: Interview Le couturier Stéphane Rolland offre aux étudiants de deux écoles de mode l'opportunité de défiler en première partie de sa haute couture printemps-été 2024
Le mardi 23 janvier, c'est à la salle Pleyel à Paris que Stéphane Rolland a présenté sa collection printemps-été 2024. Le couturier – qui défile depuis 2008 dans le cercle très fermé de la haute couture a proposé une collection dans laquelle l'Orient et l'Occident se métissent pour converger dans un équilibre glamour. Juste avant de découvrir ses caftans ornés de roses des sables et ses longues tuniques de gazar blanc défilant devant un écran de désert et de dunes, le public a découvert le show des étudiants de deux écoles de mode, l'Institut français de la mode (IFM) et Esmod Paris.
Quelques jours avant, dans son atelier parisien, Stéphane Rolland nous a expliqué la genèse de ce projet. Ce jour-là, à ses côtés Pierre Martinez – codirigeant de la maison de couture à l'origine de ce partenariat – et Mouthana Alhaj Ali, étudiant en alternance en troisième année de Bachelor modéliste concepteur à l'IFM. Explications.
Franceinfo culture : votre haute couture printemps-été 2024 est précédée d'un défilé d'élèves d'écoles de mode. Pourquoi ce partenariat ?
Pierre Martinez : lors de la dernière AG de la Fédération de la haute couture et de la mode, j'ai évoqué le fait que l'on parle beaucoup de haute couture mais a-t-on encore le savoir-faire ? Si cela semblait une problématique d'une maison comme la nôtre qui n'appartient pas à un grand groupe, nous nous sommes rendu compte que ces derniers y étaient aussi confrontés. Il y a un souci de transmission alors que l'on reçoit des CV de personnes qui veulent faire ce métier mais qui n'ont pas ces fondamentaux ! La Fédération est en train de monter un comité et un groupe de réflexion avec le gouvernement pour trouver un schéma éducatif pour amener les jeunes à ce métier.
Dans ces deux écoles, on a rencontré des étudiants qui avaient un talent fou et on a alors réalisé que c'était aussi notre faute, à nous, maisons de couture, s'ils n'étaient pas aidés. On s'est souvenu des vedettes américaines à l'Olympia, quand les Beatles étaient sur scène, les maisons de disques mettaient Sylvie Vartan en première partie pour la lancer. On s'est dit que l'on avait un magnifique auditoire au moment de la semaine de la haute couture à qui on allait voler 10 minutes de leur temps - lors de notre défilé - pour leur montrer ces jeunes talents.
On a vu des responsables d'enseignement passionnés, des professeurs géniaux et, en même temps, on a senti une espèce de tristesse, de souffrance de ces écoles françaises par rapport à l'engouement pour les écoles étrangères. Pourtant nos professeurs sortent des maisons de couture et ont ce savoir-faire unique au monde. On a choisi l'IFM et Esmod Paris – qui ont un cursus dédié à la haute couture –, une vraie exception française. Il y a une résilience, une patience de ces mains qualifiées qui passent des jours sur leur ouvrage avec une passion incroyable pour arriver à l'excellence.
Pour pérenniser les savoir-faire et la transmission aux nouvelles générations, vous les avez accompagnés pendant un trimestre.
Stéphane Rolland : avec Pierre, nous avons fait plusieurs Master Class dans ces deux écoles aux ADN différents. Cela a été très enrichissant, une cure de rajeunissement. Au début, il y avait de la timidité, peut-être de la crainte et de l'appréhension, puis passé cette phase d'approche lente mais constructive, il y a eu du répondant.
Nous sommes de l'autre côté du miroir, eux sont en devenir. Notre rôle était de leur expliquer ce que sont la haute couture et ses spécificités. Nous avons l'expérience pour leur transmettre les informations pour les aider pour leur avenir. Ces étudiants, en dernière année, sont prêts à commencer dans la vie active et pour certains, il y a encore tellement d'interrogations. C'est une génération assez inquiète et qu'il faut rassurer et mettre sur la bonne voie.
Pierre Martinez : au début, le projet se nommait "transmission", puis finalement "partage". On ne refera pas l'opération sous la même forme mais on va continuer avec les jeunes.
Stéphane Rolland : la sélection des élèves a été faite par les professeurs, soit dix par école, chacun créant son modèle. Ils avaient le même thème et des codes couleurs pour une harmonie entre eux et une lecture limpide et agréable à regarder. Chacun a montré ses croquis techniques, son moodboard et sa sélection de matières avant de démarrer sa toile et de faire son modèle. On leur a donné des conseils mais il fallait faire attention à ne pas être trop interventionniste tout en les aidant car ils défilent devant un public professionnel et averti. Le but, c'est que cela les serve, les mette en avant.
Cette belle expérience éducative est aussi une manière pour eux de se faire repérer par une cliente. Par exemple, la robe qu'a créée Mouthana, si demain une cliente la veut, c'est lui qui va la faire mais on l'aidera à l'atelier. On est là pour les accompagner dans le futur : on ne va pas les lâcher dans la nature si ce sont des vrais talents qui ont un avenir.
Pierre Martinez : les formations de ses deux écoles sont aussi bien dirigées sur le savoir-faire de la main que la création pure. On n'a pas voulu mettre en avant des stylistes mais des couturiers car aujourd'hui, dans certaines maisons, les collections sont faites avec des ordinateurs. On voulait préserver cet univers onirique, de poésie, de culture, de recherche, d'envie, de passion...
Stéphane Rolland : la thématique est d'actualité, pourtant c'est un thème décidé il y a près de six mois. On vit un renouvellement de cycle et on a l'impression de commencer un nouveau chapitre et paradoxalement, il y a énormément d'évolution. Cette collection, c'est un petit peu la genèse une image de pureté. On pourrait presque appeler ce défilé "les origines du monde" avec son discours pacifique, pacifiste et positif, avec de la sensualité et de la chaleur.
Pierre Martinez : le thème reprenait les bases primitives du vêtement car ce dernier est souvent issu de tradition ethnique et primitive, voire tribale : un col Mao vient de la Chine ancienne, une manche kimono du Japon... On trouvait plus intéressant de leur dire de retrouver cette pureté et les origines.
Vous avez pris en alternance à l'atelier un étudiant de l'IFM. Est-il facile de transmettre ce savoir-faire aux nouvelles générations ?
Stéphane Rolland : c'est facile quand vous avez quelqu'un de réceptif en face de vous et qui a du talent et suffisamment d'intelligence pour écouter : quand on met sa fierté dans sa poche, c'est là que l'on apprend le mieux. Il ne faut pas faire ce métier pour être un élu. Le talent ne fait pas tout, il faut comprendre le business aussi.
Mouthana est en alternance : il est à la fois à l'école et dans ma maison de couture. Dans l'atelier, il aide à monter les robes pour les clientes mais aussi pour la collection printemps-été 2024 et, parallèlement, il a un travail supplémentaire, celui de faire sa propre robe pour le show.
Comment la haute couture est perçue par la nouvelle génération ?
Stéphane Rolland : aujourd'hui, la haute couture n'a jamais été aussi vivante et aussi vivace parce que le climat économique le permet. Il n'y a jamais eu autant de gens fortunés sur cette planète qui permettent de faire vivre cette industrie. Les jeunes, qui pouvaient considérer à une époque la haute couture comme quelque chose de ringard et de fini, aujourd'hui la considère comme une manière de créer dans l'indépendance, librement. C'est de l'artisanat qui s'adresse à une clientèle d'exception. Elle est devenue quelque chose de branché, de in, alors qu'elle ne l'était pas à une époque.
Pierre Martinez : ici, le vêtement a été créé pour votre personnalité. Il va être unique. Il va avoir de l'esprit, peut-être une dimension artistique. C'est un univers d'expression génial pour le créateur qui va faire de sa création un moment unique le temps du défilé. Et cette émotion, elle va se transmettre aux moments particuliers où ces vêtements seront portés (red carpet, mariage, soirée). On a expliqué aux jeunes que s'ils choisissent la haute couture, ils auront un supplément d'âme à prouver.
Il y a un an, pour les 15 ans de votre maison de couture, votre défilé offrait une ode au Brésil, la saison suivante, c'était un hommage à la diva Maria Callas, que proposez-vous pour le printemps-été 2024 ?
Stéphane Rolland : le nouveau monde, la genèse, le redémarrage d'une ère nouvelle mais toujours un hommage à la femme. Ibrahim Maalouf – quelqu’un de très ouvert qui aime les expériences et que j'ai découvert il y a 15 ans – a créé un morceau pour le final du défilé. C'est un musicien qui compte, qui a un talent fou et surtout une sensibilité à fleur de peau. Il transmet à travers sa trompette des sons incroyables, une chaleur et une émotion.
Que représente la haute couture pour vous ?
Mouthana Alhaj Ali : à l'école, les deux premières années, le programme est axé sur le prêt-à-porter. Mais je veux tout apprendre de la mode et surtout de la haute couture, qui me touche plus. Alors j'ai choisi l'alternance, c'est une bonne expérience, c'est une chance d'être ici. Maintenant, j'ai compris pourquoi la haute couture demande trois à quatre mois pour réaliser une robe, comment on choisit les matières et aussi son prix. Le temps, le patronage, le travail sur la toile, et il faut aussi donner son cœur, être sensible quand on travaille sur le mannequin ou sur la cliente.
Qu'avez-vous appris lors des Master Class et, ici, à l'atelier ?
Mouthana Alhaj Ali : lors des Master Class, Monsieur Rolland nous a expliqué ce qu'est la haute couture. Il a une grande expérience, une belle carrière. On l’a rencontré plusieurs fois et il nous a guidés pour notre modèle.
J'appelle ma robe en tissu blanc "Hallucination" car c'est comme un mirage dans le désert avec sa traîne comme une vague de sable et son corset évoquant une rose des sables ou un croissant de lune. Il y a un voile transparent sur la tête avec des larmes de sang rouge incrusté qui parle de mon parcours : je suis syrien, arrivé en France en 2017. Mon idée était de représenter les femmes qui vivent la guerre.
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