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Léo Ferré et mai 68 : une rencontre inévitable

Les Editions "La Mémoire et la Mer" avec Universal publient "Léo Ferré Mai 1968", un coffret de trois CD comprenant notamment l'enregistrement d'un concert inédit donné par l'artiste anarchiste le 10 mai 1968 à la Mutualité. Léo Ferré fut le seul artiste de sa génération à être reconnu comme l'un des siens par le mouvement contestataire. La rencontre était inévitable.
Article rédigé par franceinfo
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Léo Ferré en 1978
 (ROBERT PICARD / Ina)

En mai 1968, Léo Ferré a 52 ans. Son passé de chanteur contestataire et anarchiste, ses chansons irrévérencieuses et toujours en rebellion contre la société établie rencontrent un large écho parmi la jeunesse révoltée de ce printemps-là. Malgré son âge, l'auteur de "Mon général" et de "Quartier Latin" est reconnu par les manifestants comme l'un des leurs. 

Reportage : M. Vial / O. Palomino / P. Touileb / L. Hakim / S. Thiebault


Tous les ans ou presque, Léo Ferré est la tête d'affiche du concert (on dit alors gala) donné à la Mutualité en soutien au journal anarchiste "Le Monde Libertaire". En 1968, l'évènement tombe le 10 mai. Cette soirée allait rester dans l'histoire sous le nom de "la nuit des barricades". C'est en effet à cette date que la rue Gay-Lussac et les rues environnantes allaient être le théâtre d'affrontements violents entre les étudiants et les forces de l'ordre avec voitures retournées et incendiées, mais aussi constitution de barricades rappelant celles de 1848.

Léo Ferré en 1969
 (CONDA/SIPA)

Ferré avec nous


Dans sa remarquable biographie de Léo Ferré (Léo Ferré, Une vie d'artiste. Actes Sud 1996) Robert Belleret raconte : "Vers dix-huit heures trente, après avoir réglé la balance, et pour attendre le lever de rideau, Ferré s'est attablé dans un bistrot de la place Maubert (…) Viennent alors à passer des groupes d'étudiants, de lycéens et d'enseignants qui se rendent à la manifestation (…). Au passage, un étudiant reconnaît Léo, alerte ses copains, on fait cercle, on l'interpelle et, aux cris de "Ferré avec nous", on cherche à l'embarquer dans la manif... Ce n'est pas encore le grand soir mais il y a déjà des drapeaux et des banderoles déployés. Ferré est ému, il le dit, mais il doit répondre aussi quelque chose comme : "Je ne peux pas les gars, je voudrais bien mais je ne peux pas, je dois chanter pour les anars..." Boulot, projos, sono, ciao. Ce soir-là Ferré ne montera pas sur les barricades et ne participera pas à sa première manifestation. Mais jusqu'à la fin de ses jours, il évoquera avec émotion cette rencontre avec ceux qui (dé)faisaient l'Histoire."
 

ça m'a donné les larmes aux yeux, bien sûr. Quand ils m'ont demandé d'aller avec eux, je leur ai expliqué que je ne pouvais pas.... (…) C'est la première fois que je voyais le drapeau noir dans les rues. C'est fantastique ça... (entretien à France Culture rapporté par Robert Belleret)

Léo Ferré

Quartier latin


Le tour de chant du 10 mai 1968, il est désormais possible de l'écouter grâce à la publication de ce triple CD. La prise de son reste médiocre mais le document est là. Et l'actualité aussi. Celle de la France et celle de Léo. Il y évoque "les Beatniks", il chante "Ils ont voté", "Quartier latin", "La Marseillaise", "Les Anarchistes", tous dans l'air du temps. Mais il y interprète aussi "Pépée", une chanson qui évoque un drame personnel alors tout récent (la mort de sa chimpanzée, tuée sur ordre de Madeleine sa première femme, avec tous les animaux du couple en cours de séparation). Seize chansons plus une, "La révolution", enregistrée en janvier 1969 composent cet enregistrement de près d'une heure. Etrangement la photo intérieure du digipack ne date pas de ce soir bien particulier mais de 1971 et d'un concert avec le groupe Zoo !

Léo Ferré à l'Olympia en 1984
 (jean-François Lixon)

Traces de l'espoir
 

Deux autres CD encadrent le concert. Le premier se compose des chansons contestataires qui ont précédé Mai 68. Et parfois précédé de loin, puisque la plus ancienne "Le temps des roses rouges" date de 1945 ! Dès 1947, Léo Ferré interpellait le général de Gaulle dans "Mon général", tout comme les manifestants allaient le faire dans les rues parisiennes au printemps 1968. Le second, réunit des chansons postérieures et, sans aucun doute, influencées par les évènements du mois de mai. Elles ne sont pas toutes teintées directement de politique, mais elles portent toutes la trace de l'espoir déçu et pourtant si prolifique de ces soirées de printemps aux odeurs de gaz lacrymogène. 

Le coffret "Léo Ferré Mai 1968"
 (Universal, "La Mémoire et la Mer")

Le drapeau noir
 

Un livret passionnant complète le triple CD. Et il est important car il permet de replacer chaque chanson non seulement dans l'oeuvre de Léo Ferré mais aussi dans son contexte historique. On se rend compte (mais est-ce une découverte ?) que Léo Ferré n'a pas pris en marche le train de la révolution avortée de mai. Ferré qui n'a jamais défilé sous aucune banderole et qui a toujours préféré le drapeau noir à n'importe quel autre.

Léo Ferré, qui a rendu son âme ni à Dieu ni à maître un 14 juillet d'il y aura bientôt vingt-cinq ans, nous rappelle que même avec le temps, "ils sont toujours debout, les anarchistes "... 
 

Léo Ferré Mai 68

Triple CD Universal Music et Editions "La mémoire et la Mer"
CD1 - Avec mes idées toujours les mêmes
CD2 - 68 ! Et des poussières
CD3 - Concert du 10 mai 1968 à la Mutualité
Sortie le 20 avril 2018

Liste des chansons :

CD1 "Avec mes idées toujours les mêmes"
Les chansons sont présentées dans l’ordre chronologique d'écriture des paroles
Le temps des roses rouges, Mon général, Le Flamenco de Paris, Monsieur tout blanc, Vitrines, L'homme, Graine d'ananar, La vie moderne, La mauvaise graine, L'âge d'or, Thank you Satan, Pacific blues, Y'en a marre, Sans façon Franco la muerte, Ni Dieu, ni maître, Ils ont voté, Quartier Latin, Salut Beatnik
CD2 68 "! Et des poussières... "
Comme une fille, Les anarchistes, L'été 68, C'est extra, Madame la misère, Paris je ne t'aime plus, Poète, vos papiers !, Le chien (poème), Le conditionnel de variété, Faites l'amour, La solitude, Les étrangers, L'oppression, Il n'y a plus rien
CD3 en public inédit à La Mutualité le 10 mai 1968
La mort, C'est un air, L'amour, Salut beatnik, Quartier latin, Les gares les ports, Le bonheur, Le lit, Ils ont voté, Madame la misère, La Marseillaise, La nuit, Le testament, Pépée, Spleen, Les anarchistes Bonus Bobino 69 La révolution 

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