Rencontre avec Michel Jonasz, le ciseleur de nostalgie
"Joueurs de blues"
Un spectacle de Michel Jonasz, ce sont d'abord des incontournables. Au moment où l’on prend place dans la salle, on sait que l’on va avoir devant soi quelques-uns des meilleurs musiciens, on sait que l’on va alterner les émotions, de la nostalgie à l’humour. On sait aussi que l’on entendra Supernana et Les fourmis rouges… Après c’est la surprise. Pour composer son spectacle Michel Jonasz puise dans son dernier album, « Les hommes sont toujours des enfants », et va chercher d’autres chansons. Il a le choix. Plus de 15 albums, sans compter les enregistrements publics. Alors on espère, on est comblé, on est déçu. On n’a pas entendu « Lucille » mais il a ressuscité « Du blues, du blues, du blues ». Autour de Jonasz, hier soir, trois musiciens, Guillaume Poncelet aux claviers, Stéphane Edouard aux percussions, Jim Grandcamp à la guitare et deux choristes, Eric Filet et Jean-Marc Reyno. Comme d’habitude quelques-unes des pointures du moment. On se rappelle qu’on a vu à ses côtés des gens comme Manu Katché et Sylvain Marc, Jean-Yves d’Angelo et Dominique Bertram, Steve Gadd et les fabuleux choristes, les frères Arthur et Johnny Simms.
Extrait du DVD "Michel Jonasz au Casino de Paris"
"Le premier reproche"
La surprise, pourtant est de taille : où est passé le « son Jonasz » ? Cette ligne de basse qui donnait une profondeur à tout le spectacle, lui accordant une tonalité reconnaissable dés les premières notes. Disparue. Petite déception.
Mais le vibrato de la voix est toujours là. Une voix intacte au mi-temps de la soixantaine comme à trente ans. Et puis le blues, les couleurs tsiganes, la salsa, le rock, le jazz sont au rendez-vous. Les influences restent multiples et au bout du compte ça fait toujours du Jonasz. Enfin, il y a ceci, que ne parviennent pas à imaginer ceux qui n’ont jamais assisté à un spectacle du gosse de Drancy, derrière Pantin : son humour. Fin, un humour qui réchauffe, qui rapproche. Qui crée la connivence. Jonasz, chanteur triste ? Allons donc. Il est désespéré comme tout homme qui songe à sa condition, mais en bon alchimiste, c'est-à-dire en artiste, il transforme l’angoisse commune en amour, et nous parle de son enfance comme on évoque des moments heureux partagés. Deux heures et quart de spectacle. On aurait pu rester plus longtemps.
"La drogue m'a mis la main d'ssus, j'suis foutu" :
Jonasz, on l'a écouté à 17 ans comme on l'écoute aujourd'hui, quelques (dizaines d') années plus tard. On l'a écouté en mono, en stéréo, sur cassette, sur vinyle, sur CD, sur DVD, on l’a écouté chez les parents, dans la chambre de cité universitaire, dans le studio de célibataire, on l’a écouté en famille, avec sa sœur, avec sa femme, avec ses enfants. On l’a écouté en voyageant, on l’a écouté sur son walkman et sur son Ipod, en marchant, en courant, on l’a même écouté à ski. Les jours de fête un peu arrosées... on l’a imité «dix-huit grèves de poubelles... Supernana»...
La scène ? Pour paraphraser Isabelle Adjani dans le film de Jacques Monnet, Clara et les chics types : « Si Michel Jonasz passe dans une ville où je suis, tu peux être sûr que je vais au concert! ». Alors ça aura été Strasbourg, Paris, Besançon, Grenoble, Lyon, des grandes salles, des plus petites, l’Olympia… Plusieurs fois. L’impression, à chaque rendez-vous, de retrouver un pote qui nous donne des nouvelles, qui nous raconte toujours ses petites histoires, les anciennes, qu’on connaît par cœur et les nouvelles qu’on a hâte de découvrir. Une vraie histoire de famille.
Jonasz, en résumé, c'est la bande originale de notre vie.
"La rencontre" :
Dans ces conditions, quand on se retrouve devant un Michel Jonasz fatigué par son concert, mais se prêtant quand même à une interview dans sa loge, quelques minutes seulement après la fin du dernier rappel, une émotion inattendue peut vous submerger. Compte rendu :
« JF L pour Culturebox : Vous retrouvez des grandes salles, votre période un peu creuse est terminée après la mésaventure avec votre maison de disques qui ne vous a plus fait confiance et a mis fin à votre contrat?
Michel Jonasz : Je ne sais pas d'où vient cette histoire que j'ai déjà entendue, je suis producteur de mes disques depuis... « La nouvelle Vie », au début des années 80. Et il y a toujours eu dans mon contrat une clause qui stipulait que j'étais seul responsable de la direction artistique. Personne d'autre ne pouvait intervenir. La maison qui distribuait mes disques et moi nous sommes quittés d'un commun accord. Quant à la période creuse, je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Je sors un disque tous les deux ans, je fais des tournées. Il y a des disques qui rencontrent mieux le public que d'autres... La taille des salles, cela dépend simplement du spectacle et du nombre de musiciens. J'ai fait une longue tournée avec un spectacle qui s'appelait Trio avec deux musiciens... J'aime bien donner des concerts dans de petites salles. Et dans les petites salles, on ne peut pas être nombreux sur scène, parce que ça coûte cher. J'aime beaucoup les petites salles.
Culturebox : Votre public est fidèle et vous suit souvent depuis des années, il peut être déçu de ne pas entendre SA chanson préférée, comme « Guigui » par exemple. Ces chansons là, plus anciennes, elles ne reviendront plus jamais dans vos spectacles ?
Michel Jonasz : Le choix des chansons dépend aussi de la taille du spectacle, et du nombre de musiciens. On me dit : ah, vous n'avez pas joué « La boîte de jazz » par exemple, mais là, pour cette chanson-là, on n'est pas assez nombreux. Il faut faire des choix... Vous me parlez de Guigui... d'ailleurs, cette chanson, au début elle était dans ce spectacle, lors des premières répétitions. Et puis ça évolue. Le choix... Il faut d'abord que ça me fasse plaisir, je ne peux pas répondre à toutes les demandes du public... Le spectacle, ce soir, a duré plus de deux heures. Il faut d'abord que ça me fasse plaisir.
Culturebox :
Le public aime les histoires que vous racontez entre les chansons, est-ce pour cela que vous tournez aussi avec le spectacle « Abraham », en hommage à votre grand père ?
Michel Jonasz :
Non, pas du tout... ça n'a rien à voir. C'est une pièce de théâtre, je ne raconte pas comme je le fais sur scène entre les chansons... ça n'a vraiment rien à voir... Dans ce spectacle j'incarne mon grand-père, que je n'ai pas connu mais dont ma mère m'a beaucoup parlé. Il y a eu la guerre, il a été déporté. Mais je ne parle pas que de lui, c'est une manière d'évoquer des millions de morts... Des millions de morts, ça ne dit rien... comme ça... mais ce sont des gens, des millions de fois une personne, et c'est cela que je raconte à travers le personnage d'Abraham. De mon grand-père. »
"Le diner s’achève":
Voilà. Le regard de Michel Jonasz est loin quand il parle de son grand-père, loin à l’intérieur de lui-même. On sent qu’on s’y est un peu mal pris, qu’on a agacé, qu’on n’avait pas vraiment compris que ce spectacle de théâtre, qu’on n’a pas vu ce soir, n’est pas à mettre sur le même plan que les concerts de l’artiste. Qu’il relève plus du besoin vital, du devoir que de l’envie. Alors on remercie, on s’apprête à partir en regrettant tout ce qu’on avait préparé et qu’on n’a pas pu dire. On voudrait que l’artiste perçoive que pour soi, le moment est magique. Mais l’artiste est fatigué et des gens comme soi, il en voit tous les jours. On plie ses affaires, on quitte la loge en remerciant et l’on se souvient de ce jour lointain quand, étudiant à Strasbourg, la soirée s’était terminée dans une winstub à la table des musiciens, à deux pas de celle où se restaurait l’artiste.
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