: Interview Haute couture automne-hiver 2024-25 : Julien Fournié sublime l'icône de mode Marie-Antoinette pour le musée Grévin
Exceptionnellement, cette saison, en raison des Jeux olympiques de Paris, la semaine de la haute couture automne-hiver 2024-25 se tient du 24 au 27 juin 2024, juste après celle de la mode masculine printemps-été 2025. Un enchaînement plus rapide qu'à l'accoutumée puisqu’elles sont habituellement espacées d'une semaine. Des conditions qui ont décidé certains couturiers à revoir leur copie.
Lauréat des Grands Prix de la Création de la Ville de Paris en 2010, Julien Fournié, qui a lancé sa marque en 2009, défile dans le calendrier de la Fédération de la haute couture et de la mode, en tant que membre invité depuis 2011, et sous le label haute couture depuis 2017. Cofondateur du FashionLAB avec Dassault Systèmes, c'est un pionnier du métavers visant à doter la mode des outils numériques d'avenir.
Le 25 juin au soir, Julien Fournié a opté pour un défilé, joyeux et en petit comité, au sein du musée Grévin pour présenter les six looks de sa collection capsule Last Queen ainsi que la tenue de la statue de cire de Marie-Antoinette "en majesté". Il a restitué le faste de sa vie à Versailles, tout en la situant dans son rôle d’icône de la mode, que la dernière reine de France a acquis depuis plus de deux siècles en tant que première influenceuse. Ces modèles sont exposés à Grévin du 28 juin au 1er septembre 2024
Passionnante rencontre croisée et explications avec le couturier Julien Fournié et le PDG de Grévin, Yves Delhommeau.
Franceinfo culture : pour la saison de la haute couture automne-hiver 2024, vous avez opté pour un défilé le 25 juin au musée Grévin.
Julien Fournié : en raison des Jeux Olympiques, la Fédération de la haute couture et de la mode a avancé les dates de présentation des collections automne-hiver 2024-25. Il était compliqué, dans ce temps imparti, de faire une collection aussi fournie que la saison dernière : j'ai donc opté pour cet événement à Grévin. Cet happening comprend la présentation de six silhouettes métiers d'art - inspirées de l'époque de Marie-Antoinette, des Incroyables et des Merveilleuses - et une silhouette de la fameuse icône fashion Marie-Antoinette. Pour moi la plus influente des femmes. Après le défilé, ces tenues sont exposées dans ce musée traditionnel, populaire, ouvert à tous, jusqu'au 1er septembre, pour montrer ces savoir-faire français.
Il ne faut pas oublier que Grévin n'est pas qu'un musée, il y a des ateliers de métiers d'art. Ici, on travaille avec des coiffeurs, des maquilleurs, des sculpteurs sur cire de très haut niveau pour faire des formes, implanter des cheveux naturels... Ils font des têtes d'affiche de personnalités historiques du passé mais aussi de l'actualité. Ils ont cette tradition de savoir-faire, de culture de la main, et, en même temps, ils travaillent avec l'impression 3D. C'est l'alliance de la tradition et de l'innovation comme pour la haute couture et c'est là où nos ADN se rejoignent : c'est pour cette raison qu'ils m'ont choisi pour dynamiser certaines personnalités et leur donner un lustre haute couture.
L'événement Haute Couture Revolution présente la capsule Last Queen (Dernière Reine). Pourquoi cette passion pour la reine de France Marie-Antoinette ?
Julien Fournié : après Marylin Monroe, la deuxième personne la plus "googlelisée" est Marie-Antoinette. C'est la plus grande icône au monde : elle a été la première à lancer des tendances, à écouter Rose Bertin [sa Ministre des modes] qui lui susurrait de bonnes idées, à avoir une styliste personnelle. Cette dernière avait monté sa maison de couture dans les jardins du Palais Royal. Marie-Antoinette aimait se déguiser, lancer des fausses rumeurs et manipuler son monde : en fait, c'était la première influenceuse mondiale avant toutes celles que l'on connaît aujourd'hui sur les réseaux sociaux et qui auraient beaucoup à apprendre de cette femme, qui avait, elle, de l'élégance et de la culture !
Cette révolution de la créativité dans la mode, Marie-Antoinette l'incarne : elle a toujours préféré l’innovation à ce qui était traditionnellement considéré comme "beau depuis toujours" et a initié un mouvement dont les grands couturiers actuels sont les héritiers.
Ce défilé présente les codes de Marie-Antoinette. Comment les avez-vous réinterprétés version 2024 ?
Julien Fournié : Marie-Antoinette a été une des premières à ôter son corset et à porter des robes un peu loose [négligé chic] pour jouer à la Bergère, à mettre ses plus beaux atours, ses plus beaux vertugadins [élément du costume féminin d’origine espagnole de la forme d'un bourrelet placé autour des hanches pour donner de l'ampleur à une robe] mais aussi de grands ressorts géants dans ses perruques (pour passer plus facilement les portes) et des socques japonaises... Folle d'orientalisme, elle adorait, par exemple, se mettre du khôl autour des yeux.
Mes mannequins fétiches vont illustrer cette nonchalance et cet amusement. La collection est extrêmement travaillée avec trois looks résolument masculins car Marie-Antoinette aimait porter les vestes de son amant. C'est une collection drôle et boyish [style garçonne] mais super féminine avec des tutus géants pour rappeler les volumes de l'époque et du tulle illusion brodé comme si elle avait été tatouée. Ce n'est que du plaisir cette palette de couleurs qui "clashe" avec des couleurs de notre époque. Je ne fais pas de la mode ici à Grévin mais des personnalités, car on vient y chercher des personnalités !
Le show débute avec une femme asiatique, Diva Cam, portant une armure en marqueterie de cuir coloré façon sellier : un bustier avec des nœuds en 3D et un pantalon en cuir avec des incrustations de fleurs de Lys, portés sous un trench long en soie lavée, rebrodé d'enluminures avec une couronne en cuir en marqueterie. C'est un travail colossal, réalisé non comme du vêtement mais comme de la maroquinerie. Une autre silhouette, qui me tient à cœur, est une veste bleu azur avec un col en moire, très masculin : elle est rebrodée des chandeliers signature de ma maison avec des fleurs de Lys. C'est presque une minirobe, une nuisette avec de la dentelle ancienne de chez Marescot portée avec un legging en tulle illusion rebrodé des bijoux en cristal de l'époque. Aux pieds des salomés avec des nœuds derrière, c'est canonissime !
Au final est dévoilée la tenue que porte la statue de cire de Marie-Antoinette "icône de la mode".
Julien Fournié : On a réalisé un gros travail d'implémentation pour savoir comment étaient fabriqués les vêtements à l'époque. Aujourd'hui, on n'a pas grand-chose : il nous reste un corset exposé au MET à New York, des illustrations et des tableaux. On a gardé la dimension fantasmagorique que peuvent avoir les gens grâce aux films qui lui ont été consacrés comme le Marie-Antoinette de Sofia Coppola et Si Versailles m'était conté de Sacha Guitry.
C'est une majestueuse robe de cour avec 1 500 mètres de tulles. On a voulu quelque chose de très léger : on a ôté les vertugadins - qui auraient donné de la lourdeur - et j'ai proposé tout un travail de crin pour que cela soit volumineux mais pas lourd. Il y a 120 mètres de triple organza de soie blanc, entièrement rebrodé des symboles de la cour de France comme les enluminures chandeliers, les fleurs de Lys très pures, les nœuds en 3D. Cette robe est en blanc, en dégradé vieil argent jusqu'à l'argent blanchi et le cristal. On a l'impression qu'elle a été trempée dans du sucre. On a fait une robe exactement comme à l'époque avec les mêmes volumes,, les atours et le manteau de cour.
Vous avez revu, avec les équipes de Grévin, le maquillage et la coiffure de cette statue de cire ?
Julien Fournié : oui, j'ai demandé que l'on garde ce teint très poudré avec un maquillage banane, années 50, sur les yeux pour la dynamiser ! On a fait un peu de contouring, on a remonté un peu les sourcils et posé une touche de glow [maquillage lumineux]. On l'a mystérisée avec une voilette. C'est une tuerie, elle est d'une fraîcheur. Elle est de notre époque !
La coiffure est fendue par un galion pavé de cristaux Swarovki, avec des plumes dans la perruque (Julien Vermeuleen a fait la plumasserie) et de nombreux bijoux dont une reproduction du collier de la Reine (l’affaire des ferrets). J'ai créé un ex-voto pour sa coiffure, c'est un très beau travail de sculptures et d'artisanat d'art. L’idée était de la présenter en tant qu'annonciatrice de la haute couture et génitrice de la mode créative.
Ce n'est pas la première fois que Julien Fournié collabore avec le musée ?
Yves Delhommeau, PDG du musée Grévin : en effet, non. On s'est rencontré quand Audrey Fleurot est rentrée à Grévin. L'actrice française voulait absolument être habillée en Julien Fournié. Sa statue a été inaugurée en mars 2023 et sa robe haute couture a beaucoup de succès : on nous vole ses boutons que l'on remplace en permanence.
Heureux de cette collaboration, on a aussi fait appel à lui pour transformer Penelope Cruz, Angélina Jolie et Monica Bellucci. Ces trois robes très différentes offrent un travail très intéressant qui valorise l'artisanat aussi bien le nôtre que celui de Julien Fournié. Le musée l'a choisi pour devenir "son" grand couturier : cette collaboration marque le caractère éminemment parisien de ce haut lieu de la célébrité et de la mode. Ainsi sur Instagram, on poste nos minute mode où l'on explique ce qui se passe dans ce domaine. Par ailleurs dans les mois à venir, on va refaire la signalétique pour renforcer certains éléments présentés dans notre parcours.
Est-ce la première fois que le musée accueille un défilé haute couture ?
Yves Delhommeau : offrir des robes haute couture dans le parcours, c'est enthousiasmant. Ce n'est pas parce qu'on est un musée populaire que l'on ne doit pas être dans l'excellence. Le musée s'appelle Alfred Grévin, le caricaturiste qui outre ses dessins faisait tous les costumes de l'Opéra-Comique. Avec Arthur Meyer, il a créé Grévin : c'était le directeur du journal Le Gaulois où l'on parlait des mondanités, des soirées à Paris et des robes des femmes. C'est pour cette raison que le premier créateur présent à Grévin a été Paul Poiret habillant la comtesse Greffulhe.
Le musée a présenté de façon fictive des défilés mais c'est la première fois qu'il y a un défilé haute couture. C'est le rêve cette soirée !
Parmi les figures de l'Histoire présentées, Marie-Antoinette tient une place de choix. Combien de fois la reine a-t-elle changée de costumes ?
Yves Delhommeau : elle a toujours été dans un costume noir et blanc minimaliste et dramatique puisqu'elle était à son procès. Elle n'a jamais été représentée resplendissante mais demain elle aura deux statues à Grévin !
En effet, son personnage est entré à Grévin en 1889 pour le centenaire de la Révolution française, dans des décors plutôt funestes : la famille royale au Temple, en 1792 ou à la Conciergerie en 1793, représentée, encore, aujourd’hui lors de son procès le 14 octobre 1793… Marie Antoinette a toujours été présentée dans un moment dramatique, celui de son procès, avec le décor de la porte de la Conciergerie derrière laquelle elle a été enfermée.
La Marie-Antoinette de Julien Fournié sera exposée comme une icône de la mode, avec cette robe resplendissante qui montre le savoir-faire des artisans français. Elle trône désormais, dans sa superbe et ses heures fastes dans la Coupole de Grévin, écrin originel créé en 1882, toute de lambris de palissandre sculpté, réhaussés d’or, de marbre et de mosaïques de Venise, qui a accueilli Sarah Bernhard, la Comtesse Greffulhe et Paul Poiret. Cet espace est devenu, depuis 2014, Grévin Fashion où l’on retrouve les personnages de Gabrielle Chanel, Jean Paul Gaultier, Naomi Campbell, Chantal Thomass, Coco Rocha, Cara Delevingne…
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