Séquence émotion à la Paris Fashion Week : la créatrice ukrainienne Lilia Litkovskaya défile à nouveau, l'espoir chevillé au corps
La créatrice ukrainienne Lilia Litkovskaya - qui a fui Kiev en Ukraine le 24 février, jour de l’invasion russe - a de nouveau défilé dans le calendrier de la Paris Fashion Week. Interview.
Seule créatrice ukrainienne à se rendre, en mars, à la Paris Fashion Week, Lilia Litkovskaya a fui Kiev en Ukraine le 24 février 2022, jour de l’invasion russe. Ne pouvant présenter sa collection automne-hiver 2022-23 lors la semaine de la mode, elle propose alors une installation au salon de mode Tranoi. Réfugiée à Paris, elle est, en avril, à l'initiative d'un pop-up store caritatif éphémère réunissant des designers de la mode ukrainienne.
Nous l'avions rencontrée une première fois à ce moment-là. Elle affirmait alors qu'elle continuerait à travailler sur sa marque, nous indiquant même : "Dans les jours qui viennent, je repars à l'ouest de l'Ukraine où j'ai une partie de ma production."
Dans le calendrier depuis 2017
Lilia Litkovskaya défile dans le calendrier de la Paris Fashion Week depuis 2017. Sa marque éponyme a été fondée en 2009 à Kiev en Ukraine. Elle est issue d'une famille qui a vu quatre générations travailler le vêtement - ses grands-parents faisaient de la couture et son oncle avait un atelier de production de vêtements militaires à Boutcha dont sa famille est originaire et où elle a été à l’école.
Ses vêtements offrent un mélange de tradition et d'innovation avec un vestiaire aux formes masculines portées sur des épaules féminines. Son credo : des vêtements qui révèlent ce que pense celui qui les porte en transmettant, sans hurler, un message. Sa devise : There is no wrong side ("Il n'y a pas de mauvais côté"). Les vêtements de la créatrice sont effectivement aussi soignés à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le 29 septembre, Lilia Litkovskaya a présenté dans le cadre du calendrier de la PFW sa collection printemps-été 2023, près d'un manège dans le jardin des Tuileries. Le défilé était accompagné de chants ukrainiens traditionnels. Nous y étions et ce fut l'occasion de faire le point avec la créatrice sur les six derniers mois passés.
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Franceinfo culture : Quand nous nous sommes rencontrées en avril dernier, vous alliez repartir en Ukraine.
Lilia Litkovskaya : Oui, effectivement, après notre rencontre, je suis rentrée en Ukraine où j'ai tout fait pour remettre en route la production et nous sommes revenus à Kiev fin mai/début juin. Toute l'équipe est désormais réunie et on a même embauché : je suis fière d'avoir du travail et de pouvoir en donner aux autres. Depuis, je vais en Ukraine très régulièrement mais ma famille est, ici, en France.
Dans quelles conditions avez-vous conçu cette collection printemps-été 2023 ? Avant de commencer à travailler sur ma collection, j'ai ressenti le besoin urgent de revenir en Ukraine et tout particulièrement dans la région des Carpates, que je connaissais assez bien pour y avoir voyagé enfant. Une sorte d'expédition de recherche de quatre jours avec mon bras droit. Dans les villages de montagnes, j'ai rencontré des gens qui font de l'artisanat (des bougeoirs, de la céramique....). Je voyais partout cette culture ukrainienne, on m'a parlé de traditions et de rites. C'est comme cela que je me suis préparée pour la création de ma collection.
Dans une vidéo où j'évoque le travail artisanal (ci-dessous), je me pose toujours la question : qui suis-je ? Je suis plutôt mer ou montagne ? Je réponds toujours montagne. Je savais que j'allais y trouver l'inspiration. Je ressens une sorte de force spirituelle là-bas avec ce passé chargé de traditions culturelles, non seulement ukrainiennes mais aussi des peuples précédents. Ce voyage, c'était comme se charger en énergie, en inspiration, en idées.
Avez-vous travaillé à distance avec vos équipes ? Après ce voyage, je suis restée longtemps à Kiev puis je suis revenue à Paris. C'est une collection qui s'est créée toute seule : on n'a pas cherché des idées, elles venaient tout de suite. À chaque essayage, on en avait de nouvelles. Rarement dans mon expérience, je n'ai eu de collection aussi fluide, aussi facile.
Intitulée Vesnianka, du nom d’une chanson traditionnelle, cette collection célèbre les savoir-faire ukrainiens. C'est aussi un l’appel à la renaissance du pays ? En Ukraine, avant le christianisme, il y avait des traditions de chansons rituelles avant l'arrivée du printemps pour demander au Dieu les fruits de notre terre nourricière. La chanson Vesnianka demande au printemps de venir, mais ici c'est un appel à la paix.
Viltse, l'ensemble vocal, qui a accompagné mon défilé, est originaire de Kiev. Ce qui est étonnant, c'est que ces filles très jeunes ont des voix de femmes matures. Elles n'ont pas appris à chanter, leur art vient de leur famille (leur maman, leur grand-mère ou arrière grand-mère chantait). Chez nous, elles sont invitées régulièrement à accompagner les fêtes traditionnelles car elles détiennent une forme de savoir qui ne vient pas des livres mais de la pratique, du peuple.
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Comment s'est fait le choix du défilé autour d'un manège dans le jardin des Tuileries ? Je n'avais jamais fait de défilé en extérieur, c'était un défi pour moi... par nature, je cherche le défi. Peut-être, en fait, j'avais besoin de cette force de la nature, du ciel, des arbres, des couleurs de l'automne pour transmettre le message de ce rituel, d'appeler le printemps qui a été volé. Il y a eu un instant magique quand le soleil est apparu juste au moment du show comme un instant d'espoir. Ce que vit l'Ukraine aujourd'hui, c'est peut-être une épreuve que le pays doit passer pour aller vers un renouveau.
Quelles sont les pièces les plus emblématiques de la collection ? Ce sont surtout les pièces de ma collection artisanale, complètement créées à la main, dans lesquelles je mets un sens plus particulier : les co-créateurs de ces vêtements, ce sont les gens qui vivent dans les montagnes et qui ont cette connexion avec la nature immense permettent de la faire transparaître dans les grandes villes.
Quels sont les éléments traditionnels spécifiques dans votre collection ? Il y a beaucoup d'éléments tissés, dont des franges nouées d'une manière particulière qui sont inspirées d'une sorte de serviette brodée entourant les icônes comme celle que j'avais chez moi et qui avait plus de 100 ans. J'ai trouvé des femmes qui ont pu recréer ces franges. Il y a aussi beaucoup de visages de petits bonshommes : en broderies sur les manches, en pendentifs en bois... Dans les Carpates, il y a une tradition de bougeoirs ajourés en bois sur lesquels on réalise des visages. C'est un moyen de parler de ces gens.
Quels sont vos projets ? Je n'ai qu'un seul rêve, que la guerre soit terminée et que la paix revienne. Je pense que ceux qui ont de la force aujourd'hui doivent soutenir ceux qui sont fatigués. Je ne peux pas faire de projets mais après le défilé d'aujourd'hui, oui, en fait, j'ai l'espoir de refaire un défilé.
L'essentiel, c'est que la vie continue : ma fille a fait sa rentrée à l'école maternelle, je suis déterminée à travailler à Kiev, à développer ma marque. Il faut continuer de se battre.
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