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Au Musée des Arts Décoratifs, retour sur ces années fécondes où l'avant-gardiste Margiela créait pour Hermès

L’exposition "Margiela, les années Hermès" - présentée en 2017 au Musée de la Mode d’Anvers en collaboration avec le mystérieux créateur - est le 2nd volet de la Saison Margiela 2018. Dans la foulée de la rétrospective à Galliera, elle met en lumière la collaboration surprenante et féconde entre Hermès et l'avant-gardiste belge de 1997 à 2003. Matière à réflexion jusqu’au 2 septembre au MAD.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Expo "Margiela, les années Hermès" : à droite Margiela, à gauche Hermès..
 (Corinne Jeammet)

Cet hommage au créateur sans visage, qui n'a jamais accepté d'interview mais a bouleversé la conception de la mode, permet de découvrir pour la première fois en France les collections de prêt-à-porter féminin qu’il a dessinées pour la maison de luxe Hermès en regard de ses propres créations avant-gardistes sous sa marque éponyme. Entre déconstruction novatrice et luxe intemporel, 120 silhouettes accessoirisées dialoguent entre elles. 

Expo "Margiela, les années Hermès" : visuel de l'affiche
 (Photo MoMu Anvers, Stany Dedern - Graphisme Jelle Jespers)

Le blanc Margiela répond à l'orange d'Hermès

La scénographie signée Bob Verhelst, qui a collaboré à l'ouverture du MoMu d'Anvers, est basée sur l'idée de couleurs : l'orange pour Hermès, le blanc pour Margiela, les couleurs fétiches des deux maisons. Dès l'entrée le visiteur distingue bien les volets de ce dyptique car la collision entre ces deux mondes est bien marquée : les vêtements (qui se télescopent dans une liberté totale) sont disposés sur ce damier asymétrique ce qui permet aisément au visiteur de repérer les collections de chacune des maisons. Sur deux étages, l'exposition très aérée permet à chacun de prendre le temps de contempler la sélection de vêtements, de regarder et d'écouter les bandes sonores. L'exposition présentée au Musée de la Mode d’Anvers en 2017 a été repensée pour le MAD. 

Expo "Margiela, les années Hermès" : à droite twin-set en laine (ah 1994-95) reproduction grandeur nature d'une garde-robe de poiupée Margiela, à gauche twin-set à manches chauve-souris en cachemire et alpaga Hermès (ah 2003-2004)
 (Corinne Jeammet)

Margiela chez Hermès, un choix osé

Lorsqu’en 1997, Jean-Louis Dumas, alors président et directeur artistique d’Hermès, demande à Martin Margiela de dessiner le prêt-à-porter femme, ce dernier est considéré depuis près d’une décennie comme l’une des figures avant-gardistes les plus influentes. Il s’agit alors d’un choix audacieux, en rupture avec les tendances de l’univers de la mode, plus enclin à engager des stylistes stars. La maison Hermès crée donc la surprise en faisant appel à ce créateur dont personne ou presque ne connait même le visage (il n’a jamais accordé d’interview).
Pour les collections Hermès, Martin Margiela imagine un cops souple sans taille marquée, avec une épaule naturelle sans épaulettes. Il dessine une silhouette épurée. Dans ses propres modèles, il présente une silhouette ajustée à carrure étriquée dans laquelle le rembourrage soulighne la ligne d'épaules. 
 (Corinne Jeammet)
De 1997 à 2003, accompagné par l’expertise du studio et des ateliers de la maison Hermès, Martin Margiela instille à travers douze collections sa vision d’un luxe contemporain.

L’anonymat, marque de fabrique de Martin Margiela

L’un des créateurs le plus atypique et mystérieux de sa génération, Martin Margiela fait partie des rares stylistes à avoir radicalement bousculé et renouvelé l’univers de la mode. Après avoir fondé sa marque sous l’appellation Maison Martin Margiela, en 1988, il décide, dès ses débuts, de faire de l’anonymat l’une de ses caractéristiques essentielles refusant de faire apparaitre son nom sur ses créations dont l’étiquette blanche cousue par 4 points devint le signe de reconnaissance. Le fameux blanc de Meudon est choisi comme signature et tout son personnel est vêtu d’une même blouse immaculée.
Expo "Margiela, les années Hermès" : veste smoking surdimentionnée (oversize) en fibre synthétique garnie de facettes miroir de boule disco Margiela printemps-été 2009
 (Corinne Jeammet)
Des lors, Martin Margiela développe un travail à contrecourant d’une époque de logomania et de standardisation, qui s’esquisse alors. Il surprend avec ses coupes construites-déconstruites, ses volumes oversize, ses matières recyclées ou ses tissus monochromes qui soulignent l’aspect artisanal de ses créations.

Margiela-Hermès, 2 styles distincts

Confort, intemporalité, sensualité et authenticité sont les mots définissant sa vision de la femme Hermès associée à un style épuré. La nouvelle palette de couleurs sobres et monochromes que Martin Margiela impose s’éloigne de l’univers coloré des imprimés Hermès et suscite, à l'époque, l’étonnement de la presse.
Expo "Margiela, les années Hermès" : à gauche modèles en cuir Hermès (ah 2000-2001), à droite Margiela (perfecto oversize) en cuir veilli artificiellement sur une robe surdimensionnée en soie artificielle ah 2000-2001
 (Corinne Jeammet)
Dès l’entrée de l’exposition, le visiteur découvre deux styles distincts qui amorcent un dialogue entre les vêtements que Martin Margiela a créé pour Hermès et ceux qu’il a réalisés pour sa propre maison. C'est une succession de 100 silhouettes, de photographies et de vidéos selon un parcours ou se répondent l’orange de la maison Hermès et le blanc de la Maison Martin Margiela. La découverte de son processus créatif se fait, sans confusion, entre les deux maisons et chacun de leurs codes. Des vidéos mettent en scène des femmes qui ont défilé pour lui il y a une vingtaine d’années. Le créateur préfère les femmes naturelles et les sélectionne âgées de 25 à 65 ans, choix assez rare dans un monde de la mode où la jeunesse est tant prisée ! 
Expo "Margiela, les années Hermès" : à gauche manteau en fourrure synthétique ah 1990-1991 Margiela, à droite modèles Hermès ah 2001-2202
 (Corinne Jeammet)
Conceptuel, subversif, Martin Margiela a remis en cause le système de la mode à la fin des années 1980 et ses créations laissent encore de nos jours leur empreinte dans l’univers de la mode contemporaine. Il prône une silhouette avant-gardiste basée sur la déconstruction, le recyclage et la récupération des matières (la réalisation en plusieurs tailles des pièces recyclées) permet de dépasser le caractère unique et limité du vintage. Chez Hermès, son goût pour le vintage s'exprime par exemple par des idées rétro : il fait usage de longs gants de cuir, de manchons-sacs ou d'étoles à poches. Il introduit aussi une épure de la coupe et des couleurs s’appuyant sur les matières d’exception du sellier parisien.

C’est la première fois que le MAD s’intéresse à un fait majeur de l’histoire de la mode, quand un créateur se dédouble entre sa collaboration pour d’autres maisons et la sienne.

Dialogue entre le directeur du MAD et la commissaire de l’exposition

Olivier Gabet : comment définis-tu le travail de Martin et ce qu'il représente à tes yeux par rapport à la mode contemporaine ? 

Marie-Sophie Carron de la Carrière : la question fondamentale de son travail est celle de la déconstruction. De manière très pensée, il analyse le vêtement, le démonte, le met à nu puis le recompose jusqu'à ce qu'il devienne un objet de création chargé de sens. 

Olivier Gabet : qu’est-ce que tu dirais du regard de Martin sur cette partie de sa vie et de son travail, et sur le fait de l’incarner dans une exposition dans un musée à Paris aujourd’hui ?

Marie-Sophie Carron de la Carrière : le paradoxe de ce créateur mystérieux, qui refuse d’apparaître dans les médias, est qu’il fait aujourd’hui l’objet de deux expositions simultanées dans deux institutions parisiennes (NDLR : l'exposition "Margiela Galliera 1989/2009" au Palais Galliera et l’exposition "Margiela, les années Hermès" au MAD). C’est une situation inédite. Alors que Margiela est retiré de la mode depuis dix ans, il éprouve peut-être la nécessité d’exposer son travail et de dire : "Voilà ce que j’ai fait !". La dernière salle de l’exposition porte le titre "The End". Martin Margiela désire qu’elle soit perçue comme une fin joyeuse car ouverte sur d’autres promesses.

Oliver Gabet : Jusqu’à maîtriser la fin.


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