"Je me suis recentrée sur ma création pour ne pas faire trop de collections" : la créatrice Armine Ohanyan fusionne technologie et artisanat
La dernière fois que nous avions rencontré la créatrice Armine Ohanyan, c'était en 2018. Elle venait de recevoir le Prix coup de coeur du jury du Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan. Depuis elle a traversé la crise du Covid-19, repensé sa marque et signe plusieurs collaborations révélatrices des différentes facettes de son travail.
Armine Ohanyan, qui a une fascination pour l’artisanat, propose un "prêt-à-couture". Sa démarche allie mode, art et digital, tout en s’inspirant de la force de la nature. Ses pièces sont réalisées à la main mais, en accord avec son temps, sa mode n’échappe pas à la digitalisation et aux nouvelles technologies, qui font partie de ses techniques de création.
Née en Arménie en 1990, ses créations sont nourries de son histoire et de la richesse de sa culture. Après des études à l’Académie d’Etat des Beaux-Arts d’Erevan (2006-2011), elle suit les cours à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon (2011-2012) puis à l'école de mode Estah à Paris (2014-2016). Assistante modéliste entre 2012 et 2013 pour la maison Arasa Morelli couture à Genève en Suisse, elle remporte, en 2016, le premier Prix au concours international de mode E-Fashion Awards et lance sa marque. En 2017, elle est Prix du public de la Fashion Tech Expo et en 2018, Prix coup de coeur du jury du Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan où nous l'avions rencontrée.
Quatre ans plus tard, Armine Ohanyan a repensé sa façon de travailler pour être plus en adéquation avec ses aspirations. Explications.
Franceinfo culture : en 2018, vous recevez le prix coup de coeur du jury du Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan soit 3 000 euros et l'exposition de vos créations à la Joyce Galerie à Paris, un joli coup de pouce.
Armine Ohayan : Je pense que pour chaque créateur gagner des concours donne toujours un coup de pouce. C'est de la visibilité mais aussi de la confiance car les créateurs n'ont pas toujours confiance en eux ! Cela m'a permis d'avancer et d'aller plus loin dans le développement de ma marque. C'était bien.
Que s'est-il passé ensuite ?
Il s'est passé beaucoup de choses : on a présenté plusieurs collections, il y a eu l'ouverture de ma boutique, rue de Turenne dans le Marais en avril 2019, et aussi le prix pour le développement digital du Ministère de la Culture en 2021...
Mais surtout pendant cette période, j'ai réfléchi à ce que je voulais vraiment faire et je me suis recentrée sur ma création pour ne pas faire trop de collections. Il y a eu la pandémie du Covid-19. C'était un moment assez agréable pour moi : tout d'un coup, tout s'arrête et on a plus de temps pour réfléchir. J'ai donc repositionné ma marque vers la techno couture qui fusionne les nouvelles technologies (l'impression 3D, la découpe laser, le thermoformage...) et l'artisanat (travail avec des artisans comme les maîtres plisseurs, brodeurs, bottiers, plumassiers...).
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C'était aussi le moment de comprendre comment je voulais avancer avec le côté éco-responsable qui est très important aujourd'hui. Chaque marque de mode doit comprendre cette responsabilité, on ne peut pas passer à côté. Par exemple, avec la pandémie, je me suis retrouvée avec beaucoup de stocks. A partir de mes collections j'ai, alors, fait de l'upcycling. C'est-à-dire que j'ai démonté des pièces pour leur donner une nouvelle vie. Plus récemment j'ai été contactée par l'école Tumo Studios pour réaliser une capsule éco-responsable.
Comment avez-vous traversé la crise du Covid-19 ?
On avait déjà le e-shop en ligne mais on a renforcé notre site internet, ce qui nous a permis de vendre pendant les confinements. Notre communauté a compris la situation : elle voulait soutenir l'artisanat, le savoir-faire et le made in France, donc se recentrer sur ce qui est local. Si j'ai toujours fait du made in France, le consommateur, lui, a pris conscience qu'acheter une marque qui a un autre positionnement, c'est un engagement.
Pendant la pandémie, j'ai commencé aussi à faire des collections No Season : il n'y a plus, désormais, de collections printemps-été ni automne-hiver. Cela veut dire en fait que je fais mes collections en fonction de mes inspirations. Si j'ai bien travaillé et que j'ai des nouveautés, j'alimente la petite collection qui devient au fur et à mesure une grande collection qui conserve toujours la même thématique mais le fil rouge peut cependant évoluer. Aujourd'hui, je prends plus de temps pour développer ma maison : pour moi, c'est beaucoup de recherche sur les matières, sur le design textile sur les nouvelles technologies et sur l'artisanat. Mes collections peuvent prendre de quatre à cinq mois de développement. C'est cela que j'aime aussi, ce n'est pas précipité, je ne veux plus faire des collections fleuves.
Par exemple, on a présenté la collection (ndlr : qui correspond au printemps-été 2022) au salon Tranoï en septembre 2021 mais pas en mars 2022. Je n'étais pas prête : j'avais de la production à livrer, des problèmes de matières suite à une pénurie de coton... On s'est retrouvés avec beaucoup de problèmes à gérer. Comme on est une petite équipe, il y a beaucoup de choses que je réalise moi-même. Pour moi c'est important de présenter quelque chose qui a du sens et, donc, on montrera une collection je pense en juin et je serai à Tranoï en septembre prochain.
Peut-on vous définir comme une maison techno couture ?
Dès le début, ma maison a toujours été liée aux nouvelles technologies et à l'impression 3D et j'ai encore davantage travaillé sur ce positionnement. Il y a des pièces totalement faites en impression 3D ou en découpe laser mais aussi beaucoup d'autres qui sont plus artisanales. Au fur et à mesure, je développe de plus en plus ce côté techno couture afin de fusionner davantage les deux aspects. C'est presque "du prêt-à-porter couture" avec des pièces images couture plus intemporelles. Il y a ainsi des femmes qui me commandent mes anciennes collections couture en sur-mesure et en demi mesure.
Mon travail évolue comme si je grandissais avec ma marque, en me nourrissant de ce qu'il y a autour de moi. C'est en évolution permanente.
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Quelles sont vos inspirations ?
C'est surtout la nature, ce qui est organique m'inspire le plus. L'environnement a toujours été le fil conducteur de ma maison : le mouvement, le vent, l'eau, la pierre, une couleur de l'océan, une texture... J'aime aussi les jeux d’imprimés, de couleurs et de transparence.
Vous avez fait moins de défilés et plus de salons ?
Oui, on a fait le showroom Tranoï à Paris où j'ai présenté dans ce cadre professionnel mes collections aux acheteurs. Pour les défilés, on va revoir comment les présenter dans un format plus virtuel, digital.
Vous multipliez les collaborations ?
Oui, en effet. Cela a commencé avec la journaliste et écrivaine Sophie Fontanel au début de l'année 2021 avec qui j'ai co-crée la jupe plissée qui porte son nom. On s'est croisées par hasard, on s'est parlé et un jour, elle est passée à ma boutique pour regarder mes créations. Je devais lui faire une pièce en satin duchesse, comme la jupe qu'elle avait ce jour-là, mais quand elle a vu mes prototypes en toile à patron beige, elle m'a dit : c'est ca que j'aime, c'est assez incroyable, je veux que la jupe reste un peu naïve comme si c'était un essai ! Ensuite, des clientes m'ont demandé ce modèle dont les plis sont faits à la main et qui est décliné désormais en d'autres couleurs et d'autres matières comme la version denim. C'est une jupe qui évolue, c'est comme mes collections No Season qui s'étoffent.
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Ce modèle a habillé les hôtesses du salon Première Vision Made in France...
Oui, en effet. Chaque année, le salon choisi un créateur pour mettre en avant le savoir-faire artisanal et le made in France. Ils m'ont contacté pour habiller les hôtesses d'accueil et on a décidé de choisir la jupe Sophie.
Vous avez réalisé une collection avec l'artiste japonais Kiichiro Ogawa. Pour vous art et mode sont indissociables ?
J'ai vu son travail et j'ai été touchée par son approche du mouvement : c'est quelque chose que nous avons en commun dans nos univers respectifs. Quand j'ai vu ces tableaux, je me suis tout de suite dit c'est quelque chose qui peut hyper bien "matcher" avec la mode. Je lui ai proposé cette capsule en édition limitée. Il avait déjà collaboré avec l'univers de la mode (avec Fendi) et aussi peint sur des vêtements. Là, je voulais des traits assez aléatoires sur mes pièces déclinées en noir, blanc, beige - une veste, un pantalon, un T-shirt, un trench, une chemise et un sac. Cette performance artistique, mêlant art, mouvement et création, est une improvisation libre de peinture sur mes modèles iconiques. Cette capsule a été présentée au salon Tranoï en septembre 2021, elle s'inscrit dans ma collection No Season 2022.
Vous avez réalisé une capsule éco-responsable avec l'école Tumo Studios. Oui, j'avais été contactée avant la pandémie du Covid-19 par Tumo Studios. C'est la première école gratuite axée sur le design, l'artisanat et la mode, située à Erevan en Arménie. Ils m'ont demandé des workshops (ndlr : ateliers collaboratifs) en vue d'une capsule à réaliser avec les étudiants. Le patronage et les looks ont été développés en France tandis que la production a été faite en Arménie. Dès le début, je voulais que cela soit une collection éco-responsable, qui ait du sens. L'inspiration vient de la nature et des montagnes arméniennes... dans mon pays, le thème de l'écologie n'est pas encore au centre des préoccupations. On a fait travailler le tricot et le crochet par des femmes arméniennes : elles ont un savoir-faire sur la maille et le tricotage. On a fait des teintures naturelles et on a travaillé avec une entreprise qui récupère les déchets plastiques, retravaillés ensuite en accessoires. Résultat en novembre 2021 : une collection d'une douzaine de vêtements avec des pièces intemporelles et amovibles (on peut ôter les manches qui sont détachables avec des zips... ) qui évoluent avec le temps et on peut ainsi jouer avec les looks.
Quels sont vos prochains projets ?
J'ai été contactée par quelqu'un qui développe la 3D et les NFT. On va créer des vêtements en 3D à partir de looks qui existent déjà et on va faire des ventes aux enchères avec des pièces en ligne créées sur des avatars.
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