"Tintin alias Robinet" : Jean Clémentin, journaliste du "Canard Enchaîné" et espion présumé à la solde de l'URSS, est mort
Quatre identités et une double vie. Le journaliste Jean Clémentin, ancienne grande plume du Canard Enchaîné, est "décédé le 5 janvier à 98 ans", a annoncé mercredi 18 janvier l'hebdomadaire satirique. Mais depuis l'année dernière, il était surtout célèbre pour son passé : il est accusé d'avoir été un espion à la solde des Soviétiques dans les années 1960.
Surnommé "Tintin" par ses collègues, "Jean Manan" pour les lecteurs du Canard et, puis, donc "Pipa", "Robinet" en tchèque, son nom de code pour les services secrets tchécoslovaques, a été au cœur d'une incroyable affaire d'espionnage. C'est en effet une onde de choc qui s'est abattue en 2022 sur l'hebdomadaire satirique, quand ce pilier de la rédaction dans les années 1970 - 1980 - avant de prendre sa retraite en 1989 pour se consacrer à l'écriture de romans - a fait l'objet de révélations à travers une enquête de L'Obs.
>> Un espion communiste au "Canard Enchaîné" !
"Cinq maîtresses"
En février 2022, Vincent Jauvert, journaliste à L'Obs, dévoile que Jean Clémentin aurait été un agent de l'Est quand il n'avait qu'une trentaine d'années. Pendant douze ans, il travaillait dans le plus grand secret pour le compte de la Tchécoslovaquie, alors contrôlée par l'URSS. L'enquête du magazine s'appuie sur un dossier de la StB, les renseignements tchécoslovaques, qu'un historien a retrouvé. Et celui-ci révèle de nombreux éléments : "Pipa" a remis au moins 300 notes au cours de 270 rencontres en France et à l'étranger. Il a aussi profité de sa situation de journaliste pour participer à des opérations de désinformation, en publiant dans le Canard Enchaîné des articles écrits par la police secrète de Prague. Tout cela, évidemment, en échange d'argent : quelque 23 600 francs, soit 40 000 euros aujourd'hui, durant les cinq premières années de cette collaboration, en plus d'une maison à Meudon, en proche banlieue de Paris. Jean Clémentin assure, alors, avoir de gros besoins financiers pour entretenir les "cinq maîtresses" qu'il revendiquait.
Car s'il a joué les espions, c'est avant tout par amour de l'argent et par conviction. Il était séduit par le bloc de l'Est : une conviction acquise lors de la guerre d'Indochine (1946-1954), qu'il avait couverte pour l'agence de presse américaine Associated Press. Il était indigné par les méthodes de l'armée coloniale française et s'était ensuite rapproché d'un membre de l'ambassade tchécoslovaque à Paris. La coopération aurait alors duré de 1957 à 1969. Pendant ce temps, Jean Clémentin poursuivait sa carrière de journaliste, à Combat, à Libération et au Canard Enchainé, où il était entré en 1960.
Et le roman d'espionnage prend alors forme : personne n'était au courant. En tout cas, le directeur actuel du Canard affirmait l'an dernier lors de la parution de l'enquête que non. Nicolas Brimo se disait même "sidéré". Toutefois, la direction de la surveillance du territoire, qu'on appelle aujourd'hui la Direction générale de la Sécurité intérieure, la célèbre DGSI, souffle avoir eu des doutes sur Jean Clémentin... mais qui n'a jamais été poursuivi, car il y avait prescription. Et qui n'a même jamais répondu publiquement à ces accusations, en raison d'une "santé chancelante", affirme le Canard Enchaîné. Et de conclure : "Fin de partie. Tchèques et mat !".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.