Cité internationale de la langue française : la chanson, puissante ambassadrice, à l'honneur de la première exposition ouverte au château de Villers-Cotterêts
Sept mois et demi après son inauguration et son ouverture au public, la Cité internationale de la langue française dévoile sa toute première exposition : C’est une chanson qui nous ressemble. Succès mondiaux des musiques populaires francophones. L'exposition s'est ouverte mercredi 19 juin, pour plus de six mois, jusqu'au 5 janvier 2025. La chanson, vecteur de mille et une émotions, forme un écrin rêvé pour faire voyager une langue par-delà les mers et les frontières. Et parfois, susciter chez l'auditeur l'envie de découvrir la langue dans laquelle elle a été écrite.
C'est dans cette optique que Bertrand Dicale, journaliste et spécialiste de la chanson française, animateur de la chronique Ces chansons qui font l'actu sur la radio FranceInfo (et dont les podcasts "C'est une chanson qui nous ressemble" sont déjà disponibles), a pensé et conçu l'exposition dont il est le commissaire. Avec une illustre phrase de Jacques Prévert, parolier des Feuilles mortes, en guise de titre. Mardi 18 juin, lors d'une présentation à la presse, il s'est souvenu : "Il y a quelques années, les Alliances françaises avaient posé cette question à leurs étudiants : d'où vient votre désir de français ? Première raison, la littérature. Deuxième, le cinéma. Troisième, la musique, les chansons. Les opportunités professionnelles, la culture générale, travailler dans le commerce ou le tourisme, ça venait en quatrième, après la consommation culturelle. En cela, on est un cas assez rare."
L'immersion musicale qui nous est proposée, non chronologique, se décline en cinq thématiques : le cabaret ; la rue, ses résistances et ses combats ; le music-hall ; le club en pointe de l'actu pop ; et enfin le dancing avec toutes ces chansons qui passent par le corps, la sensualité... Soit cinq salles sur près de 400 mètres carrés. Pour chaque thématique, quelques exemples ciblés d'artistes et de titres, des costumes, des instruments de musique, du son à foison (au casque, on entend des montages de différentes versions des chansons) et des vidéos, des reproductions de partitions et de manuscrits historiques... Beaucoup de chanteurs et de chansons sont présentés dans des panneaux ayant l'apparence de compartiments ouverts, truffés d'informations, certaines essentielles, d'autres plus anecdotiques, "pour les monomaniaques" selon Bertrand Dicale, à explorer "en se mettant à quatre pattes si l'on ne veut rien rater" ! L'exposition au Château de Villers-Cotterêts a été réalisée avec le Centre des monuments nationaux (CMN). Plusieurs pièces et documents ont été prêtés par la Sacem et par les ayants droit des artistes.
L'exposition C'est une chanson qui nous ressemble n'a pas été pensée pour être exhaustive. Tous les grands noms de cet art populaire ne sont pas là, loin s'en faut, car tous ne se sont pas exportés en version originale au-delà du monde francophone. Et même pour ceux qui y sont parvenus, un choix drastique a été fait, qui suscitera probablement quelques déceptions. En revanche, Bertrand Dicale a pointé le rôle important joué par des artistes féminines de différentes générations pour représenter la culture francophone à travers le monde, au risque, une fois encore, de surprendre, voire de faire grincer des dents.
Un thème assumé : la chanson populaire en VO qui cartonne à l'étranger
C'est l'angle qu'a choisi le commissaire de l'exposition, et celui qu'il faut garder à l'esprit tout au long de la visite : il ne s'agit pas de célébrer les générations de poètes qui auront incarné le rayonnement de la culture française et francophone... aux yeux des francophones. Ne cherchez donc pas Georges Brassens ou Jacques Brel, vous ne les trouverez pas. Il s'agit de braquer les projecteurs sur des artistes qui ont connu un succès important, parfois inattendu, inespéré, sur l'un ou plusieurs des cinq continents, de la Chine à la Russie, en passant par le Brésil. Succès en termes de vente de disques au XXe siècle, succès en nombre de vues et d'écoutes en ligne au XXIe siècle. Avec, cerise sur le gâteau, un pouvoir d'inspiration, d'influence, de l'artiste dans les pays séduits.
Le premier visage qui nous accueille à l'entrée du parcours est celui de la chanteuse Aya Nakamura, énorme star à l'export, et néanmoins victime d'une polémique intense en mars dernier, quand son nom a circulé parmi les artistes pressentis pour se produire - et en l'occurrence pour chanter Édith Piaf - à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris. La levée de boucliers émanait notamment de l'extrême droite. La commune de Villers-Cotterêts étant administrée par le Rassemblement national, on trouvera le clin d'œil malicieux. Mardi 18 juin, au château de Villers-Cotterêts, Bertrand Dicale a défendu avec autant d'énergie que de sérénité la diva franco-malienne du reggaeton, lui prédisant avec humour une "médaille de la Légion d'honneur dans les dix ou quinze ans".
Avant Aya Nakamura, d'autres vedettes francophones de la chanson ont marqué fortement les esprits hors de nos frontières. C'est le cas de Françoise Hardy, véritable icône de l'élégance pop dans les années 60, adulée par bien des artistes anglo-saxons dont Mick Jagger, et célébrée dans l'exposition quelques jours après sa disparition le 11 juin dernier. Un panneau entier lui est consacré, enrichi par une de ses tenues de scène datant de 1965, signée Courrèges, et qui a conservé deux taches d'époque...
Face à Françoise Hardy, un autre panneau rappelle le succès transfrontalier des Négresses vertes au tournant des décennies 1980 et 90. Ce groupe, ainsi que Françoise Hardy, sont à l'honneur dans la salle dédiée au thème "Le club, à la pointe de l'actualité pop", qui nous accueille avec le Belge Stromae. "C'est tout simplement ces moments où les artistes en langue française sont ultra-branchés, ils sont la branchitude absolue !", s'enthousiasme Bertrand Dicale.
Parmi les artistes qui ont émergé plus tôt dans le XXe siècle, répartis dans les salles "Cabaret" et "Music-hall", quelques légendes sont présentes, de Maurice Chevalier, qui fit carrière à Hollywood, à Charles Aznavour, autre chanteur et acteur renommé dans le monde entier et dont on célèbre le centenaire de la naissance, en passant par Édith Piaf, autrice des paroles de La Vie en rose et Hymne à l'amour. Du côté des chansons anciennes mises en valeur, on trouve C'est si bon (1947), sur une musique d'Henri Betti et des paroles d'André Hornez, qui a vogué de cabaret en festival avant de franchir l'Atlantique. Bertrand Dicale ayant dû faire des choix, il a expliqué avoir opté pour ce titre aux dépens de La Mer de Charles Trenet, chanson lancée à la même époque et au parcours également universel...
De son côté, Henri Salvador est honoré pour sa chanson Dans mon île qui connut un grand succès au Brésil à la fin des années 50. Des amoureux de la chanson, et certains artistes brésiliens, citent ce titre parmi les diverses influences de la bossa-nova, bien que le mouvement musical ait émergé quelques années avant l'arrivée de la chanson au Brésil. Si influence il y eut, c'est probablement au niveau du style, de l'expressivité : lors d'un concert à Paris, le chanteur João Gilberto, interprète emblématique du mouvement, cita Henri Salvador parmi les trois chanteurs qu'il considérait comme ses sources d'inspiration, se souvenait l'homme de radio Laurent Valero lors d'un ciné-concert le 7 février à Créteil.
Les artistes féminines en force
Au gré des différentes thématiques abordées dans l'exposition, une constante frappe le visiteur : les femmes sont présentes en force. Pour ce faire, le commissaire confie avoir laissé de côté ses goûts et préférences personnelles, soucieux de rendre hommage à toutes celles qui sont parvenues à faire résonner la langue française sur tous les continents, se refusant à opérer une distinction entre chanson française et variété.
Parmi ces nombreuses "ambassadrices", figurent, outre Édith Piaf, Françoise Hardy et Aya Nakamura, Juliette Gréco, l'icône absolue, dont une belle robe noire de scène est exposée. Il y a Line Renaud qui triompha en meneuse de revue à Las Vegas. Il y a Céline Dion, dont l'album D'eux, écrit et composé par Jean-Jacques Goldman, connut un immense succès international au milieu des années 90. Une petite table de mixage permet de séparer les différentes pistes de son tube planétaire Pour que tu m'aimes encore.
Il y a aussi Mireille Mathieu, très célèbre en Russie et en Chine, la regrettée Marie Laforêt pour laquelle un fan inconditionnel a prêté de nombreuses unes de magazines de différents pays qui révèlent la fascination que ses yeux exercèrent en différents lieux du globe... Autre ambassadrice à sa façon, la comédienne Jeanne Moreau, qui a enregistré plusieurs chansons intemporelles dont l'illustre Tourbillon (de Serge Rezvani), titre immortalisé dans Jules et Jim (1962) de François Truffaut. Ce film a subjugué un jeune Brésilien appelé Milton Nascimento, lui donnant envie d'écrire ses premières chansons, peut-on lire sur le panneau dédié...
L'exposition évoque également Patricia Kaas, voix incontournable de la variété française entre la fin des années 80 et les années 90, qui s'est produite à travers le globe. Il y a enfin Zaz et ses 5 millions d'albums vendus dans le monde, parmi les représentantes des générations plus récentes. Bertrand Dicale s'est forgé sa propre thèse à la présence si importante d'artistes féminines francophones sur la scène internationale. "J'ai eu le sentiment que les femmes faisaient le job, là où les artistes masculins étaient plus enclins à vouloir construire une œuvre..."
Le rayonnement de la chanson francophone s'illustre également au travers des thématiques des chants de rue, de révolte et de combat comme La Marseillaise, L'Internationale et Le Déserteur et de ceux, bien plus légers, qui agitent et échauffent les corps. Dans cette dernière salle du "Dancing, un hédonisme collectif", un hommage est rendu au groupe zouk Kassav, l'occasion de contempler une célèbre guitare du regretté Jacob Desvarieux et une très belle robe de Jocelyne Bérouard. Les visiteurs découvriront enfin tout un tas de curiosités et de chansons inattendues, sélectionnées avec gourmandise par le commissaire de l'exposition.
"C’est une chanson qui nous ressemble. Succès mondiaux des musiques populaires francophones", à la Cité internationale de la langue française, Château de Villers-Cotterêts (Aisne). Depuis le 19 juin 2024, jusqu'au 5 janvier 2025. Tarif unique : 5 € (gratuités habituelles applicables)
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