: Interview "J'aimais m'adresser directement au couturier, à la personne qui créait le modèle" : Colette Maciet retrace ses souvenirs haute couture dans un livre
Quelques jours avant la semaine de la haute couture parisienne présentant les collections printemps-été 2024 est sorti le livre Haute Couture. Une vie aux côtés des plus grands couturiers (éditions Michel Lafon) de Colette Maciet. Elle y retrace son parcours et son poste stratégique de première d'atelier qu'elle a occupé dans de grandes maisons parisiennes.
Colette Maciet commence chez Chanel où elle va gravir les échelons alors que Mademoiselle entame la dernière décennie de sa vie. Puis, elle accompagne les premiers pas d’Hanae Mori et y décroche son poste de première d’atelier, avant de revenir chez Chanel pour les premières années de Karl Lagerfeld. Elle rejoint, ensuite, Hubert de Givenchy où elle vit les dernières années de la haute couture classique et élégante avant qu'elle ne devienne rock&roll et scandaleuse avec l’arrivée de Galliano et McQueen. Elle passe chez Saint Laurent, Gaultier et Ricci avant de travailler à son compte.
Rencontre passionnante avec une femme qui a travaillé au temps de l'âge d'or de la mode française, mais aussi celui de la métamorphose de la société.
Franceinfo culture : en 1960, armée du certificat d'études, vous avez 14 ans et passez le premier entretien d'embauche de votre vie chez Chanel. Mademoiselle Chanel meurt en 1971. Cinq ans plus tard, vous quittez la maison, vous êtes alors seconde d'atelier. Quels sont les enseignements de ces années Chanel ?
Colette Maciet : C'était un milieu que je découvrais. Ma sœur était ouvrière chez Callot Sœurs, une grande maison, mais cela ne m'intéressait pas. Quand j'ai annoncé à mes parents que je ne voulais pas continuer l'école, ils m'ont dit : il faut que tu travailles. J'ai beaucoup appris et j'ai gravi les échelons assez rapidement – d'apprenti à seconde main, première main qualifiée et seconde d'atelier – en exécutant et en regardant faire les premières mains qualifiées. À l’époque, mon chef, Monsieur Jean, m'emmenait aux essayages pour que je voie comment il faisait. Il avait compris que quelque chose allait se passer et que je pouvais réaliser plus que de rester première main qualifiée.
Comment cela s'est passé avec Gabrielle Chanel ?
Au début, je la croisais timidement dans les escaliers où je courrais dans la rue pour la dépasser. Au 31 [rue Cambon], tout le monde entrait par là, on prenait le grand escalier et on arrivait à la réception et à l'appartement de Mademoiselle. On était obligé de la rencontrer, mais on s'effaçait quand même sur son passage. Elle impressionnait. J'étais une petite fille à l’époque !
Première d'atelier en 1977 chez Hanae Mori, seule Japonaise à avoir obtenu le label haute couture en France, votre rêve se réalise. Le poste, tant convoité, correspond-il à vos aspirations ?
C'était une façon de travailler chez Hanae Mori complètement différente de chez Chanel. Je n'avais jamais fait de toile, je ne savais pas définir un croquis ni le réaliser puisque je ne l'avais jamais fait. C'est venu tout seul et cela m'a plu : c'est passionnant de faire une toile, de créer un modèle à partir du croquis du créateur.
La première d'atelier, c'est l'interlocutrice principale entre le studio de création et l'atelier. C'est l'interprète qui donne à chacun son travail. Qu'est-ce qu'il y a derrière ce poste que l'on ne peut pas imaginer ?
On fait beaucoup d'heures, des nuits aussi, car il faut toujours être disponible, aussi bien au moment des collections que pour des clientes. Il y a aussi les voyages, car les clientes se déplacent de moins en moins, elles veulent que l'on aille aux États-Unis, au Japon, à Londres... tout cela empiète sur la vie privée. J'ai le souvenir de la première fois où je suis partie au Japon pour Hanae Mori. Ça m'a marqué, 24 heures de voyage, c'était beaucoup et c'était fatigant. Puis, on arrive dans un pays où tout est en signes, vous avez du mal à comprendre, mais l'équipe japonaise était sympathique.
Avez-vous vu une différence dans l'interprétation des croquis en tant que première d'atelier dans les maisons avec lesquelles vous avez travaillé ?
Karl [Lagerfeld] était fantastique au niveau de ses croquis, c'était net et clair. Monsieur de Givenchy aussi, il rajoutait des petites choses, quant à Monsieur Saint Laurent, on n'en parle pas, c'était parfait. John [Galliano] et McQueen, c'était autre chose, il y a eu un cap de passer.
C'est un poste où il faut comprendre le souhait du couturier, avoir la sensibilité pour imaginer et donner forme au modèle.
Oui, quelques fois, on interprète le croquis à notre façon et souvent ça plaît. Mais ça m'est arrivé de présenter quelque chose à Monsieur Saint Laurent, il me disait "non il faut moins de", "un peu plus d'ampleur par là"... alors, il se levait et prenait la robe en me montrant. Mais avec chacun d'eux, cela se passait très bien.
En 1982, vous revenez chez Chanel, c'est l'ère Karl Lagerfeld. Un grand bonheur, dites-vous, mais vous partirez en 1990 à regret. Pourquoi ?
Oui, cela a été un grand bonheur parce que je revenais dans la maison où j'avais appris à travailler, mais aussi à regret parce que c’était ma maison et je n’ai pas compris pourquoi je devais partir.
Je quitte cette maison où j'ai appris à aimer mon métier avec cette sensation très désagréable que l'on m'oblige à abandonner aussi tous les souvenirs chers à mon coeur.
Colette MacietLivre Haute couture
La façon de travailler de Gabrielle Chanel et de Karl Lagerfeld était-elle différente ?
Avec Karl, on faisait des toiles d'après ses croquis tandis qu'avec Coco, il n'y avait pas de toile. Elle ne donnait pas de croquis, elle distribuait ses modèles à ses premiers d'ateliers, aussi bien tailleur que flou, en disant : je veux une robe, un tailleur, un manteau. Il n'y avait pas de patron, on coupait toujours avec la même base et le modèle se faisait au fur et à mesure : chacun donnait un petit peu de soi, pour les galons, les cols, les échantillons. Mais c'était un beau travail, cela ne se fait plus !
Vous allez, ensuite, chez Hubert de Givenchy, une maison au riche passé et à l'élégance raffinée. C'est une période heureuse jusqu'en 1995 quand le couturier tire sa révérence et est remplacé par John Galliano puis Alexander McQueen. Vous dites alors que la haute couture vit un tournant crucial.
Les clientes regardaient les modèles de la collection et quand elles avaient fait leur choix, il fallait tout améliorer, changer les proportions : John [Galliano] a fait des robes avec des traînes immenses. C'était un autre travail.
Et je pense que Monsieur Arnault voyait plutôt un rapport d'argent avec tout ce qui se vendait à côté – pourtant cela coûte cher les collections ! Je pense que cela rapporte plus de vendre des parfums, des sacs, des chaussures... Les clientes doivent être émerveillées de voir ces robes importables, mais quand elles vont en boutique, [acheter un parfum ou un accessoire] leur donne l'impression d'acheter de la haute couture alors qu'elles ne le peuvent pas. On ramène chez soi quelque chose qui représente une image de la haute couture, mais qui n'est pas de la haute couture.
En 1997, vous démissionnez pour aller chez Saint Laurent qui représente la quintessence de la haute couture et y resterez jusqu'en 2002 quand la maison s'arrête. Dès le début de votre carrière, vous rêviez d'y aller ?
À l’époque où j'étais chez Hanae Mori, j'avais téléphoné chez Saint Laurent. On m'avait répondu : non, on ne prend pas de personne extérieure, on fait de la promotion interne.
En 1997, quand on m'a dit qu'il y avait une place de première d'atelier à prendre, j'ai tout de suite téléphoné. J'ai rencontré Madame Anne-Marie Munoz [au côté d'Yves Saint Laurent depuis ses débuts]. Quand ils m'ont dit que j'étais prise, j'étais ravie, ravie ! Dans cette maison, Monsieur Saint Laurent était toujours présent, il y avait moins d'heures à faire et il y avait du respect pour les gens qui travaillaient avec eux – comme Monsieur de Givenchy en fait. Même Karl, c'était de la belle haute couture !
Monsieur parle peu, mais il n'est pas très difficile de savoir si le résultat lui convient. "Ravissant" est son qualificatif fétiche. Si cela ne lui plait pas, alors c'est le silence accompagné d'une moue dubitative.
Colette Maciet
Vous faites un passage chez Jean Paul Gaultier et Nina Ricci avant de créer votre entreprise Couture & Co Paris en 2005. Jusqu'en 2019, vous retravaillez avec des maisons que vous aviez croisées précédemment. C'est une opportunité, par exemple, de redonner vie à des créations d’Yves Saint Laurent pour le musée de Marrakech.
Avec une amie, j'avais créé cette société. Quelques clientes m'ont suivi, mais surtout les maisons de couture – on a travaillé pour Vionnet, Schiaparelli, Givenchy, Dior... – nous ont demandé des modèles pour les collections haute couture, mais aussi pour quelques commandes spécifiques. Monsieur Bergé m'avait ainsi demandé des modèles Saint Laurent (la collection Bambara, la saharienne, la robe Mondrian...) pour le musée de Marrakech.
Votre récit est un voyage au cœur de l’âge d’or de la couture française. En quoi la haute couture est-elle différente d'hier ?
Aujourd'hui, je ne regarde plus les collections de haute couture. Il n'y a plus de grands comme Monsieur Hubert de Givenchy, Monsieur Yves Saint Laurent ou Karl Lagerfeld. Maintenant, ce sont des équipes : il y a une personne qui est mise en valeur, mais il y a 36 personnes qui travaillent autour d'elles, qui donnent leur avis. Moi, j'aimais m'adresser directement au couturier, à la personne qui créait le modèle.
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