"Gueuler partout comme un putois", nouvel album de Sarcloret
Quelqu'un dissipera-t-il un jour ce mystère : pourquoi, de tous les pays francophones, la Suisse est-elle celui dont la France ignore le plus facilement les artistes, et en particulier ceux qui chantent ? N'importe qui est capable de citer des chanteurs belges, tout le monde a en tête des « chansonniers québécois » et même pire : des chanteuses québécoises! Il en est même qui se rappellent que Léo Ferré était monégasque (de naissance!). Et les Suisses dans tout ça ? Les plus cultivés citeront peut-être Michel Bühler, et les plus chanceux Sarcloret.
Odeurs et liberté
Chanceux, oui, car c'est un vrai plaisir, une jubilation oserait-on si le mot n'était galvaudé à longueur de critiques, que de trouver dans sa discothèque des oeuvres de ce tendre malotru. Né dans la bonne bourgeoisie suisse romande il y a 61 ans, le garçon traverse la vie une guitare à la main, avec à la bouche quelques couplets de son cru où il est question d'odeurs, de liberté, d'amour ou de femmes qu'on aime parce qu' "Elle nous font des enfants si doux", titre d'un de ses albums. On y croise en effet des enfants, souvent les siens, des femmes, souvent les siennes. On y fait l'amour avec un maximum de tendresse et sous un déluge de termes grossiers et malodorants. Quoi que... C'est une question de goût!
« Gueuler partout comme un putois »
Ce treizième album de Sarcloret compte treize chansons. Dont deux en lien avec Bob Dylan. Dans "Dylan", c'est le Sarclo nostalgique qui imagine le jour où il apprendra que Dylan n'est plus. Le clip a été filmé au cimétière du père Lachaise, où Dylan n'a que très peu de chance de reposer un jour mais où "réside" cette autre référence du chanteur qu'est toujours Pierre Desproges.
"Tout va bien" est une traduction-adaptation d'un énorme succès de Bob Dylan datant de 1965 "It's Alright, Ma (I'm Only Bleeding)". Sarcloret interprète sa propre traduction du texte original. C'était l'époque où Dylan emplissait ses chansons d'une loghorrée interminable. La traduction respecte l'esprit dylanien même si la patte du Suisse est toujours reconnaissable. Bel exploit.
En plus des morceaux d'humour déjà d'anthologie, le disque, comme d'habitude, recèle quelques trésors de tendresse. On se donnera le droit de retenir "A quoi sert l'amour à douze ans", une petite perle digne du magnifique "Mon papa" d'un précédent album.
Sarclo ou Sarcloret
Sarcloret, c'est un pseudo, a longtemps contracté ce nom d'emprunt en Sarclo. Et puis un président français a porté pendant quelques années un diminutif assez proche, et l'artiste a repris l'intégralité de son nom. Il n'y avait pourtant pas de raison de confondre les deux hommes : "Je suis très différent de ce garçon, répond Sarcloret, j'ai une gonzesse qui chante juste et qui ne fait pas de disque". Autant Sarko fut de droite, autant Sarclo est, a été et restera à gauche. Une gauche où on aime bien passer des soirées à refaire le monde autour d'une guitare et d'une bonne bouteille, où on se permet de dézinguer Le Pen dans une chanson sans même être français, une gauche tendance anar, mais avec de l'humour.
Le Sarcloret est moqueur
Sur scène, entre les chansons, il sert à son public des monologues au fil desquels il se paie la tête de tout le monde, sa soeur, ses voisins, les Suisses, les Français, et Sylvie Vartan... Le tout avec un léger accent d'Hèlvétie qui apporte une agréable touche d'exotisme. Avec l'âge Sarcloret n'a pas gagné en sagesse. On s'en serait étonné. Il faut dire aussi que ce type n'étranglera jamais l'adolescent qu'il fut et qui a passé a vie à "Gueuler partout comme un putois".
Pote à Renaud
Sarclo a un très bon ami dans la chanson française. C'est Renaud. Le révolté des cantons chics a fait plusieurs fois la première partie du prolo de Neuilly. Aujourd'hui, Sarcloret a un peu de mal à retrouver le Renaud inspiré, celui de "Laisse béton" ou "Dés que le vent soufflera". Jamais diplomate, Sarcloret dit que quand il va lui rendre visite il a l'impression d'aller voir une vieille dame à la maison de retraite. Mais il ajoute quand même que lorsque Renaud a écouté les textes du dernier album de Sarclo, il est redevenu le Renaud qu'il aime. Et puis Sarcloret n'oubliera jamais que le loubard périphérique a dit de lui un jour qu'il est "la plus belle invention suisse depuis le trou dans le gruyère".
Le CD a été produit par Napoléon Washington du groupe de blues « The Five Blind Boys from the Parish ». Le fils de Sarcloret assure la batterie.
"Gueuler partout comme un putois" de Sarcloret . 2012
Côtes du Rhône Productions. - Distribué par L'autre Distribution
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.