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A Venise, le patrimoine musical français oublié ressuscité par une équipe de chercheurs

Enfouies dans des cartons depuis le 19e siècle, des partitions de Debussy, d'Offenbach mais aussi de compositeurs méconnus auraient pu rester dans l'oubli encore longtemps. Mais depuis une décennie, des chercheurs passionnés les tirent de leur sommeil.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Le directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane Alexandre Dratwicki et son équipe travaillant sur une partition. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Le Centre de musique romantique française, qui fête ses dix ans, est un laboratoire réunissant des chercheurs enthousiastes qui exhument des oeuvres négligées, aux Archives nationales et dans les grandes bibliothèques mais aussi en allant à la rencontre de descendants de compositeurs en France. Il est plus connu sous un nom qui n'a rien de français : Palazzetto Bru Zane, situé à Venise.

Nicole Bru, une des fortunes de France après avoir hérité des laboratoires pharmaceutiques Upsa, mélomane, amoureuse de la Cité des Doges, avait fait restaurer un palais vénitien avant de le dédier à la musique française de 1780 à 1920. Financé à hauteur de 4 millions d'euros par an, le centre accueille des concerts des oeuvres ressuscitées, également présentées à Paris et ailleurs. Sur des milliers de pièces retrouvées, plusieurs centaines ont été rééditées et immortalisées grâce au label Palazzetto, avec la complicité de chefs d'orchestre comme Hervé Niquet.

"1% du répertoire joué"

Beaucoup de partitions ont ainsi "sonné pour la première fois aux oreilles des auditeurs", explique à l'AFP le directeur scientifique Alexandre Dratwicki, entouré, dans les bureaux de l'équipe parisienne du centre, de dizaines de classeurs contenant des manuscrits. "Si je vous dis Paul Véronge de La Nux ou Fernand de la Tombelle, je pense que vous ne connaissez pas", sourit-il.

Le directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane Alexandre Dratwicki et son équipe travaillant sur une partition. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)
"Mais derrière ces noms, vous avez des dizaines voire des centaines d'oeuvres à découvrir. Ce qui est parfois plus excitant, c'est que d'Offenbach, de Debussy (...), il reste des oeuvres qui n'ont jamais été entendues par le compositeur lui-même", affirme le musicologue. Comme par exemple cette pièce de Ravel découverte il y a quelques mois à la Bibliothèque nationale, un air de ténor avec prélude d'orchestre. Cette année aussi, à l'occasion du bicentenaire de la naissance d'Offenbach, le Palazzetto a ressuscité une rareté, son opéra-bouffe Maître Péronilla (1878).


Redécouvrir le romantisme français peut s'avérer risqué, vu qu'il s'agit d'une niche. "Le 19e siècle est très connu (...) en Allemagne pour Wagner ou en Italie pour Verdi. Mais en France, à part quelques oeuvres comme Carmen de Bizet ou Faust de Gounod, un pan entier de compositeurs n'a pas atteint la postérité", précise Alexandre Dratwicki. "On joue moins de 1% de la musique écrite au 19e siècle", dit-il, soulignant que le genre romantique a été ensuite méprisé car jugé "facile et vulgaire". Mais cette musique "parle directement au coeur... elle touche un peu comme la musique de films, immédiatement", ajoute-t-il, citant notamment l'opérette, l'ancêtre de la comédie musicale.

"Travail éditorial" 

Parmi les oeuvres exhumées ayant attiré l'attention des critiques, une flopée d'opéras : Herculanum d'un certain Félicien David (CD primé et version scénique) Cinq-Mars de Gounod, Dante de Benjamin Godard, Le Mage de Jules Massenet ou encore Les Barbares de Saint-Saëns. En plus des bibliothèques, dont celle de l'Opéra de Paris, les chercheurs du Palazzetto partent à la chasse au trésor et tombent sur des partitions oubliées dans des caves des descendants. Comme à Lacoste dans le Vaucluse (sud-est) pour Théodore Dubois ou au Château de Fayrac en Dordogne (sud-ouest) pour Fernand de La Tombelle.

Vue du plafond du Palazzetto Bru Zane à Venise. (ANDREA PATTARO / AFP)

Les partitions sont numérisées et éditées grâce à des logiciels ; un travail de fourmi qui peut prendre des mois voire des années, pour trancher entre différentes versions, déchiffrer et "nettoyer" la partition, souvent très annotée. "C'est vraiment un travail éditorial, comme Gallimard ferait avec un manuscrit de Proust", affirme Sébastien Troester, responsable scientifique des éditions musicales du Palazzetto. "Parfois, à force de l'écouter, on devient fou", plaisante-t-il. "Mais quand c'est joué par un orchestre pour la première fois, c'est magique".

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