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Ambronay 2023 : la violoniste Amandine Beyer et son ensemble en ouverture du festival bouleversent le public avec Corelli, Haendel et Vivaldi

Amandine Beyer a donné avec son orchestre Gli Incogniti vendredi soir un concert d'ouverture à l'Abbatiale d'Ambronay qui, selon bon nombre de spectateurs et d'observateurs, restera dans les annales du festival. Au programme, les stars du baroque Vivaldi et Haendel, mais aussi, Corelli, moins connu du grand public et défendu avec ardeur par la violoniste et cheffe d'orchestre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
La violoniste Amandine Beyer avec son ensemble Gli Incogniti en concert d'ouverture du Festival d'Ambronay, le 15 septembre 2023 (BERTRAND PICHENE / FESTIVAL D'AMBRONAY)

Bis repetita. L'ensemble Gli Incogniti, porté par la fougueuse violoniste et cheffe d'orchestre Amandine Beyer avait marqué les esprits en clôturant le festival l'année dernière, lors de sa première venue à Ambronay. Ce vendredi 15 septembre il a ouvert la 44e édition du célèbre festival de musique baroque et ancienne, ovationné par le public. Il faut dire que tout y était : l'éclat, la vivacité, le talent brut de la musicienne d'origine aixoise – installée depuis en Espagne – et un programme intrigant, associant Haendel et Corelli avec Vivaldi, des univers et des compositeurs pour le moins différents.

"Ça fait du bien aux oreilles et à l'âme"


À la demande du festival, Vivaldi a été ajouté au programme initial intitulé The Bread of Life : "Corelli et Haendel, c'est la quintessence du répertoire pour orchestre à cordes, ce qui nourrit notre pratique musicale, notre pain quotidien", nous explique quelques heures avant le concert Amandine Beyer. "C'est fascinant comme ce répertoire reste fondateur. Surtout Corelli", s'anime-t-elle. "Il a inventé 80% des harmonies et de la manière de jouer ! Il fait partie de ces compositeurs comme Couperin qui sont importants pour les musiciens eux-mêmes mais restent moins grand public que d'autres. Quand on joue Corelli, ça fait du bien à l'instrument, à l'instrumentiste, ça fait du bien aux oreilles et à l'âme !".

La violoniste Amandine Beyer avec son ensemble Gli Incogniti en concert d'ouverture du Festival d'Ambronay, le 15 septembre 2023 (BERTRAND PICHENE / FESTIVAL D'AMBRONAY)

Et c'est avec Corelli que débute la soirée, le premier des "Concertos da chiesa" (concertos d'église), issus du célèbre opus 6. Le principe de ces concertos si typiques du baroque italien ? Les solistes, ici Amandine Beyer, un autre violoniste et un violoncelliste, dialoguent avec le "ripieno", le reste de l'orchestre, dans un jeu de questions-réponses permanent. Le charme opère peu à peu. Mais c'est avec Vivaldi et son Concerto pour violon en mi mineur RV 278 que le public d'Ambronay est immédiatement porté par le souffle d'Amandine Beyer. L'"Allegro molto" est énergique, exubérant, une fulgurance que l'archet de la violoniste maîtrise à merveille, rejointe par un tutti (l'orchestre des Incogniti, remarquable) d'une grande force. Et que dire du "Largo" poignant, admirablement porté par la basse continue ?

Clair-obscur musical

Peu après, Haendel ne fait pas moins que Vivaldi auprès d'un public déjà très échauffé. La violoniste nous avait prévenus avant le concert : Haendel, qui s'est inspiré de Corelli, a apporté le côté théâtral que son aîné n'a pas : "Il a quand même cette science du violonisme italien, qu'il capte avec une manière de spatialiser la musique et peut-être même les sentiments, ce qui donne à sa musique une dimension plus dramatique". Son Concerto grosso en la majeur est bouleversant. Le "Andante larghetto e staccato" est majestueux, parfait terrain de jeu pour un dialogue entre les solistes – ici Amandine Beyer et Vadym Makarenko - et le tutti d'une grande finesse. 

La violoniste Amandine Beyer lors du concert d'ouverture du Festival d'Ambronay, le 15 septembre 2023 (BERTRAND PICHENE / FESTIVAL D'AMBRONAY)

Mais Corelli n'a pas dit son dernier mot. L'arme secrète de ses concertos d'église : ses mouvements très brefs alternant en quelques secondes à peine parfois des atmosphères – et donc des sentiments – opposés, des allegros virtuoses aux adagios profonds, un peu à la manière du clair-obscur de Caravage. Ainsi par exemple le Concerto per la notte di Natale (pour la nuit de Noël), le plus célèbre de l'opus 6, fait se succéder à un "Allegro" extrêmement rapide, une poignante "Pastorale" parfois solennelle, s'achevant sur un pianissimo très émouvant. Et très applaudi.

Ou encore le Concerto n°3 où le temps semble suspendu lors du "Largo" d'une troublante beauté avant de laisser soudainement la place à l'"Allegro". Enfin, le dernier concerto d'église donné, le N°4 en ré mineur, offre un "Adagio" presque inquiétant qui bouleverse l'auditoire, suivi d'un "Vivace" porté admirablement par Amandine Beyer et Katia Viel, symbole de légèreté et d'insouciance.

Habitée par la musique

La violoniste impressionne par son aisance autant que par son allure et son port, habitée qu'elle est par la musique. Son corps est sans cesse en mouvement et affiche une joie communicative. "On dit souvent que la musique baroque c'est une musique des affects, des passions, et il faut bouger pour ressentir", nous a-t-elle expliqué. "Ma formation baroque est passée par là et me fait mettre l'accent sur ce qui fait qu'une musique nous touche, qu'elle est expressive". Le Festival d'Ambronay a définitivement adopté la violoniste et son ensemble, ovationnés en fin de concert. Et nombre de spectateurs rencontrés à la sortie signifient la rareté d'une telle performance.

La violoniste Amandine Beyer s'adresse au public lors de son concert avec son ensemble Gli Incogniti au Festival d'Ambronay, le 15 septembre 2023 (BERTRAND PICHENE / FESTIVAL D'AMBRONAY)

Souvent prolixe lors de ses concerts, Amandine Beyer avait décidé ce vendredi soir de ne faire parler que la musique. Pourtant, au beau milieu du spectacle, entre deux pièces, elle raconte avoir eu un "flashback", en jouant ici Corelli. "C'était il y a trente ans", se souvient-elle. "Je roulais en direction de Bâle pour suivre la Schola Cantorum où j'avais été sélectionnée pour suivre les cours de violon baroque de Chiara Bianchini, quand je l'ai entendue à la radio dans un concert diffusé depuis le Festival d'Ambronay avec son Ensemble 415. Je me suis dit : mais qu'est-ce que c'est beau, j'aimerais tellement m'approcher de ça ! Me voici aujourd'hui auprès de vous et je lui dédie ce concert".

Amandine Beyer et l'ensemble Gli Incogniti viennent de publier "Mystery Sonatas" de Heinrich Ignaz Franz Biber chez Harmonia Mundi

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