"C'est une vraie folie" : le chef Raphaël Pichon lance le festival de musique classique Pulsations pour réveiller Bordeaux
Rien ne semble impossible au jeune chef de l'ensemble Pygmalion qui a monté en un mois à peine Pulsations, un festival de musique classique qui se tient du 23 au 31 juillet à Bordeaux. Une façon d'affirmer encore plus sa vision personnelle de la musique classique et de son rôle dans la cité.
Il répond au téléphone entre deux répétitions avec l'ensemble Pygmalion qu'il dirige. Raphaël Pichon et ses musiciens ont travaillé dur en préparation de Pulsations, festival de musique classique qui se tient du 23 au 31 juillet à Bordeaux. C'est ce jeune chef d'orchestre, 35 ans, qui l'a mis sur pied en à peine quelques semaines, après avoir "fait le point" sur les conséquences pour le spectacle vivant de la crise sanitaire. Résultat : 25 concerts donnés dans différents lieux de la ville avec un programme tourné vers la musique baroque. Un "petit miracle", comme le qualifie Raphaël Pichon, qui doit permettre selon lui à la vie culturelle bordelaise de redémarrer, et à la musique classique de "sortir de ses temples" pour toucher de nouveaux publics. Entretien avec un passionné.
franceinfo Culture : Comment avez-vous eu l’idée de créer ce festival, dans une période où beaucoup sont annulés ?
Raphaël Pichon : La décision a été complètement dictée par le coronavirus et ses conséquences. Pour l’ensemble Pygmalion, comme pour beaucoup de monde, tout s’est arrêté le 15 mars. S’en est suivie une grande incertitude concernant les artistes, leur survie pour certains : l'urgence des mesures sociales qui ont pris du temps à venir, la pérennité des structures en général, des ensembles, dont le nôtre… Tout cela a créé une sensation de vide total, de perte de repères et d’espoir, alors que dans le même temps le déconfinement a amené un souffle quand même positif pour beaucoup de secteurs qui ont eu la possibilité de reprendre. Pour nous, et pour tout le spectacle vivant, la sensation était du coup un peu contradictoire parce que nous savions que nous serions les derniers. A cela s'ajoute la crainte d’une seconde vague et le risque de devoir refermer boutique à l’automne. Ce serait là le vrai coup de massue, le coup fatal. Alors à la mi-juin, quand j'ai eu l'idée du festival, une chose m’a paru évidente : il fallait redémarrer.
Vous croyez en une nécessité de "revenir autrement" ?
Il faut retrouver un lien de confiance avec le public, lui démontrer notre capacité à inventer des formes compatibles avec les contraintes et les consignes sanitaires. Il faut aussi tenter pour tenter une nouvelle discussion avec les autorités, pour faire naître des conditions de concert plus réalistes et plus adaptées à nos situations artistiques. En juin, nous avons eu des injonctions à rouvrir les théâtres et les salles de représentation mais, pour l’instant, c’est intenable musicalement, et financièrement. Mais moi, je voulais absolument qu’on prenne, pour ainsi dire, notre destin en main.
Je voulais transformer les contraintes sanitaires en atout. Au lieu de se dire que la distanciation crée de la distance, il faut qu’elle puisse créer de l’intimité et des expériences sonores.
Raphaël PichonChef de l'ensemble Pygmalion
C’est la première fois que vous organisez un festival, le défi était de taille…
Quand on dirige une structure comme Pygmalion, on a forcément un peu une démarche d’entrepreneur, et c’est pareil pour toute mon équipe. Nous sommes loin de l’image d’Épinal des artistes bordéliques. Donc il y avait une certaine évidence à inventer Pulsations, qui s’est transformée en un challenge complètement dingue dans les conditions actuelles et dans le temps qui nous était donné.
Comment avez-vous pensé votre programmation ?
Je souhaitais une identité à plusieurs visages. La programmation s’est faite entre pragmatisme et créativité. Le côté pragmatique, c’est qu’il était recommandé de faire des concerts qui ne durent pas plus d’une heure trente et qui ne comportent pas d’entracte, pour éviter en particulier les mouvements de foule. De plus, à la fois au regard du budget mais aussi à cause des contraintes liées au Covid-19, nous ne pouvions pas avoir de grands plateaux, avec un orchestre très fourni ou un grand chœur. Tous ces paramètres m’ont orienté assez naturellement vers de petits opéras baroques. Nous les présentons ensuite sous une forme resserrée : 15 instrumentistes, 10 solistes, et pour la deuxième partie du festival une trentaine de chanteurs du chœur, en adéquation avec l’effectif moyen que demande le répertoire.
Vous avez aussi joué votre rôle de créateur ?
Oui pour qu’il y ait des expériences un peu inédites. Nous allons investir un lieu assez inouï, la base sous-marine de Bordeaux, huit bassins qui se suivent et chaque bassin forme une sorte de cathédrale de béton gigantesque. Nous allons jouer dans l’un de ses bassins. Les chanteurs vont être très éloignés les uns des autres, ce qui va permettre au public de les entourer, pour le coup à une distance plus que réglementaire, et de vivre une expérience immersive.
Si on conserve de la musique classique une image élitiste, passéiste, et qui ne peux pas être pour tout le monde, on va droit dans le mur.
Raphaël PichonChef de l'ensemble Pygmalion
Des concerts seront donnés aussi dans divers lieux de la ville, dans un parc, un hôtel, une église, une salle des fêtes… Espérez-vous ainsi toucher de nouveaux publics ?
Bien sûr que nous l’espérons, et puis la situation est tellement particulière… C’est une occasion assez rêvée finalement d’aller se présenter devant de nouveaux publics. J’y crois, et je crois aussi beaucoup à une idée de "va et vient". Sortir de nos temples habituels, aller jouer ailleurs, dans des lieux inattendus mais malgré tout inspirants, parfois aussi dans des lieux qui tranchent, comme une base sous-marine ou la salle des fêtes d’un quartier éloigné du centre-ville. Ce sont des façons de s’adresser à des gens qui, peut-être, vont se dire : "et si maintenant j’allais à l’Opéra de Bordeaux ? Rêvons même à créer de petits chocs, voire de grands chocs. Le plus grand rêve serait que nous puissions sortir de nos temples pour régulièrement aller jouer ailleurs, en espérant que les publics bougent, voyagent, passent d’une zone à l’autre, c’est presque un enjeu social.
Votre décision de créer Pulsations a été dictée par la période de confinement inédite. Et vous, comment l’avez-vous vécu ?
Je pourrais la résumer comme cela : du bon dans le dur. Le dur, c’est qu’on ne peut plus jouer, qu’on est très inquiet pour ses musiciens quand on est directeur d’ensemble, d'autant qu’on ne sait pas combien de temps tout cela va durer. Il y a eu des semaines vraiment compliquées de craintes, d’incertitudes. Le dur c’est aussi la structure, on se demande est-ce que ces quinze ans de développement de l’ensemble vont être réduits à néant par cette crise ? Quand est-ce qu’on va reprendre ? Mais il y a aussi du bon. Personnellement, j’ai pu passer des moments assez inoubliables en famille, j’ai deux enfants… Et puis, aussi, s’arrêter ce n’est pas forcément mauvais, on peut respirer, faire le point, des choses nous apparaissent grâce à ce grand trou d’air. On se rend compte de tout ce qu’il y a de bon dans ce que l’on a accompli jusque-là mais on pense également à tout ce reste à faire.
Avez-vous des projets pour la rentrée avec l’ensemble Pygmalion ?
Tous les concerts sont annulés jusqu’à Noël, mais nous avons grand espoir malgré tout de monter le projet qui était prévu : la nouvelle production de l'opéra de Jean-Philippe Rameau, Hippolyte et Aricie, qu’on doit créer normalement à l’Opéra-Comique à Paris en octobre et novembre. On a grand espoir qu’elle ait lieu.
Le Festival Pulsations pourrait-il éventuellement se pérenniser ?
Réponse dans dix jours, on verra… je n’exclus rien mais de toute façon cela ne sert à rien de se projeter sans la moindre certitude. La seule certitude, c’est que nous allons faire des choses et nous démener, être déterminés et engagés. Voilà la seule certitude que nous pouvons avoir.
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