Céline Dion, Aretha Franklin, David Bowie : comment renouveler le biopic musical ?
Star, drogue, carrière chaotique, sont les ingrédients que l’on retrouve dans la majorité des biopics musicaux. Une recette usée jusqu’à la corde qui n’a pas empêché le triomphe de "Bohemian Rhapsody". Si le biopic sur Freddy Mercury a relancé le genre, saura-t-il se renouveler dans la kyrielle de films qui nous attend ?
Céline Dion, David Bowie, Aretha Franklin… sont les principaux biopics qui nous attendent, dans la foulée de ceux de Freddy Mercury (Bohemian Rhapsody), ou Elton John (Rocketman). Leurs nombreux antécédents (Charlie Parker, Jim Morrison, Ray Charles, Ian Curtis…) ont gravé dans le marbre des constances issues des vies de leurs modèles : drogue, vedettariat, mégalomanie, carrière chaotique… Comment sortir de ce refrain devenu un peu entêtant ?
De plus, le regard d’artistes toujours vivants désireux de lisser leur image, ou celui de leurs ayants droit, exigeants, voire réfractaires, s'ajoutent à des difficultés de mise en oeuvre.
"Aline" VS Céline Dion
Pour sortir des sentiers battus, une des solutions est peut-être de prendre comme sujet des artistes aux frasques moins sulfureuses que celles de nombre de stars. C’est le parti pris par Valérie Lemercier dans Aline, biopic détourné de la star mondiale et consensuelle Céline Dion. Le film est la preuve vivante, dans l’attente de sa sortie (confinement oblige), de la richesse d’un destin hors norme, et absout des dérives habituelles du star système. Du moins Céline Dion sort-elle du sempiternel triumvirat drogue, sexe and rock’n roll.
Aline est un film magnifique que Valérie Lemercier porte à bras le corps, dans une mise en scène ambitieuse, au récit romanesque en diable, et à la dimension internationale. Les origines modestes, la reconnaissance du talent, la révélation, la solidarité familiale, l’enthousiasme, la présence scénique, l’amour atypique et sans borne pour son manager… sont autant d’ingrédients qui n’ont rien à envier au côté sombre du show-business. Sûr que le film est condamné à faire un carton.
Aretha Franklin : "Respect"
Autre film dans les tuyaux et programmé le 18 août 2021 (si tout va bien), Respect, sur la reine de la soul Aretha Franklin, de Liesl Tommy, jusqu’ici réalisateur de séries.
Ici prennent le dessus l’ascension exceptionnelle de la star, depuis ses origines dans un milieu religieux - son père était révérend -, la révélation de sa voix comme chanteuse de gospel, puis comme pionnière de la soul et du funk, et son engagement pour les droits civiques aux Étals-Unis dans les années 1960-70. Le titre du film reprend celui de son tube phare Respect, emblématique de son engagement pour la cause afro-américaine.
C’est l’actrice et chanteuse Jennifer Hudson (Winny, sur l’épouse de Mandela) qui endosse le rôle. Bon choix, puisque son "coffre" lui permet d’interpréter son modèle, au contraire de Valérie Lemercier pour Céline Dion, doublée par Victoria Sio. Le film s’identifierait (personne ne l’a encore vu) à une wonder story, mettant l’accent sur l’engagement de la star pour la cause des Noirs aux Etats-Unis. Il s’agit de l’adaptation de l'autobiographie éponyme d’Aretha Franklin. Son coauteur, David Ritz, lui a repproché d’avoir voulu faire l’impasse sur ses douleurs intimes (milieu familial oppressant, premières grossesses difficiles, boulimie, rivalité, alcool…). Mais ce ne sont toutefois pas les excès d’un Keith Richard, dont on nous promet aussi depuis longtemps le biopic…
David Bowie, poussière d’étoile
A côté d’une Céline Dion ou d’une Aretha Franklin, David Bowie fait office de "bon petit diable", aux "déviances" choquantes au tournant des années 1960-70. Il ne pouvait pas échapper à son biopic, tant l’homme et l’artiste fascinent. Déjà au centre de l’excellente fiction consacrée au glam rock Velvet Goldmine (1998) de Todd Haynes, réprouvé par Bowie, l’icône se voit consacrée dans Stardust de Gabriel Range, qui s’est fait connaître pour son faux documentaire sur l'assassinat de George W. Bush, Death of a president (2006).
Le cinéaste s’arrête sur l’année 1971, quand David Bowie débarque aux Etats-Unis pour la promotion de son album The Man who Sold the World, au cours de laquelle il va rencontrer Lou Reed et Iggy Pop qui auront un impact décisif sur sa carrière (rencontre déjà largement évoquée dans Velvet Goldmine). C’est à cette époque que Bowie promeut son image androgyne, scandaleuse en 1970, mais entretenue par les groupes Glam : T. Rex, Mott the Hoople, Roxy Music, The New York Dolls…
Stardust choisit donc une période et un angle bien précis dans la carrière de Bowie. Le sujet recoupe une thématique majeure du cinéma et du théâtre actuels : l’homosexualité, le transformisme ou la réassignation sexuelle. Si les drogues et les affres du vedettariat ne seront sans doute pas absentes du film, c’est plus sur le scandale sociétal que représente Bowie dans les années 1970 qu’il se focalise. L’heure n’est donc pas à la révélation d'une face cachée de la star, mais à celle d'un sujet contemporain, notamment sociétal, à la lumière du passé. Ce qui n’a pas empêché les ayants-droit de David Bowie, sa famille, dont son fils Duncan Jones (lui-même réalisateur), de s’opposer au film, et en refusant que sa musique ait droit de cité.
Madonna et Boy George, stars des années 80
La liste d’attente des biopics musicaux est longue. Comme le signale Aline, sur Céline Dion, les artistes toujours vivants ne sont pas en reste. Déjà, Rocketman, sur Elton John, était conditionné par le droit de regard de l’artiste sur son image à l’écran. Les musiciens de Queen sont également intervenus pour donner leur feu vert à Bohemian Rhapsody, la critique relevant l'image édulcorée de Freddy Mercury donnée par le film.
Mais qu’en sera-t-il du biopic sur Madonna, toujours dans les cartons ? Son rôle a été un temps attribué à Lady Gaga (oscarisée pour A Star is Born), les deux stars étant passées par des joutes verbales pas toujours cordiales. Très protectrice de son image, la Ciccone risque de surveiller de près son traitement à l'écran, à moins qu’elle ne réalise elle-même son propre biopic ? Ce qui semble, aux dernières nouvelles, bien parti. Comme contrôle de son image, qui fait mieux ?
Boy George, également toujours de ce monde, est aussi dans les tuyaux. Aux commandes du film, Sacha Gavasi, déjà réalisateur d'un long-métrage sur Alfred Hitchcock et d’un documentaire sur le groupe de heavy-metal canadien Anvil. Boy George a dit avoir lui-même participé au script durant son confinement en Angleterre, c’est dire si son droit de regard est d’actualité… Il a déclaré à ce propos : "Je ne sais pas qui va jouer mon rôle. Il y a deux jours, Sacha Gervasi m'a lu le script. C'était étrange par moment [mais] c'était fun. J'étais ému et je m'en suis beaucoup soucié. Tout ce que j'espère, c'est que le film permette aux spectateurs de ressentir et de comprendre certaines choses que j'ai traversées. Et aussi la musique... C'est énorme et si important".
Prince, Amy Winehouse, Kurt Cobain…
Boosté par le succès de Bohemian Rhapsody, le studio Universal lorgne depuis deux ans sur Prince. Pas facile, tant "The Artist" plane, même après son décès, sur la protection de son œuvre et... de son image. C’est pourquoi des pistes ont été lancées sur un film qui mettrait en scène une intrigue autour de ses chansons, plus qu’un pur et simple biopic. La major a d’ores et déjà acquis les droits de plusieurs morceaux. Mais le film n’existe-t-il pas déjà : Purple Rain, inspiré de la carrière montante de et avec Prince ? Pourquoi alors ne pas adapter en images son très beau concept album Sign O’ the Times ? A bon entendeur...
Déjà sujet d’un magnifique documentaire unanimement applaudi, Amy (Asif Kapadia, 2015), Amy Winehouse fait également l’objet d’un projet, avalisé par son père, Mitchell Winehouse, qui l’a lui-même annoncé. Quand on voit le conflit entre la chanteuse et son paternel opportuniste dans le documentaire, on peut s’attendre au pire. Sa déclaration est en effet dénuée d’ambiguïté concernant son droit de regard, dans l’objectif de rétablir la vérité sur la version "trompeuse" que donne le film d’Asif Kapadia, selon lui…
Kurt Cobain ne s'est sans doute pas retourné dans sa tombe après Last Days (2005), tant le film de Gus Van Sant est sobre et envoûtant, inspiré par les derniers jours vécus par l’artiste avant son suicide. La perspective d’un biopic pur et dur sur son compte, doit par contre lui gratter les côtes. Si quatre documentaires existent bien sur Nirvana et Kurt Cobain, les ex du groupe phare du grunge sont discrets sur un hypothétique biopic, alors que les droits d’auteurs seraient plus que problématiques. Rien n’est donc officiel jusqu’à présent, et les infos contradictoires le disputent aux interprètes potentiels pour le rôle, comme Philippe Catherine (!) ou Aaron Paul (Breaking Bad).
Les Français, de Balavoine au Mime Marceau
Les biopics musicaux ont inspiré les cinéastes français avec de belles réussites comme La Môme, sur Edith Piaf (Olivier Dahan, 2007), Cloclo, sur Claude François (Florent Siri, 2012), Dalida (Lisa Azuelos, 2016) ou Django (Etienne Comar, 2016) sur Django Reinhardt… Plusieurs projets sont aujourd’hui à l’ordre du jour.
Guillaume Canet s’intéresse de très près à Daniel Balavoine. La popularité iconoclaste du chanteur, à l’engagement politique bien connu (son échange télévisé avec Mitterrand), sa fin tragique et le vide qu’il a laissé dans la chanson française, offrent un sujet des plus romanesques. Et pourquoi pas voir le chanteur-compositeur et parolier incarné par Canet lui-même ? Il serait ainsi dans la lignée de son épouse Marion Cotillard, oscarisée pour son interprétation d’Edith Piaf dans La Môme.
Dans un autre registre, les boys band des années 1990 offriraient un sujet plein de nostalgie pour les fans de l’époque. Passée maître dans le revival des années 1980-90, la troupe de comiques La Bande à Fifi (Alibi.com, 2017) s’intéresse de près à une évocation de la carrière des 2Be3. Success story à la française, de 1997 à 2001, l’histoire du trio est touchante par la réussite de trois potes de Longjumeau jusqu’aux États-Unis et au Japon, en passant par Cannes. Le sujet offre sa dose de kitsch, mais aussi une fin tragique avec la disparition du leader, Filip Nikolic à 35 ans. Le trio serait interprété par Philipe Lachaud (Frank), Julien Arruti (Filip), Tarek Boudali, (Adel) et Elodie Fontan (Valérie Bourdin, l’épouse de Filip).
Mais le sujet le plus inattendu ne relève pas de la chanson, ou de la musique, s’agissant du plus silencieux des artistes et maître jamais égalé dans son art : le Mime Marceau. Projeté lors du dernier festival de Deauville, Résistance est diffusé sur Canal+ le 25 novembre. Jesse Eisenberg, l’interprète de Mark Zuckerberg dans The Social Network (2010) de David Fincher, endosse le rôle de Marcel Magel, dit Marceau (son nom de résistant), au côté d’un beau casting : Ed Harris, Clémence Poésy et Félix Moati.
C’est le réalisateur vénézuélien Jonathan Jakubowickz qui signe cette coproduction franco-américano-germano-britannique consacrée à la période de la Résistance à laquelle participa l’artiste dès 1942. Résistance retrace son implication auprès d’orphelins, dont les parents ont été tués par les nazis, fuient en zone libre, puis en Suisse. Au coeur des ruses dont il use pour les aider : le mime.
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