Cet article date de plus de sept ans.

Babx, orfèvre de l'intime, en concert à Paris avec le poignant "Ascensions"

Le chanteur et musicien Babx a réalisé son cinquième album "Ascensions" à l'issue d'une phase de silence consécutive aux attentats du 13 novembre 2015. Retrouvant inspiration et force de vie, il a écrit des chansons profondément poétiques, intimistes, émouvantes. Babx donne un concert unique lundi 27 novembre 2017 à Paris, à La Cigale. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Babx a reçu le prix spécial du jury lors de la remise du Prix des Indés, à La Cigale, à Paris, le 16 octobre 2017
 (Edmond Sadaka / Sipa)

Il y a trois ans, Babx - David Babin à la ville - s'affranchissait des maisons de disques et créait son propre label, Bisonbison. En 2015, il lançait l'album "Cristal Automatique 1", une mise en musiques d'œuvres de ses poètes préférés, Grand-Prix de l'Académie Charles-Cros.

Deux ans plus tard, Babx a sorti fin mai "Ascensions", écrit en réaction au 13-Novembre, sans mentionner les événements dans ses chansons. Le titre de l'album lui a été inspiré par des synchronicités troublantes. "Ascensions", c'est un moment d'émotion pure qui s'ouvre sur un hommage à Omaya Al-Jbara, héroïne de la résistance irakienne assassinée par Daech. On y trouve aussi, entre autres, une chanson écrite du point de vue de Nicolas Sarkozy ("L'homme de Tripoli"), une évocation des obsèques anonymes d'un terroriste ("Le déserteur") et la belle chanson d'amour "Alpiniste".

Le disque se compose d'enregistrements en piano-voix qui n'étaient pas destinés à se retrouver sur l'album, mais dont l'authenticité s'est imposée à l'artiste. Babx y a invité Mujahid Hajana, réfugié soudanais, la chanteuse-danseuse Dorothy Munyaneza et le groupe Supersonic de Thomas de Pourquery. Certains seront aux côtés de Babx lundi soir sur la scène de la Cigale, à Paris.

- Culturebox : Votre album a été écrit en réaction aux attentats du 13 novembre 2015. Où étiez-vous ce soir-là ?
- Babx : J'étais en concert à Lille. On a appris la bonne nouvelle en sortant de scène. On s'est assurés que... Bref. On ne va pas trop revenir sur ce sujet. Je n'ai pas envie de devenir une sorte de référent du "chanteur 13 Novembre" ! [il rit] Forcément, le disque m'y ramène et en même temps, j'ai pris soin à ne jamais l'évoquer dans les chansons, j'ai veillé à ce qu'à aucun moment, ce ne soit lisible. D'abord, je n'avais aucune envie de faire un disque à partir d'un événement aussi tragique soit-il, et ensuite, l'idée de l'album était de tourner une page, de passer à autre chose. D'aller vers la vie.

- Néanmoins, le 13-Novembre est clairement mentionné en préambule sur le disque...
- Tout à fait. Ça a été le point de départ. Mais ce n'est pas le point d'arrivée. Le point d'arrivée, c'est d'être vivant, d'être bien là et de faire un concert lundi avec tous les gens que j'aime. L'enjeu, c'était : comment sortir de la tristesse, du deuil, de l'effondrement pour certains, de la terreur pour d'autres, pour transformer cela en musique, en vie.

- Justement, comment avez-vous vécu les mois qui ont suivi les événements ?
- Comme beaucoup... J'ai d'ailleurs du mal à en parler à la première personne car c'est quelque chose qui est survenu collectivement. Même si intimement, on l'a tous vécu différemment. De mon petit point de vue personnel, comme pour des milliers d'autres, on était tous écrasés, comme si on s'était pris un douze tonnes dans la figure et qu'il fallait se relever. Je l'ai vécu en plusieurs étapes, d'abord branché 24 heures sur 24 sur les chaînes d'info. Puis on enlève les chaînes d'info et il reste un grand silence implacable. Puis il a été question de réanimer la machine, un peu comme les boîtes à musique dont on remonte la mécanique petit à petit. D'abord, il y a énormément de choses très humaines, l'amitié, l'amour, qui regagnent du terrain et reprennent une place plus qu'essentielle. La musique est venue plutôt à la fin.
- Je crois qu'au départ, vous n'arriviez quasiment plus à écouter de musique...
- J'en écoutais très peu. Il y a deux ou trois choses qui m'ont regonflé peu à peu. Il y a eu le morceau "Quiet Dog" du rappeur Mos Def, qui était d'une fierté de roi, d'une beauté folle, dans la version qu'il interprète chez David Letterman. Il y a eu ensuite le sublime projet "Noirlac" du grand vibraphoniste de jazz David Neerman - qui joue avec moi lundi soir - et dans lequel chantent Krystle Warren et un chœur contemporain. À l'époque, il était essentiel pour moi que la musique porte une empreinte sacrée, pas celle qu'on écoute en passant l'aspirateur ou juste pour danser. Il fallait qu'elle parle à quelque chose qui soit plus haut qu'ici-bas.

Un autre morceau m'a bouleversé, renversé, c'est un enregistrement pirate réalisé pendant les funérailles de John Coltrane. Albert Ayler et le quartet d'Ornette Coleman [ndlr : deux grands saxophonistes] jouent des vieux spirituals, façon Albert Ayler, une sorte de free jazz complètement fou. C'est réellement un cri comme une poussée vers le ciel, on sent qu'ils emmènent leur ami là-haut. Le mot "ascension" prend alors toute sa dimension. Ces trois morceaux ont créé une bascule, un déclic... Il fallait s'y remettre.

- C'est à ce moment que vous avez pu recommencer à écrire de la musique ?
- C'est venu un peu plus tard. J'ai vu aussi une série de films de Werner Herzog qui s'intitule "Les Ascensions", trois portraits d'hommes qui, dans des situations très différentes, vont trouver en eux une forme de résistance et de grâce. Après avoir vu cette série, il s'est passé quelque chose, je me suis remis à écrire [ndlr : "Tango", reprise d'un morceau chanté dans l'un des documentaires, et "Alpiniste" sont inspirés par la trilogie de Herzog]. Plus que le retour de l'inspiration, ça concernait la respiration. C'est la première fois que je re-respirais, que l'air de la vie repassait normalement. Ensuite, j'ai écrit ce disque très rapidement.
- Et finalement, ce qu'on entend sur le disque, c'est les démos, les toutes premières versions des chansons, et non pas celles réalisées pour l'album !
- Quand j'ai enregistré ces morceaux, je n'avais aucun autre but que celui d'entendre les chansons que j'avais écrites. C'était la première fois de ma vie que je les chantais. Or, j'ai préféré largement ces versions à celles hyper travaillées, hyper produites. J'ai fait des essais pendant deux semaines en me persuadant que je n'avais pas le droit de sortir un disque qui avait été enregistré en deux heures. Mais rien ne m'a semblé approcher ce moment qui était vrai, tout simplement. En plus, c'est assez joli, quand on écrit des morceaux, d'avoir enregistré le moment de leur naissance, et on ne peut pas naître deux fois.

Avec ce disque, j'ai vraiment appris que tout ce qui était de l'ordre du coup monté en musique, à passer des mois en studio, à essayer de régler la moindre mini-croche qui dépasse, je n'en voulais plus. Dans ces démos, il y avait quelque chose d'un instant de musique volé, que je m'étais volé à moi-même, un moment de lâcher prise. C'était comme un enregistrement pirate. Et si le jazz a constitué une inspiration forte pour ce disque, ce n'est pas un disque de jazz, mais dans le geste, il s'en rapproche peut-être dans la mesure où il y a un abandon à l'instant.

Babx en concert à Paris
Lundi 27 novembre 2017 à La Cigale, 20h30
120 bd de Rochechouart, 18e
Tél : 01 49 25 89 99 (pas de résa par téléphone)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.