Richard Wentworth dévoile avec ses photos l'intimité de la Maison Alaïa
Adulé dans le monde entier depuis les années 1980, Azzedine Alaïa est loin du rythme de la mode où les collections se succèdent toujours plus vite. "C'est la course, c'est un acharnement"… "Il faut se calmer ! Pour la création, ce rythme n'est pas bon" indiquait le couturier en septembre 2013. C'est dans son atelier parisien - dans une grande pièce blanche surmontée d'une verrière - qu'il présente (hors calendrier des défilés) sa dernière collection à un public de privilégiés. Voir son travail est donc rare et cette exposition de photos signée Richard Wentworth montre un aperçu de la vie d'une maison de couture très secrète.
Richard Wentworth est une figure éminente de l’art contemporain : professeur à Goldsmiths, à la Ruskin School of Art de l’Université d’Oxford, au Royal College of Art. Croisant photographie et sculpture, son oeuvre met en évidence les rencontres impromptues et les significations cachées entre les choses. Elle exerce une influence sur des générations d’artistes et a été présentée dans de nombreuses biennales et a fait l’objet d’expositions. Aux débuts des années 1970, il a entamé "Making Do and Getting By", une oeuvre majeure en cours, qui rassemble plus de deux cent mille images d’événements sculpturaux dans le monde.
Lors de ses visites, Richard Wentworth a obtenu un accès inédit du studio de création, aux ateliers, aux archives et aux différents espaces qui constituent la vie de la grande maison de couture. On y voit le couturier au travail, la présentation des collections, la préparation de défilés, le travail des ateliers mais aussi l’architecture des bâtiments de l’époque industrielle, et les signes de la vie quotidienne de la communauté réunie autour du créateur... chaque image offre un portrait du monde d’Azzedine Alaïa.
Comme le signale l’artiste lui-même : "Il est probable qu’Azzedine et moi nous entendons parce qu’il sait que je perçois sa sensibilité pour les assemblages et l’acte même d’assembler. Sa sensibilité dans l’habillage d’une forme est directement liée à mes propres sentiments pour toutes les jointures cachées et les intervalles qui permettent au monde d’apparaître sans suture. C’est ironique, mais j’ai un grand appétit pour les défauts, les cassures, les failles, et Azzedine est capable de déployer en couture un instrument incroyable pour créer un tout. Un tout qui bouge dans l’espace. "
Un atelier peuplé de fantômes
Le photographe a dévoilé pour Culturebox, sa photo préférée et les raisons qui expliquent son choix : "Il est facile d'oublier la relation entre le mannequin produit en série avec l'histoire de la sculpture ... Chez Alaïa, les mannequins sont souvent des personnages - ils ont vraiment la forme qu'aurait un être humain. Parfois, la silhouette de ce mannequin peut reproduire celle d'une célébrité ou de quelqu'un d'autre. Cela signifie que l'atelier est merveilleusement peuplé de fantômes. "
Richard Wentworth : "Azzedine Alaïa nous rend sensible aux poids et aux mesures des différents tissus
A l’occasion de cette exposition, l’Association Azzedine Alaïa publie un ouvrage du même titre, préfacé par Pierre Guyotat et présentant une sélection des photographies. Ce livre inclut, entre autres, un entretien avec Richard Wentworth dont voici un extrait :Donatien Grau : "On pourrait dire que le fondement de votre oeuvre est la sculpture. Le travail d’Azzedine Alaïa a souvent été considéré comme sculptural. Il serait intéressant d’entendre votre point de vue sur son oeuvre en relation à l’architecture et à la sculpture".
Richard Wentworth : "Dans l’oeuvre d’Azzedine, on a le sentiment que tout est sculptural : il nous rend sensible aux poids et aux mesures des différents tissus. Ce qui lie fortement son oeuvre à la sculpture, c’est son sens remarquable de la figure individuelle. Je pense aussi qu’il a un sens exceptionnel du collectif. Quand on assiste à une présentation, on assiste à une chose très, très ancienne : une procession. On voit des gens qui se suivent les uns les autres. Le cérémonial. Les humains sont des êtres de procession. Quand j’ai vu les mannequins arriver, je me suis dit d’un coup : "Mon Dieu, nous sommes en Grèce antique". Elles sont comme une sorte de choeur, même si elles sont indépendantes les unes des autres. (…) La raison pour laquelle ce que fait Azzedine est si remarquable, c’est qu’il rend tout le monde gracieux".
Azzedine Alaïa : "Richard Wentworth était comme un tigre, prêt à sauter sur l’image"
"Dans les photos qu’il a prises, il n’a jamais gêné personne : il était comme un tigre, prêt à sauter sur l’image. Mais avec beaucoup de tendresse. Il était avec nous dans la préparation des collections : nous avons pu travailler en toute tranquillité, et il était là. On ne le sentait pas. En voyant ensemble les photographies qu’il a rassemblées, de choses que nous faisons sans même y penser, et que nous vivons sans nous rendre compte, j’ai été fasciné par sa précision. En voyant les images tirées et devenir des photos, en les voyant ensuite dans ce livre, je me suis rendu compte que sa générosité était aussi absolument exacte : il n’y a pas une image commune. Il sait bien voir. Il n’a pas un oeil de voyeur mais un oeil de découvreur. Richard m’a appris à regarder les choses différemment : dans la maison et à l’extérieur, quand je vois certains détails, je pense à lui, et je me dis qu’il saurait les voir. Je lui suis redevable de nous avoir donné cette leçon, et je suis impatient de sa prochaine visite" a expliqué Azzedine Alaïa.Azzedine Alaïa, une oeuvre indémodable
Lui a commencé à Tunis en faisant les travaux de couture de sa soeur, puis en travaillant chez une couturière afin de payer ses études. A Paris, il fait du sur-mesure pour des clientes prestigieuses et stylées, comme Louise de Vilmorin, Arletty, qui l'a beaucoup inspiré, et Greta Garbo. Azzedine Alaïa y a présenté sa première collection en 1981.Cet apprentissage, "c'est sa force", avait expliqué Olivier Saillard (lors de l'exposition Alaïa au Palais Galliera) : "il maîtrise toutes les étapes de création d'un vêtement". Le couturier est diplômé de sculpture. Et cela se sentait dans les silhouettes exposées. "Il privilégie les hanches, les fesses, la taille, le décolleté", avait encore souligné Olivier Saillard. "Il maîtrise le corps humain".
Alaïa sublime le corps féminin. Il rend sexy les trop rondes comme les trop minces !
Si il est l'un des couturiers les plus adulés, Azzedine Alaïa reste en dehors de la frénétique planète mode. Ce sculpteur du corps féminin ne court pas après la nouveauté, il préfère "les vêtements qui durent". "Je fais tous les patrons, je couds parfois", expliquait-il en septembre 2013. Plus que dessiner, il aime créer les robes à même le corps des femmes. Les silhouettes Alaïa semblent d'ailleurs hors temps.
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