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Mes goûts et mes couleurs : Olivier Lapidus très inspiré par l'ADN de Lanvin
Homme d'innovations, Olivier Lapidus est, depuis juillet, le nouveau directeur artistique de Lanvin, la plus ancienne maison de couture parisienne en activité. Rencontre, cet été, avec ce créateur français, zen mais en pleine préparation de sa première collection printemps-été 2018 pour la griffe. RDV ce 27 septembre pour son premier show Lanvin sur les podiums de la Paris Fashion Week.
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Quelle est la pièce préférée de votre prochaine collection ?
"C'est une pièce fondamentale, tirée de l'ADN de Lanvin (de 1964), dans laquelle je me retrouve plus d'un demi-siècle après. Il y a un travail de manches, un dos incroyable, un décolleté en pointe, des détails, une structure... c'est cet ADN que je veux utiliser en puisant dans la vie, dans la modernité de Jeanne Lanvin. Son sens contemporain m'étonne. C'est une femme qui a créée pour la première fois, en 1923, un univers lifestyle. C'est une pionnière : elle préfigurait ce que l'on nous demande aujourdhui de faire en tant que créateur, c'est-à-dire différentes choses. Cette robe, avec des manches longues, tire son inspiration du théâtre Kabuki et du No. Elle m'évoque aussi le livre "Éloge de l'ombre", un essai sur l'esthétique japonaise de l'écrivain japonais Junichirō Tanizaki. La sophistication japonaise entre ombre et lumière, une fascination pour l'Orient qui ne quittera jamais Jeanne Lanvin et que je comprends : moi aussi j'ai passé 4 ans au Japon".Quel couturier vous a marqué au cours de votre carrière ?
"Balenciaga. Tout comme Jeanne Lanvin, il inventait. Il fut à l'origine du satin cuir, de la zibeline (entre faille et satin) et lui aussi travaillait sur la structure, l'architecture du vêtement, la pureté, tout l'inverse de la vulgarité". "Mais aussi Ted Lapidus" rajoute le couturier avant de souligner : "Il a créé des vestes d'hommes pour les femmes et des sahariennes, à l'instar de l'armée anglaise dont parle Karen Blixen dans "Out of Africa". Il avait a utilisé le mot unisexe mais n'en était pas l'inventeur : c'est le biologiste Adanson dans les années 50 qui l'évoquait en parlant d'une fleur ou d'un insecte".Quel est le dernier livre lu ?
"Je picore. Je lis plusieurs choses à la fois. J'ai relu "Mythologies" de Roland Barthes mais aussi des dictionnaires de synonymes et plus récemment un livre que j'adore "Le monde d'hier" de Stefan Zveig. La relecture est différente dans le temps, comme quand on revient dans un lieu aimé pour le revoir différemment. Il fait laisser une marge de temps à la mémoire pour stocker, oublier et avoir, ensuite, une nouvelle émotion, une nouvelle découverte. C'est comme pour la mode si tout a été créée, il faut savoir tout recréer".Quelle est la dernière exposition vue ?
"A la Fondation Vuitton, j'ai vu la collection de Serguei Chtchoukine. Une grande émotion. J'ai aussi revu le musée Picasso. Ma prochaine exposition : Christian Dior; couturier du rêve".Quel est le dernier coup cœur musical ?
"L'album "Abbey Road" des Beatles qui m'évoque un souvenir : en 1969, le leader des Beatles John Lennon a commandé un costume à mon père Ted Lapidus pour la couverture de l'album Abbey Road. Quand il s'est marié avec Yoko Ono, il porte ce blazer blanc avec pantalon pattes d'éph. Je me souviens de ces artistes que j'ai croisé enfant et qui m'ont donné le goût de la musique et des arts".Le couturier s'empresse de rajouter : "Mon autre coup de coeur musical, c'est la musique de ma femme Yara. A la maison, on vit entre musique et dessins de mode. Il faut écoutez "One thing nothing" de Yara Lapidus et Gabriel Yared, qui a reçu aux USA le prix innovation google.
Une première collection été 2018 qui puise dans l'ADN maison
Sa première collection pour Lanvin est celle du prêt-à-porter féminin printemps-été 2018 présentée le 27 septembre. Nommé en juillet, Olivier Lapidus remplace Bouchra Jarrar, qui avait pris le poste de directrice artistique en 2016."Je suis entré dans une vraie maison avec des ateliers à Paris et le sentiment que ce n'est pas une société qui se conduit mais se pilote avec de bonnes opérations à prendre et un challenge économique à considérer" indique le couturier avant de rajouter "Ce sera un défilé orienté vers l'ADN maison avec une mise en avant de Jeanne Lanvin. C'est avec Jeanne Lanvin que je crée. Ce sera une collection ultra contemporaine comme elle l'était Jeanne Lanvin. Une femme en avance sur son temps. Une partie de sa création, c'était des intemporels. Et retravailler les intemporels me plait beaucoup. Les matériaux sont naturels : soie, daim très fin (que mon père appelait la chamoisette) qui ressemble à un crêpe de soie. Pour les couleurs : son bleu "un morceau de ciel trempé dans un champ de lavande".
"La technologie interviendra dans l'utilisation de nouveaux matériaux certes mais pas de robes qui s'allument !" affirme-t-il. "J'ai travaillé sur les archives en répertoriant les grandes familles de la mythologie Lanvin : robes-bijoux, travail des dos, des manches et des festons et tout ce qu'elle affectionnait : le trèfle, l'obi et autres nœuds. Et aussi l'immatériel. Je constate que nous avons des points en commun à plus d'un siècle de distance. Ainsi dans son bureau - qui est resté intact depuis 1946 au 22, rue du Faubourg Saint-Honoré - j'ai vu ses derniers livres, ses dernières archives ainsi qu'une boîte posée sur une table dont le pas de rainure m'a inspiré des surpiqures et des motifs pour la collection à venir. C'est une ambiance dont je me suis nourri, qui m'a marqué comme une parenthèse suspendue dans le temps".
Création Olivier Lapidus, sa maison de couture digitale
En juillet 2017, le créateur a lancé sa maison de couture digitale. Avec Création Olivier Lapidus, il offre, tout au long de l'année, sur le principe du "see now, buy now", un défilé sous forme d'un web-film. Ses premières collections sont faites de robes de soie, ornées de broderies, de dentelles, au style intemporel, inspiré par sa mère, ancien mannequin. Il conserve cette activité en parallèle de Lanvin. "Ma maison de couture reste un laboratoire d'innovation et de création. C'est une fenêtre ouverte sur les ateliers et les savoir-faire français. C'est l'humain à travers internet. Je fais des robes au fil des demandes".Olivier Lapidus prônait dès les années 1990 le mariage entre haute couture, artisanat et laboratoires de recherche industrielle. Pionnier, il concevait alors robes à panneaux solaires, en fibres de fruits ou en poussière de pierres précieuses. Petit-fils d'un tailleur russe émigré, il est le fils de Ted Lapidus qui a marqué les années 1960 et 1970 avec sa mode unisexe et le style safari. Diplômé de la Chambre syndicale de la couture parisienne, il a été pendant onze ans directeur artistique de la maison Lapidus jusqu'à l'arrêt de l'activité haute couture en 2000. Parti vivre en Chine, il est revenu en France en 2003, où il a dessiné des objets, du mobilier, des matériaux lumineux, des lunettes et travaillé pour Pronuptia et conçu un hôtel.
Lanvin, plus ancienne maison de couture française en activité
Lanvin est la plus ancienne maison de couture française encore en activité. Jeanne Lanvin (1867-1946) "a toujours été comprimée entre Madeleine Vionnet qui était très virtuose, Elsa Schiaparelli qui était l'artiste, Chanel qui était très médiatique", avait expliqué Olivier Saillard lors de l'exposition qui lui avait été consacrée en 2015. "On a rangé Lanvin du côté de la grande discrétion, voire même d'une couturière de clientes, un terme pas très flatteur. Or elle est bien plus que ça !" précisait alors le directeur du Palais Galliera, Musée de la mode de Paris.Elle débute comme modiste en 1885. Dès 1889, elle ouvre une boutique "Lanvin (Melle Jeanne) Modes" avant d’obtenir son pas de porte en 1893. En 1897 nait sa fille, Marguerite, qui devient sa première source d’inspiration, sa muse... Elle entrevoit un nouvel horizon en 1908 : le vêtement d’enfant. Elle crée, en 1909, un département jeune fille et femme. Elle adhère au Syndicat de la couture et entre dans le monde fermé des maisons de couture. Suivent les départements mariée, lingerie, fourrure et dès les années 1920, la décoration et le sport... En 1926, la femme d’affaires part à l’assaut de la mode masculine. Le bleu Quattrocento ravi à Fra Angelico devient sa couleur fétiche. Pour les trente ans de sa fille, elle compose le parfum Arpège en 1927.
"Elle ne cousait pas, ne coupait pas, ne dessinait pas mais elle avait un goût très sûr. Elle a imposé un lifestyle", commentait Olivier Saillard. Jeanne Lanvin n’aura de cesse de cultiver sa curiosité pour créer ses tissus, motifs et couleurs exclusifs. Son ADN : l’art de la matière et de la transparence, des broderies, des surpiqûres entrecroisées, des spirales, des découpes. Un classicisme à la française avec des robes de style XVIIIe - buste affiné, taille basse, jupe gonflée dialoguant avec la ligne tube de l’Art Déco, ses géométries en noir et blanc, ses profusions de rubans, cristaux, perles et fils de soie...
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