Un an après : ce que l'affaire Matzneff a changé (ou pas) dans le regard du monde des lettres sur les violences sexuelles et leurs auteurs
L'affaire avait éclaté après la publication du livre "Le Consentement". Vanessa Springora y raconte la relation sous emprise avec l'écrivain de 36 ans son aîné, alors qu'elle était âgée de 14 ans, mettant en lumière le sujet des violences sexuelles envers les mineurs et la complaisance dont Gabriel Matzneff a bénéficié dans le milieu littéraire.
Un an après Le Consentement (Grasset), le livre de Vanessa Springora sur sa relation sous emprise avec l'écrivain Gabriel Matzneff, le monde des lettres a changé son regard sur les violences sexuelles et leurs auteurs, mais lentement.
Pendant plus de trois décennies, cette histoire et toutes les complaisances qui ont suivi étaient restées enfouies. Elles sont brutalement ressorties dans ce récit publié le 2 janvier 2020.
Gabriel Matzneff, prix Renaudot 2013, a été depuis privé de son allocation du Centre national du livre pour écrivains à faibles revenus, et renié par son éditeur Gallimard, qui a retiré de la vente ses ouvrages controversés.
L'écrivain âgé de 84 ans, qui n'a jamais caché avoir eu des relations avec de jeunes enfants, doit être jugé en septembre pour apologie de la pédophilie. Il reste visé par une enquête pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.
Christian Giudicelli, que Matzneff a décrit comme un touriste sexuel l'accompagnant à Manille afin d'y trouver de jeunes garçons, est, lui, toujours juré du Renaudot, aux côtés de cinq collègues déjà en place en 2013. Les livres de cet autre écrivain publié par Gallimard, âgé de 78 ans, restent en vente. Dans Les Spectres joyeux (2019), il qualifie Matzneff de "très fidèle complice".
Un autre Matzneff serait-il imaginable en 2021?
Peut-être, même si ce n'est pas sous la même forme, estiment des chercheuses qui se sont intéressées aux représentations des atteintes sexuelles dans la littérature.
"Le discours décomplexé de Matzneff sur la pédocriminalité n'est plus possible", d'après Anne-Claire Marpeau, agrégée de lettres. Cependant, "le questionnement est retombé, passé l'effet de surprise et de scandale. Dans l'enseignement de la littérature, je n'ai pas l'impression que l'affaire Matzneff ait changé grand-chose".
Hélène Merlin-Kajman, qui a publié en octobre La Littérature à l'heure de #metoo, rappelle que le tollé provoqué par la publication en 2002 de Rose bonbon, roman sur un pédophile écrit par Nicolas Jones-Gorlin, toujours chez Gallimard, n'avait amené personne à évoquer le cas Matzneff.
Or le romancier racontait à peu près la même chose, sous forme autobiographique. "Il suffisait de le lire", relève-t-elle, interrogée par l'AFP. "Oui, on assiste à un changement, où l'opinion publique donne entièrement raison à la victime. Mais j'ai le sentiment que le monde des lettres va bouger à la traîne du monde tout court. Ce n'est pas génial".
"Un problème spécifique à la France" ?
La critique et le public passent encore à côté de certaines choses. Dans le roman de Florent Marchet, Le Monde du vivant, paru en août mais terminé avant l'affaire Matzneff selon l'éditeur Stock, la protagoniste, une collégienne, est violée par un congénère. "Sans se soucier de la sécheresse des muqueuses, il force l'entrée de son sexe", raconte le narrateur, avant que l'adolescente ne signifie son refus d'un acte auquel elle n'avait en rien consenti.
Cette scène est passée inaperçue auprès des critiques littéraires. Ces derniers n'ont vu que le reste du roman, celui d'une entrée tendre dans la sexualité. Pour l'hebdomadaire catholique La Vie, il donne "la description des émois naissants du corps de Solène". Pour Le Figaro, l'adolescente "s'éveille aux mystères sensuels de la vie".
"Cela fait écho à ce qu'on trouve pour accompagner des textes littéraires mettant en scène des viols, comme Une vie de Maupassant par exemple, viols qu'on ne va jamais problématiser. En France, il y a un attachement très spécifique à la littérature, au livre, où toucher à ces textes, c'est aussi toucher à l'identité nationale, interroger les valeurs transmises par l'école. Et c'est peut-être un problème spécifique à la France", dit Anne-Claire Marpeau à l'AFP.
"Maintenant j'ai raison de dire viol"
L'une des romancières françaises les plus en vue, Annie Ernaux, s'était elle-même longtemps refusée à qualifier de viol sa première relation sexuelle à 18 ans, y compris quand elle l'a racontée dans Mémoire de fille en 2016. Elle n'a franchi ce pas qu'après l'affaire Matzneff, pour une série documentaire radio diffusée par France Culture début décembre.
"Vous avez raison, maintenant j'ai raison de dire viol (...) Je dois bien mettre un mot, pour mes contemporains, mes contemporaines de 2020. Et c'est ce mot-là", affirmait-elle.
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