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"Ce qui m'intéresse dans un objet, c'est l'émotion qu'il me procure" : le joaillier Lorenz Bäumer, collectionneur inspiré

Joaillier indépendant de la place Vendôme à Paris, Lorenz Bäumer, qui signe des créations joaillières depuis 30 ans, est un collectionneur féru d'art

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9 min
Le joaillier Lorenz Bäumer dans sa boutique de la place Vendôme à Paris pose devant un mur de photographies en noir et blanc consacrées à la colonne Vendôme, en juin 2022 (Corinne Jeammet)

Collectionneur féru d'art - une vente de sa collection personnelle a eu lieu chez Sotheby's en mai dernier - le joaillier Lorenz Bäumer, installé place Vendôme à Paris, puise son inspiration dans ses passions : l'art et la nature, les dessins anciens, les photos de la colonne Vendôme...

Né à Washington de parents diplomates, il a eu une enfance de globe-trotter rythmée par les voyages. Diplômé de l'École Centrale de Paris, sa formation d'ingénieur le rend précurseur dans l'utilisation de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques. En 1988, Chanel lui demande de développer sa joaillerie. Il assurera la direction artistique pendant 20 ans. En 2007, c'est LVMH qui fait appel à lui pour les bijoux Louis Vuitton. En 2010, il crée le diadème Écume de diamants pour le mariage de la Princesse Charlène Wittsock et du Prince Albert II de Monaco

Il a aussi multiplié les collaborations avec des maisons (Hermès, Cartier, Piaget, Breguet, Baccarat, Guerlain…). Parmi ses best sellers, la collection Battement de Coeur où les bijoux s’inspirent de l’électrocardiogramme de son premier enfant, les bagues olfactives qui libèrent des fragrances ainsi que des pièces de haute joaillerie tel que le bracelet Gourmandise exposé au Musée des Arts Décoratifs à Paris...

Rencontre avec un passionné d'art, touche à tout, qui évoque sa récente vente aux enchères d'une partie de sa collection chez Sotheby's pour nous expliquer son amour de l'art sous toutes ses formes.

Franceinfo culture : vous avez-mis aux enchères chez Sotheby's, en mai dernier, une partie de votre collection. Était-ce la première fois ?  

Lorenz Bâumer : C'est la troisième ou quatrième fois que je fais des ventes aux enchères puisque je continue à acheter pour faire vivre mes collections. En Inde, on dit toujours que le dieu de la création (Shiva) est aussi le dieu de la destruction. Si je veux pouvoir rajouter des choses, il faut à un moment déstocker.

Avant cette vente, il y avait à la maison des endroits où cinq couches de tableaux étaient superposées. Là, on est passé à trois couches ! J'ai honte de dire cela mais parfois j'enlève une couche et je redécouvre une oeuvre : je me dis alors, c'est vachement bien. Saint-Augustin disait que "le bonheur, c'est de continuer à désirer ce que l'on possède" mais pour paraphraser Sacha Guitry "le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier", et le meilleur dans la collection, c'est la prochaine acquisition. Je suis un peu pris entre ces deux feux.

Êtes-vous satisfait de cette vente ? 

Sotheby's a vendu à 88% - plus toutes les choses que l'on a vendu après en "after sale" -, c'est-à-dire que l'on doit être à peu près à 95%. C'est très rare que l'on vende autant de choses. Cela s'explique par le fait que ce n'était pas une vente anonyme : j'ai eu beaucoup de mes clients que cela amusaient d'acheter des choses qu'ils ont connu et ils ont eu envie de suivre mon goût.

J'aime bien faire découvrir des choses : il y avait aussi bien des signatures connues que des choses pas connues que j'aime beaucoup. On a aussi voulu rendre les choses attractives avec des estimations raisonnables. Quand vous mettez des estimations raisonnables, on a encore plus envie de renchérir que si c'est très cher dès le début. Il y avait aussi certains lots sans prix de réserve, c'est toujours très motivant (ndlr : le prix de réserve est un montant secret en dessous duquel le lot ne pourra pas être vendu).

Comment aviez-vous sélectionné ces oeuvres mises aux enchères ?

C'est comme un dialogue entre les objets et moi, ou entre le créateur qui a fait l'objet et moi. Quand les objets m'inspirent moins, il est temps de faire de la place et de passer à autre chose. On essaye toujours d'avoir ce qui nous inspire le plus.    

J'ai mis un moment à me décider à la faire (ndlr : la vente aux enchères) mais une fois que je l'ai fait, j'ai été soulagé. Cela m'a fait de la place, j'ai pu respirer. Une fois que je les ai vu là (ndlr : chez Sotheby's), c'était fini. Il y a deux, trois, quatre invendus, très très peu mais je ne veux pas qu'ils reviennent, j'en ai fait mon deuil, je suis passé à autre chose. C'est fini. 

Aviez-vous mis aux enchères des pièces joaillières ? 

Oui, il y en avait. Toutes les pièces où il y avait beaucoup de création - comme le bracelet Raie Manta, la bague Île aux trésors - se sont très bien vendues mais celle où il y avait une monture assez simple avec un gros diamant, apparemment le public n'était pas là. On a peut-être été un peu ambitieux dans nos estimations mais je suis très content de récupérer cette pièce, car depuis le début de l'année les diamants ont pris 30%. C'est énorme.

Dans le cas d'une diversification patrimoniale, les gens ont un peu d'argent, de la bourse, de l'immobilier et aussi de l'art et des bijoux. C'est très bien d'en avoir un peu. 

La bague Ile au trésor du joaillier Lorenz Bäumer (Courtesy of Lorenz Bäumer)

Vous êtes un collectionneur très hétéroclite, avez-vous toujours eu cette appétence ?

J'aime plein de choses différentes. Il y a des moments où je vais acheter des photos, des dessins et après je tourne un peu. Ce qui réunit ces objets, c'est qu'ils me parlent, me touchent. J'aime bien qu'il y ait une âme derrière ! J'ai toujours collectionné plein de choses, dont certaines n'ont pas de valeur comme le sable des plages ou je fais du surf. Quand j'étais gosse, c'étaient les étiquettes des bouteilles de vin, j'avais un grand cahier dans lequel je les collais.

C'est le début de votre vie de collectionneur ? 

C'est une des premières manifestations de cette grave maladie que j'ai et qui s'appelle "la collectionnite". Après les étiquettes de vin, il y a eu les timbres... En ce moment, ce sont les dessins : je recherche des chefs d'oeuvres d'inconnus. Au XIXe, beaucoup de gens ont produit et, de temps en temps, il y a une oeuvre extraordinaire. Cela m'amuse de chercher des choses qui ne sont pas dans les livres car je suis moins attaché à la signature ou à la valeur. 

Quel a été le déclic ?

Tous les collectionneurs ont leur histoire et la raison pour laquelle ils collectionnent : les parents collectionnaient, c'était un manque, ils étaient jeunes et n'avaient pas d'argent et c'était une façon de prendre une revanche sur leur jeunesse. Moi, c'est un peu une frénésie de dialogue avec d'autres créateurs. J'aime bien, par exemple, les objets de la maison d'orfévrerie Puiforcat et l'histoire qu'il y a derrière : il était très religieux, très croyant, et il pensait que la beauté et la présence de Dieu se révélait à travers la perfection géométrique des objets. Quand on regarde des objets qu'il a fait, il y a toujours un nombre d'or, des proportions très belles, très étudiées, que j'aime bien regarder et cela m'inspire pour des choses que je fais. 

De quoi est constituée votre collection aujourd'hui ? 

Je n'ose pas le dire mais j'ai un peu de tout. Dernièrement, j'ai acheté des petites céramiques que je trouve très belles. Lors des enchères chez Sotheby's, j'ai vendu des pièces de Jouve, qui est un grand céramiste des années 40, 50, 60 et, en fait, je les ai remplacé par ces petits personnages, très marrants, baroques. J'ai de l'horlogerie, un petit peu d'argenterie Art Déco et pas mal de dessins - car le point de départ de mes bijoux, c'est toujours le dessin - auxquels s'ajoutent ceux de mes enfants. Ceux-là sont encadrés, il y en a plein aux murs, sans oublier ma collection de cadres anciens (ndlr : certains sont installés dans sa boutique de la place Vendôme). 

Deux appliques en céramique de Georges Jouve vendues aux enchères chez Sotheby's (Sotheby’s / ArtDigital)

Quels sont les objets auxquels vous tenez le plus ?  

La valeur financière ne m'intéresse pas, c'est l'émotion que l'objet me procure qui m'intéresse. En numéro 1, s'il y avait un incendie chez moi, je prendrais sans hésiter les dessins de mes enfants : j'adore la créativité à travers leur regard.

Je prendrai aussi ma belle table améthyste même si elle est trop lourde à transporter sous le bras. C'est une immense géode avec des cristaux d'améthyste. J'ai calculé qu'il y a un million de carats. C'est spectaculaire, c'est l'oeuvre de Dieu. Elle raconte ce que j'aime faire : montrer comment la nature nous offre des choses merveilleusement belles que j'essaye de mettre en majesté à travers mon travail.

La table géode améthyste dans la boutique Lorenz Bâumer place Vendôme à Paris  (Courtesy of Lorenz Bäumer)

Enfin, l'objet numéro 3 serait peut-être le dernier dessin que j'ai trouvé. J'ai un très beau dessin de Salammbô - que j'ai prêté pour une exposition à Rouen - qui est d'Adolphe Cossard. Il a fait quelque chose que j'aime beaucoup et que les peintres font parfois : outre le dessin, il a crée son cadre avec des motifs égyptiens, un truc qui n'a rien à voir avec le Salammbô du roman de Gustave Flaubert. C'est un dialogue qui est très amusant. Quelques artistes, qui s'intéressaient beaucoup aux cadres dans lesquels étaient présentées leurs oeuvres, voyaient l'encadrement et l'oeuvre comme un tout. 

Dans quelle mesure les oeuvres des artistes sont une source d'inspiration pour vos créations ? Pouvez-vous me donner des exemples ?

C'est un magma de trucs que j'ai vu dont je me sers. Je ne peux pas dire qu'il y ait des choses qui aient été directement inspirées par Puiforcat mais les volumes, la géométrie m'ont accompagné. On a fait, par exemple, le couteau de l'amitié car je voulais inventer des nouvelles lames. Alexandre Noll faisait des sculptures en ébène noire. On a fait la collection Black Magic, tout en noir, qui met en majesté des pierres de couleurs. Pour moi, ce qui met en majesté la couleur, c'est le blanc et le noir.

Bracelet de la collection Black Magic de la maison joaillière Lorenz Bäumer (Courtesy of Lorenz Bäumer)

Il y avait aussi dans la vente une collection de photos de tatouages. C'était un gars qui était dans la prison de Nantes et qui prenait en photos les corps des prisonniers. Je me suis inspiré de ses photos et je me suis dit cela serait sympa de tatouer des diamants : on a mis au point de techniques pour reprendre informatiquement un dessin et le graver au laser à la surface du diamant. 

Bague diamant tatoué de la maison joaillière Lorenz Bäumer (Courtesy of Lorenz Bäumer)

Et puis, il y a aussi cette console du designer américain Paul Evans, qu'il y avait aussi dans la vente aux enchères avec toutes ses facettes que l'on retrouve dans l'escalier ici (ndlr : la boutique place Vendôme), mais aussi sur certains bijoux comme la collection Mikado. 

Bague de la collection Mikado de la maison joaillière Lorenz Bâumer (Courtesy of Lorenz Bâumer)

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