"VHS Story" : Lucas Balbo fait revivre la K7 VHS dans un ouvrage archi-documenté
L’historien et documentaliste de cinéma remonte aux origines d’une révolution technologique, économique et culturelle.
Documentaliste et historien du cinéma, Lucas Balbo parle aux quinquas-sexas qui ont connu pour la première fois la joie de voir un film de leur choix, quand ils le voulaient, grâce à la révolution vidéo des années 80. Une révolution qui avait pour acronyme VHS, et pour nom de code vidéo-club. Un nouveau moyen de "consommer" un bien culturel, mais aussi un nouvel art de vivre, avec ses rituels, sa presse, ses éditeurs, son marché…
L’auteur explore avec force analyses, interviews et une riche illustration le derrière de la toile : l'histoire d'un nouveau média, les éditeurs et la profession. Une mine sur un sujet inexploré et original qui fait office d’acte historique. Lucas Balbo a répondu à nos questions sur cette aventure technologique, économique et culturelle qui nous reporte 40 ans en arrière.
Franceinfo Culture : L’âge d’or de la VHS date des années 80, il y a plus de 40 ans, qu’est-ce qui justifie de revenir sur cette histoire ?
Lucas Balbo : La VHS est un format obsolète, c’est sûr. Mais il est rattaché à la dernière génération de cinéphiles qui, pour beaucoup, ont créé leur cinéphilie en voyant des films en VHS, en passant par les vidéo-clubs, ou en enregistrant des films à la télévision grâce à leur magnétoscope. En écrivant ce livre, j’ai pensé aussi au revival des vinyles récemment. Bien sûr la VHS ne va pas connaître un tel retour, le système n’est pas assez performant en qualité d’images et de conservation des copies. Mon objectif était de donner un coup de projecteur sur une technologie, un marché et un bien culturel qui a été historiquement important dans la diffusion du cinéma, un maillon essentiel qui est à l’origine des DVD/Blu-Ray d’aujourd’hui, et qui sont à leur tour supplantés par les plateformes de streaming. C’est un moment important et je ne voulais pas qu’on l’oublie, les choses vont si vite. Je me suis aperçu qu’il n’y avait rien d'écrit là-dessus et j’ai pensé qu’il fallait combler ce vide.
Vous faites appel dans l’ouvrage à de nombreux collectionneurs de VHS, et on trouve des forums dédiés au sujet. Quel est l’intérêt d’une telle collectionnite ?
D’une part, il y a une offre plus grande en VHS qu’en DVD/Blu-Ray, ou sur les plateformes en ligne. Car ils n’éditent ou ne diffusent que des films récents, des cinq-dix dernières années maxi, ce qui ne comble pas une certaine cinéphilie, comme les amateurs de série B, qui trouvent dans la VHS leur refuge. Beaucoup de films n’ont pas été réédités. Le flou juridique sur les droits des films à la naissance du marché a laissé libre cours à des pratiques qui ne sont plus possibles aujourd’hui. On ne peut plus sortir un film, comme ça, à la sauvette. La protection des droits s’est considérablement renforcée. Il y a donc aujourd’hui des films impossibles à voir, parce que les ayants-droit sont introuvables, injoignables ou morts, que sais-je.
Comment a évolué le marché de 1980 à sa fin dans les années 90 ?
L’avantage de la VHS était que la duplication n’était pas chère. Une fois le master édité, le coût de sa reproduction à 50 ou 100 exemplaires était le même. Au départ de la VHS, le système était la location. Il y avait des indépendants et des chaînes de vidéo-clubs qui les supplenteront. Les cassettes étaient vendues aux vidéo-clubs, et seulement eux, entre 800 et 1 500 francs, à l’époque, ce qui était rentable avec le nombre de locations. Mais quand, au début des années 90, on est passé à un marché de grande duplication, avec des ventes en supermarchés, les prix sont tombés à 10-15 francs, ce qui a entraîné la chute du marché. C’est à cet âge d’or qu’est consacré le livre, de 1980 à 1995 environ. Après, c’est 1999 avec l’arrivée du DVD, et c’est fini.
Vous avez répertorié de nombreux petits éditeurs, et on s’aperçoit que les Disney, Gaumont et autres majors sont venus tardivement sur le marché.
Les grosses machines étaient frileuses au début, elles n’avaient pas confiance et avaient leur propre réseau de cinémas à défendre en priorité. Toute la chaîne de production leur appartenait, de la réalisation à la distribution. Il se sont contraints à partir d’un moment à vendre des titres de leur catalogue à des éditeurs, sans s'occuper de la gestion. Voyant le succès, les majors s’y sont mises. Mais cette absence a pu avoir des conséquences inattendues. L’absence de Disney au début de la VHS, par exemple, a créé une carence de programmes d’animation sur le marché. Un petit malin a eu l’idée d’aller voir ce qui se faisait au Japon, et a importé les premiers "japanimés" en France. Il a créé ainsi une génération biberonnée à Goldorak et autres, ce qui nous vaut aujourd’hui la culture manga en France.
Y a-t-il une forme de nostalgie à revenir sur la VHS aujourd’hui ?
Je n’ai pas fait ce livre par nostalgie. Car j’ai acquis tardivement mon premier magnétoscope en 1992-94. Les années 80, l’âge d’or de la VHS, moi, je les ai passées au cinéma, étant à Paris. Pas au vidéo-club. Je n’en ai donc pas la nostalgie. Par contre, c’est sûr qu’ailleurs, c’était le seul moyen d’avoir accès à beaucoup de films. La valeur ajoutée était aussi qu’on pouvait les voir quand on voulait. Le but du livre était de faire un historique, avec des entretiens des gens du métier, et de faire un inventaire des éditeurs en restant très factuel sur leur histoire. Comment ils naissaient, qui était derrière, leur catalogue, comment ils ont disparu…
Comment avez-vous réuni autant de témoignages de personnalités pour alimenter le livre, comment avez-vous mené l’enquête ?
Etant documentaliste et conseiller sur la chaîne des droits, mais avant tout cinéphile, et ayant été amené à côtoyer beaucoup de gens du milieu, j’ai pu voir le métier de l’intérieur, avoir un carnet d’adresses et apprendre les arcanes de la profession sur toute la chaîne, notamment du point de vue des droits. De la création, à la vente en passant par les auteurs. Des gens ont refusé de parler, parce que parfois des choses se sont passées à la limite de la légalité. Des micro-éditeurs manquent à l’appel, faute de contacts, mais je commence à avoir des pistes, et j’entrevois déjà de faire un second tome.
Mais qui étaient les personnes qui se lançaient comme éditeurs vidéo ?
C’est le fond de mon sujet. A l’époque, c’était la ruée vers l’or. Il y avait des purs commerçants, d’autres qui avaient des catalogues de films, qui sont donc passés du cinéma à la vidéo, et certains se sont retrouvés là totalement par hasard. Comme le cinéma constitue un cercle fermé, très corporatiste, la distribution de vidéos permettait d'être dans le milieu sans faire partie du sérail. Tu achetais le film, tu le faisais dupliquer et tu le vendais. A tel point que le CNC a mis son holà en créant la chronologie des médias qui revient régulièrement sur le tapis. Mais au départ c’était le Far-West, avec des chasseurs de primes. Et plus d’un s’est approprié tel film sans se demander qui était le producteur, le réalisateur, les ayants-droit etc… C’est ce que j’ai voulu retracer, tout en laissant le jugement au lecteur sur de telles pratiques.
L'arrivée tardive des majors sur le marché a pris le pas sur des aventuriers et a écrasé tous les petits éditeurs, ça a été le rouleau compresseur. Puis est arrivé des Etats-Unis le profit-sharing qui consiste à non plus vendre les K7 aux vidéo-clubs, mais à se partager le prix de la location entre le distributeur et le magasin, avec un nombre illimité d’unités à disposition, ce qui a permis d’arroser à très grande échelle le marché. C’est ce qui a éliminé le tissu des vidéo-clubs de quartier qui florissaient partout en France. Puis est arrivée la vente directe.
Vous abordez aussi d’autres aspects, comme la presse vidéo qui était riche.
Oui, c’était parfois orienté érotisme, ce marché étant très florissant suite à la fermeture des salles spécialisées. Mais il y avait aussi des magazines consacrés aux jaquettes à découper pour les étuis destinés aux films que l’on enregistrait, et qui constituaient l’équivalent de couvertures de livres. L’idée était de se constituer une vidéothèque comme une bibliothèque.
L’objet avait donc son importance, notamment par les jaquettes. Vous interviewez l’illustrateur Laurent Melki qui est devenu une légende dans son domaine.
Aujourd’hui ce marché a disparu, mais il continue son travail d’illustrateur. Son truc, c’est toujours le travail à l’ancienne, au pinceau, pas sur ordi, et il rejette tout montage photo. Il a des clients fidèles, comme Bouglione, avec une cote d’amour incroyable. Pour ses jaquettes, il savait qu’il fallait frapper le chaland avec des images choc. Il rassemblait des moments spectaculaires du film, les extrapolait, comme le faisaient les affichistes de cinéma jusque dans les années 70. Les films qu’il illustrait était souvent moyens, voire médiocres, et il survendait le truc. Il en a subi l’effet boomerang, les clients s’apercevant à la longue qu’on ne trouverait pas à l’intérieur ce qui était à l’affiche. C’est l’alchimie du commerce et de l’art.
Qu’est-ce qui vous donne envie aujourd’hui de regarder une VHS ?
Les films disparus, qui ne sont pas sortis en DVD/Blu-Ray ou sur les plateformes. Ce qui est moins le cas aux Etats-Unis, la législation des droits étant plus souple là-bas, beaucoup plus de titres y sont accessibles. Mais je peux avoir recours aux K7 parce que cela est parfois le seul moyen de voir un film "invisible", et j’en fais une copie de sécurité. Par exemple pour les films étrangers doublés en français. Aujourd’hui on refait facilement un doublage, ce qui a un sacré coût pour un résultat souvent moins bon que l’original. Et c’est aussi une partie du patrimoine. Il y a des voix françaises formidables qu’on ne retrouve que là. Si la qualité image n’aura jamais celle d’un DVD ou d’un Blu-Ray, j’ai ainsi la trace du premier doublage. Là, par exemple, je viens de trouver le premier doublage français du Magicien d’Oz (1939). Il y a des différences de traduction, avec des parties plus ou moins censurées, et réinterprétées dans le doublage postérieur au premier, comme une actualisation. On peut aussi constater des différences entre le sous-titrage et la VF. Pour moi, ce sont des documents. C’est un patrimoine qui peut disparaître faute d’archivage par les ayants-droit, tous privés. Aussi, certaines VHS peuvent être les derniers témoignages donnant accès à des informations sur les films.
VHS Story - L'Age d'or de la VHS en France
Lucas Balbo
Avec la collaboration de Merrill Aldighieri et Laurent Chollet
Editions Lucas Balbo
Relié, très illustré, 192 pages
30 euros
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