Un recueil inédit de missives de Marcel Proust lève un voile sur un aspect méconnu de la vie de l'écrivain
"Lettres à Horace Finaly" est un recueil de vingt missives inédites de Marcel Proust qui paraît jeudi 9 juin aux éditions Gallimard. Un personnage méconnu de la vie du célèbre auteur y apparaît.
Même les plus grands écrivains ont de mauvaises relations. Dans "Lettres à Horace Finaly", un recueil de vingt missives inédites de Marcel Proust qui paraît jeudi 9 juin aux éditions Gallimard, une anecdote méconnue de la vie du célèbre écrivain est narrée. Pendant plusieurs années, l'auteur d'A la recherche du temps perdu avait accueilli chez lui un encombrant hôte suisse dénommé Henri Rochat. C'est ce que raconte Marcel Proust à son ami Horace Finaly, un ancien condisciple devenu financier.
Ce Finaly fut l'un des maîtres de la finance française à la Belle Epoque et dans l'Entre-deux-guerres, dirigeant la Banque de Paris et des Pays-Bas (aujourd'hui BNP Paribas). Il avait étudié avec Proust dans l'un des meilleurs lycées de Paris, Condorcet.
Un hôte suisse qui dépense l'argent de Proust
Henri Rochat, en revanche, resta toute sa vie dans l'ombre. Sa date de naissance n'est pas connue. Cet immigré à Paris, "serveur au Ritz lorsque Proust le remarque en 1917", est "sans doute natif de la vallée de Joux, dans le canton de Vaud" et le massif du Jura, à quelques kilomètres de la frontière française, décrit dans l'introduction l'écrivain Thierry Laget, spécialiste de Proust.
Le romancier a l'idée de le faire emménager chez lui, en 1918, "croyant d'une part qu'il resterait quelques semaines seulement, d'autre part qu'il pourrait (lui) servir de secrétaire", écrit-il à Horace Finaly. Mal lui en prit: Henri Rochat n'a pas la compétence. Et non content de s'accrocher au logement gratuit pendant près de trois ans, il dépensera à tort et à travers l'argent de son hôte.
"On ne s'y attendait pas du tout. Quand on me les a montrées, j'étais émerveillé"
Thierry Laget, spécialiste de Proust
On connaîtrait mal ce psychodrame sans les lettres à Finaly. Celles-ci refont surface à l'occasion d'une vente aux enchères en France en juin 2021, à la maison Aguttes. La Société des hôtels littéraires achète alors, pour 78.000 euros, ces lettres dans un volume qui avait été relié avec soin par la famille. "On ne s'y attendait pas du tout. Quand on me les a montrées, j'étais émerveillé", affirme Thierry Laget à l'AFP.
Une excursion de Proust en Angleterre
Elles recèlent un autre scoop: les deux correspondants sont allés ensemble dans leur jeunesse à Douvres, seule incursion connue en Angleterre pour l'écrivain. À lire Proust, on comprend combien Horace Finaly est d'une aide précieuse pour le débarrasser d'un homme qui profite de ses largesses. "S'ennuyant chez moi, il a, à deux ou trois reprises, fait de petites 'fugues' où il a malheureusement perdu non seulement l'embonpoint qu'il avait gagné à la maison, mais aussi tout l'argent que je lui avais donné, qui ferait aujourd'hui une petite fortune (presque équivalente à la mienne), et qu'il a généreusement distribué à des 'poules'", se désole le romancier, effaré par ses factures chez le tailleur.
"Ça le rapproche d'Albertine, qui se fait offrir des robes et autres vêtements de luxe", explique Thierry Laget, en référence à l'un des personnages centraux de la suite romanesque de Proust. "Il dépense beaucoup plus que Proust lui-même. C'était un dandy, qui ne lui a pas apporté autre chose que cette inspiration, quelques parties de dame et des soirées au piano".
Des exemplaires dédicacés des romans de Proust au Brésil
Finaly lui trouve une place au sein de la Banque française et italienne de l'Amérique
du Sud, à Recife (nord-est du Brésil). Proust se méfie d'un éventuel revirement de Rochat. Il écrit qu'il compte remettre ses ultimes subsides au capitaine du transatlantique, pour que celui-ci les transmette au Suisse une fois qu'il aura largué les amarres. Pas avant.
Des généalogistes suisses se sont lancés sur la trace de cet homme qui porte un nom extrêmement courant. "Pour l'instant on ne l'a pas identifié. On n'a pas non plus son portrait. Mais comme on sait qu'au Brésil il montrait des photos de lui avec Proust, elles pourraient ressortir un jour", selon Thierry Laget.
Alors qu'on l'a longtemps cru mort en Argentine, on a découvert récemment que c'était dans les environs de Parnaiba (nord-est du Brésil), d'où il disparaît en 1923. Rochat avait emmené jusque dans cette région tropicale des exemplaires dédicacés des romans de Proust, décédé en 1922.
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