Ambronay : Sébastien Daucé révèle l'immense talent du compositeur Henry du Mont
Quelques heures avant le concert, Sébastien Daucé nous reçoit dans une des nombreuses chambres de l'abbaye que les moines mauristes ont quittée depuis fort longtemps mais qui reste habitée par une apaisante quiétude. L'homme connaît bien les lieux : son ensemble "Les Correspondances", basé à Lyon – ce qui en fait le régional de l'étape, ici en Rhône-Alpes – est habitué des résidences à Ambronay et a même acquis le statut d'ensemble associé. De par son patient, mais efficace travail sur la musique française du XVIIe siècle, de Charpentier à Boësset et Moulié, l'ensemble a, d'autre part, gagné ses galons auprès des spécialistes du baroque. C'est si dire l'interprétation des Grands Motets d'Henry du Mont compositeur qui fut "sous-maître de la Chapelle du Roy", sont attendus en l'Abbatiale… "Ne me mettez pas une telle pression !", dit en riant Sébastien Daucé, se révélant en un rien de temps d'une très agréable simplicité. Avec une clarté rare, il décrypte les secrets d'une musique que vous pouvez suivre, dans l'intégralité du concert, sur Culturebox.
Reprenons quelques bases : que sont les motets et comment expliquer leur importance ?
La période historique est cruciale : on est en plein milieu du XVIIe siècle, au moment où Louis XIV prend le pouvoir et il a une incidence aussi sur la manière de faire de la musique d'église. Car il va à la messe tous les jours et il a un vrai goût pour la musique. Au fil des ans, en demandant, il façonne un genre qui est le grand motet : une composition musicale de dix à vingt minutes à partir soit des textes des écritures, souvent des psaumes, soit des sortes de poésies religieuses en latin. Progressivement, ces motets vont prendre toute la place pendant l'office, c'est-à-dire qu'on demande au curé de dire sa messe à voix basse et en réalité on écoute de la musique ! Ça s'appelle le rite gallican, vraiment façonné par Louis XIV, un rite qui annonce, politiquement, une démarcation par rapport au pouvoir de Rome. Le motet sera utilisé vraiment sous la même forme jusqu'à la Révolution et, d'une certaine manière, existe encore aujourd'hui. Le père de ce genre nouveau est Henri du Mont.
Pourquoi le motet est-il si fascinant ?
Ce qui est fascinant, c'est la naissance d'un genre, l'invention d'une manière de communiquer la musique. D'autant qu'il est possible de voir aussi pratiquement comment ça s'est passé à l'époque parce qu'on a les indices pour retracer l'enquête : quel musicien était là, à quel moment, quelle force à disposition du compositeur. Pour notre programme, nous avons choisi cinq motets, dont trois sont d'ailleurs inédits. Ces cinq grands motets correspondent à cinq années différentes dans la chronologie de la Chapelle royale qui, à l'époque, n'est pas encore à Versailles, mais soit au Louvre, soit à Fontainebleau, soit à Saint-Germain, soit elle est itinérante, et les musiciens suivent la Cour à leur tour. Et pour chacune des cinq années, les effectifs sont légèrement différents, comme le sont les instrumentations, même si parfois c'est très subtil, c'est par exemple un changement de basson ou l'arrivée d'une contrebasse... Ce qui compte, est qu'à chaque motet ça change, on n'est pas sur une formation "standard".
L'autre raison pour laquelle j'ai choisi ce répertoire, est que cette musique a une richesse, une densité et une profondeur qui autorisent à dire que du Mont est un des plus grands compositeurs du siècle, même si aujourd'hui il n'est peut-être pas le plus connu. Mais c'est aussi aux interprètes, pas forcément à l'histoire ou à l'université, de donner des hiérarchies ! Moi je le mets vraiment dans le parnasse des grands compositeurs du siècle. Très concrètement, les formes sont continues. Une pièce par exemple va durer dix minutes, en continu, donc, mais pendant ces dix minutes ça bouge tout le temps : un grand chœur enchaîne avec deux solistes puis il revient, puis relaie à quatre solistes. Les gens qui chantent le chœur chantent aussi les passages solistes, ce qui fait qu'il y a toujours, à regarder autant qu'à écouter !
L'intérêt premier des motets est donc musical. Mais les textes possèdent-ils aussi une dimension poétique ?
Prenons l'exemple du psaume "Superflumina Babylonis", c'est un des plus beaux textes de David. Il possède une grande profondeur et quelque chose de très touchant surtout en cette période : on y parle d'exil, des juifs qui sont déportés, de l'oppresseur et de son sadisme, car au moment où les juifs sont en captivité, les Babyloniens les narguent : allez, chantez-nous donc des chansons comme vous le faisiez à Jérusalem ! Il y a là toute la tristesse d'un peuple déporté, c'est un texte tellement chargé qu'il n'est pas pour moi un simple texte de messe... En plus des cinq grands motets, on a plusieurs petits motets chantés, soit par trois hommes, pour la chapelle royale, soit par trois femmes, c'était alors la musique des couvents. Chose paradoxale, pour cette musique des couvents par exemple, on utilise des textes du Cantique des Cantiques d'une poésie géniale ! Hyper sensuelle d'ailleurs, à la limite de l'érotisme parfois, et ils faisaient chanter ça aux demoiselles.
Comment définir la "signature" de l'ensemble "Correspondances" ?
Notre première identité est autour d'un répertoire, le baroque français, et notamment la musique sacrée, autour duquel on s'est constitués. Deuxième élément : c'est une équipe où chacun a la ressource et la personnalité d'être soliste - et ce sont des personnalités vraiment très différentes (notamment les voix). Mais ce qui nous définit depuis le début est que tous ces musiciens, rassemblés, constituent quelque chose de très homogène.
L'ensemble "Correspondances" ne se distingue-t-il pas aussi par un gros travail de recherche intellectuelle en amont ?
Clairement : mon projet est de faire entendre cette musique avec tous les outils musicologiques qui montrent comment elle a été jouée à l'époque. Une fois que tout ce travail scientifique et intellectuel a été fait et de la manière la plus sérieuse et la plus rigoureuse possible, commencent les répétitions et là on ne parle plus que de musique.
Que signifie pour vous être ensemble associé à Ambronay ?
Comme tous les ensembles indépendants, nous ne sommes pas naturellement attachés à un lieu : nous sommes lyonnais, mais sans port d'attache dans cette ville. Comme Ambronay est le grand festival de musique baroque de la région Rhône-Alpes, il y avait donc un lien "naturel" entre ce festival et nous. C'est en quelque sorte notre port d'attache en région Rhône Alpes, qui nous assure aussi de jouer au moins un nouveau projet par an au festival. Il nous permet aussi à l'occasion - et ça a été le cas pour du Mont, de venir travailler ici quelques jours dans cette enclave un peu isolée du monde, de travailler quelques jours pour monter sereinement un nouveau programme.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.