La Covid-19 inspire à Franck Sorbier sa collection haute couture "Il Medico della Peste" : le court métrage d'Amaury Voslion raconte cette histoire
En juillet, la maison Franck Sorbier avait diffusé une bande annonce présentant trois looks de sa haute couture parisienne automne-hiver 2020-21. En septembre, un court métrage signé Amaury Voslion révèle l'ensemble de la collection.
Pour cause de pandémie, pour la première fois de leur histoire, les traditionnels défilés de la haute couture parisienne ont été remplacés, en juillet, par des films pour annoncer les collections automne-hiver 2020-21. La maison Franck Sorbier s’est associée au réalisateur Amaury Voslion et au musée des Arts et Métiers – Conservatoire national des arts et métiers pour sa collection Il Medico della Peste.
Franck Sorbier a présenté sa haute couture automne-hiver 2020-21 en deux temps : Le Prélude, une bande annonce diffusée le 8 juillet sous forme digitale, suivi de Révélation, un court métrage projeté le 21 septembre au Musée des Arts et Métiers avec en parallèle une exposition des créations haute couture 2020-21. La bande annonce et le court métrage, réalisés par Amaury Voslion, ont été tournés au Cnam.
Le Prélude a été sélectionné pour le Festival ASVOFF (A Shade View on Fashion Film) de Diane Pernet qui se tient du 6 au 9 octobre prochain.
La rencontre entre le réalisateur Amaury Voslion et le couturier Franck Sorbier
La réalisation de ce film a été tant pour le réalisateur Amaury Voslion que pour le couturier Franck Sorbier une première. Les deux hommes s'étaient rencontrés lors du Festival international de la photographie culinaire en 2017 : "En tant que co-président du Festival, j'ai remis un prix spécial photos à Amaury Voslion" explique Franck Sorbier, qui ajoute : "Il a, ensuite, assisté à plusieurs de mes collections, fait des photos backstage. J'ai apprécié son univers".
Si pour Amaury Voslion réaliser un court métrage pour une maison de haute couture est une première, il avait déjà une expérience de cet univers : "Jeune homme, j’ai pratiqué la photographie de mode et j’étais déjà fasciné par le côté graphique de la mode, chez des photographes comme Man Ray, Irvin Penn, Guy Bourdin ou encore Helmut Newton".
"L'inspiration de ma collection, instaurant un parallèle entre la peste et le personnage Il Medico della Peste, est née au moment du confinement", explique le couturier, qui avait dans un premier temps décidé de ne faire qu'une mini collection. Mais à l'annonce du maintien de la semaine de la haute couture, en juillet, sous forme digitale, il a alors pensé à un court métrage.
Il y a d’abord eu Le Prélude tourné en juin et le court métrage Révélation tourné fin juillet. "Pour Le Prélude, on s’est vus plusieurs fois pour que je puisse bien intégrer leurs intentions. L’univers était d’emblée planté par leurs choix de personnages, Il Medico, la Covid et la Commedia dell’arte et aussi par le décor, le Musée des arts et métiers" précise Amaury Voslion. "Pour Le Prélude, j’ai scénarisé leurs idées et fait un story board, afin de leur permettre d’avoir une vision de ce à quoi ça pouvait ressembler une fois filmé, tandis que pour le court métrage Révélation, ils ont écrit une histoire. Je l’ai adaptée, j’en ai fait un scénario. La mission était plus complexe car, dans Le Prélude il n’y avait que trois tenues, là il y en a une douzaine".
L'ambition était de faire un film et non un catalogue filmé, explique le réalisateur. "Il a fallu créer tout un univers pour que s’épanouisse la narration, que l’histoire ne soit pas un simple prétexte à montrer des robes". Amaury Voslion fait des films avec et sur des artistes depuis de nombreuses années : Brian de Palma, Bettina Rheinms, Gérard Garouste, Charles Mingus.... "Comme je viens de la photographie, je finis toujours par faire du film un portrait de l’artiste. Cela demande de se laisser emmener par son instinct, sa sensibilité, qui permet de voir autre chose que ce que l’on nous met sous les yeux. Et bien souvent, quand tout le monde est sincère, cela s’imprègne sur l’image, cela devient le rythme cardiaque du film. C’est ce qui s’est passé avec Révélation, nos ADN se sont mariés en quelque sorte".
Peu habitué à l'univers de la haute couture, le réalisateur a découvert un couple (Franck Sorbier et son épouse) "qui a des visions artistiques et qui se donne les moyens, coûte que coûte, de les faire vivre". Pour lui "leur approche de la mode est très riche, pleines de références à l’histoire, à la peinture : lorsqu’ils choisissent un tissu, ce n’est pas une simple question de motif ou de matière, c’est aussi l’histoire de cette étoffe, ce qu’elle véhicule et raconte de notre histoire. Il n’y a pas une intellectualisation, ils sont très instinctifs. Leur écriture est nourrie de très nombreux symboles et l’on retrouve cette signature dans le film que nous avons fait ensemble".
La pandémie a cependant induit des contraintes : "Si pour Le Prélude, j’ai pu m’entourer d’un chef opérateur, Eric Genillier, sur Révélation, j’étais seul avec mon assistante, Myriam Ouattara. Cette façon de faire, seul à la façon d’un photographe, a permis d'être extrêmement réactif, de tourner très vite, car nous n’avons eu qu’un jour et demi de tournage pour faire ce film". Autre contrainte le budget : "le cinéma est une industrie qui ne produit que des prototypes, comme la haute couture. Mais, comme disait François Truffaut, quand on a de l’argent, on a des contraintes économiques, quand on en a pas, on a des contraintes artistiques. C’est une contrainte qui rend créatif".
Quand la Covid-19 inspire la collection "Il Medico della Peste"
La pandémie de Covid-19 a inspiré Franck Sorbier pour sa collection Il Medico della Peste qui met en scène un des personnages majeurs de la Comedia dell’arte, Il Medico. Lors de la peste noire, la ville de Venise payait les médecins pour soigner les malades riches et pauvres. Le médecin porte alors un masque au long bec qui peut faire penser à un oiseau. C’est un filtre garni d’herbes odorantes, d’épices, de citron, de feuilles de menthe, de camphre, de laudanum, de myrrhe et de pétales de roses. Un filtre capable de protéger de l’épidémie transmise par l’air. Une canne en bois était utilisée afin d’ausculter les patients.
Le masque lugubre du médecin de la peste devient aujourd'hui ce masque chirurgical que chacun au quotidien doit porter sans modération.
Dans Le Prélude, il y a trois personnages : il Medico della Peste (le médecin), la Commedia dell'arte (la malade) et la peste (la Covid-19) et donc trois looks. Mais au total la collection présentée dans le court métrage Révélation en comprend 13. Chaque silhouette est associée à un lieu, à une machine.
Dans le court métrage Révélation le personnage de la Commedia dell'arte (la malade) est poursuivie par la peste (la Covid-19) représentée ici par un cheval noir remplacée ensuite par une femme toute de noire vêtue impassible et implacable. La Commedia dell'arte trouve refuge chez il Medico della Peste qui la transporte dans son laboratoire pour la soigner. Le médecin la veille puis s'endort : il rêve et imagine la course poursuite entre le personnage de la Commedia dell'arte et celui de la peste à l'intérieur du musée dans un jeu de clair obscur. A la fin le personnage de la Commedia dell'arte monte un escalier qui la mène vers une lumière blanche. Elle disparaît et un cheval blanc arrive alors. Quand Il Medico se réveille, il est seul et à ses pieds repose une rose rouge. A chacun d'y voir l'interprétation qui lui sied !
Franck Sorbier invente sa Commedia della Moda
L’inspiration créative de cette collection automne-hiver 2020-21 trouve son origine "dans la deuxième moitié des années 70" explique le couturier. "Nous étions alors adolescents, la mode était aux mélanges, création mais aussi rénovation. Plutôt que récupération, je préfère le mot résurrection". Le thème Paisley et vieilles dentelles s’est alors imposé à lui. Le Paisley est un châle pashmina en cachemire ou en laine douce ou une combinaison de ces matières où intervient la soie, tissé en jacquard à motifs fortement influencés par des éléments persans. Ces châles ont été fabriqués au Cachemire dès le début du XVe siècle. Depuis 1586, les femmes européennes les ont portés, drapés sur leurs épaules. Mais c’est à l’époque victorienne et edouardienne que leur succès est à l’apogée.
Dans la collection, le Paisley prend divers aspects, découpé, recomposé, rebrodé, appliqué, voilé … Les couleurs sont chaudes - rouge, roux, brun, chaudron, orange - mais aussi décalées comme le rose pâle, le vert amande ou absinthe, le bleu porcelaine et le jaune de Naples. Sur certaines pièces, les motifs sont soulignés, par touche, d’or et de cuivre. Le noir vient ponctuer toutes les silhouettes. Les dentelles sont majoritaires mais aussi le velours froissé, le taffetas et le tulle brodé ornementé de petits ex-voto mexicains en argent. A noter aussi des broderies de perles anciennes en fil de soie, des passementeries, des fleurs en tissu de jais ancien, des dentelles de soie du XIXe siècle, des dentelles de Lyon rebrodées et incrustées… "C’est ludique, guerrier, élégant, drôle, charmant, nostalgique" explique le couturier.
Le choix du CNAM, le sanctuaire des techniques
Le choix du Musée des Arts et Métiers – Conservatoire national des arts et métiers n'est pas anodin : "Nous aimons les musées, ils sont autant d’invitations aux voyages autour du globe, dans le temps et l’espace, ils nous content l’Histoire" explique Franck Sorbier. Le Cnam et le musée des Arts et Métiers plongent le visiteur au coeur des inventions "les plus fantastiques, les plus intelligentes, les plus esthétiques aussi. Ici, chaque pièce exposée est primordiale, toujours en quête d’un nouveau souffle pour accompagner l’avènement de nouvelles époques. Nous aimons les Arts et nous aimons les Métiers" rajoute-t-il.
"Dans cette période oppressante, la Statue de la Liberté a été un réel point d’ancrage. Elle figure en ouverture du Prélude ligotée par la Covid-19 et apparaît libérée à la fin du court métrage Révélation. La liberté d’expression est l’ingrédient indispensable à toute création".
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