D'être curieux, aussi : à quelle époque ça a été écrit, quels sont les auteurs qui étaient autour du compositeur ? C'est l'occasion de faire connaissance avec certains musiciens, y compris dans leur vie privée… J'ai découvert par exemple la relation entre Tchaikovski et la baronne Von Meck, très amoureuse de lui. Ça me permet d'entrer dans leur univers. Avec Alain Carré, pour un spectacle autour de Liszt, on s'est notamment appuyé sur sa très belle correspondance avec Marie d'Agoult, écrivain et amante du musicien. J'ai aussi eu une correspondance de Mozart, pénétré dans la vie de Brahms et lu trois livres sur Beethoven, c'est passionnant ! Je me mets dans ces vies, qui sont difficiles, car les musiciens ont souffert pour se faire comprendre, pour jouer et être respecté, ce n'était pas facile. Souvent on les faisait dîner avec les domestiques dans la cuisine… Beethoven sera le premier à vouloir s'imposer comme être.

Revenons à vous. Vous avez fait longtemps du piano et, très jeune, avez caressé le rêve de devenir chanteuse d'opéra avant d'y renoncer… Aucun regret ?
Toute ma vie on m'a dit : pourquoi tu n'écris pas, pourquoi tu ne chantes pas… Je n'aurais pas aimé concrétiser ce rêve parce j'aime faire les choses à fond et je revendique le statut d'interprète. C'est une tâche suffisamment épanouissante en soi et qui peut s'accorder avec d'autres arts. Finalement, je ressens la musique profondément quand je joue à côté des musiciens et être récitante c'est très proche du chant. Et n'oublions pas que le chant, comme le piano, demande un travail quotidien et une discipline draconienne : les chanteurs ne boivent pas, ne fument pas, doivent dormir un certain nombre d'heures, à part quelques exceptions… Et à partir d'un certain moment, ils sont menacés de perdre leur voix…  Dans mon métier en revanche, à tous les âges correspond une activité, on a toujours besoin d'acteurs… J'aime tellement ce métier que je n'aimerais pas arrêter, changer, vous comprenez ?

Au Musée Jacquemart André, à Paris, vous présentiez avec la pianiste Danielle Laval un spectacle à partir des lectures de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826)…
Oui, on a proposé un spectacle joyeux, conçu comme une gourmandise : ce sont énormément de petits textes sur les circonstances où on peut être le plus gourmand. Ce sont des passages drôles de la "Physiologie du goût", un livre très bien écrit, sur les moments où on peut manger, sur certains plats, sur la figure des amoureux qui se réveillent la nuit pour manger… On a composé un patchwork, et à chaque petit morceau  du repas correspond un petit morceau de musique. Donc il y a des morceaux de Mozart, de Bach, de Bach et Siloti, de Rachmaninov, de Poulenc…  Et côté texte, ce sont les extraits les plus humoristiques. Car ce Jean Anthelme Brillat-Savarin avait beaucoup d'humour. On présente l'homme, d'ailleurs, un personnage hors du commun qui a été député, parti se réfugier pendant la Révolution en Amérique, où il est devenu chef d'orchestre, très grand musicien. Revenu en France, il était écrivain, ou peut-être même docteur… Mais son plus grand savoir c'était son art de vivre, et son plaisir, transmettre la joie du goût…
Les concerts au Musée Jacquemart-André.
 (C. Recoura)
Une véritable passion vous anime quand vous en parlez…
C'est pour mettre en valeur la musique, c'est mon but et celui des musiciens impliqués.  Il faut trouver un texte qui soit en harmonie avec la musique. Et être très vigilant sur la première et la dernière phrase, comme deux morceaux qui s'enchaînent : le premier mot qui suit un morceau doit faire comme une unité, et ensuite il faut choisir la dernière phrase de façon à ce que la musique n'ait plus qu'à s'y lover,  s'y couler… 

Prochains spectacles de Brigitte Fossey
. Le 13 février, en Guadeloupe : "Victor en musique, Hugo en liberté", avec Yves Henry
. Le 15 février, en Guadeloupe : "Sand, Chopin, vie et passion" avec Yves Henry
. Le 21 février à Aubagne et le 13 mars à Marseille : "Yeraz", sur la poésie et la musique arménienne avec Michael Lonsdale
. Le 8 mars à Sainte Maxime, "Le Grand Meaulne" avec François-René Duchâble et Alain Carré
. Le 28 mars à la Salle Gaveau, avec Amanda Favier et l'Orchestre Pasdeloup
. Le 29 mars à Tours dans le cadre du nouveau festival, "A hauteur de mots" : "Sand, Chopin, vie et passion"
. 24 avril dans le cadre du Festival de l'Eure, avec Pascal Amoyel pour les Nuits romantiques

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