Alors que la nuit tombe sur Montreuil, des luminaires installés sur la structure métallique d’une usine désaffectée attirent les passants. "J’ai vu qu’il y avait des travaux depuis trois jours. Habituellement, c’est un peu mort ici", observe Lucille, intriguée. Sous les leds – situées à deux pas de la sortie Robespierre, ligne 9 - sont exposées de grandes images colorées. Certaines sont installées sur des palettes en bois, d’autres sur des cartons empilés."De l’extérieur, j’ai cru que c’était une exposition de peinture", raconte Maryline, qui serpente déjà dans les allées. Il lui a suffi d’une rapide discussion avec l’un des médiateurs de l’événement, Jean-Philippe Trigla, pour comprendre qu’il s’agissait là de l’exposition "Notre usine à Nous", créée par le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2021. L'exposition "Notre usine à Nous", au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. (Patricia Ide Beretti) Un tout relié par le Nous"Ce sont huit auteurs et huit univers différents. Tous se sont retrouvés autour de la notion du ‘Nous’", explique Jean-Philippe Trigla. Une thématique qui a guidé l’équipe du Salon dans son choix d’albums à exposer. "Nous voulions montrer plusieurs facettes du 'Nous', et la manière, chaque fois singulière, dont le collectif joue dans les histoires pour enfants", précise Sylvie Vassallo, à la tête du Salon, également commissaire de l’exposition. A sa demande, les auteurs ont eux-mêmes dû réfléchir à la façon dont le sujet résonnait dans leurs ouvrages."Il a fallu l’exposition pour que je me rende compte de l’évidence du ‘Nous’ dans mon livre", confie Marie Mirgaine, qui signe Dix de plus, dix de moins aux éditions Albin Michel Jeunesse. L’album raconte l’histoire de Mouche qui, après avoir découvert dix chiens abandonnés au pied de sa porte, décide de les recueillir. "Ce livre était une façon de rendre hommage à ma mère, une démarche très personnelle. J’étais intéressée par sa générosité, son ouverture aux autres, mais aussi son rapport à la nature et aux animaux. Je pense que c’est ce qui fait une sorte de 'Nous'."Dans l’ouvrage de Claire Garralon, Regarder les mouches voler (Ed. A pas de loups), cette notion est exploitée de manière totalement différente. L’autrice met en scène Jeanne, une anthropologue, qui décide de mener une enquête de satisfaction au sein de sa communauté, les primates. Une multitude de portraits de singes se succèdent, Joël, Béa, Mina, accompagnés d’un entretien où chacun répond à la question : qu’est-ce que le bonheur. "Le livre parle de l’autre. Quand Jeanne pose des questions aux singes, c’est comme si elle interrogeait le 'Nous'. Qui sommes-nous ? De quoi sommes-nous faits ?" Les illustrations tirées de l'album Regarder les mouches voler, aux éditions A pas de loups, de Claire Garralon. (Camille Bigot) Diversité des graphismesLes portraits dessinés de l’album ont été réalisés aux crayons de couleur et agrémentés de collages. Une technique différente de celle choisie par Marie Mirgaine dans son ouvrage. Elle utilise, pour sa part, du papier découpé, et son personnage s’apparente à un pantin dont les membres sont reliés par des attaches parisiennes. "A travers cette exposition, nous voulions aussi mettre en scène des graphismes différents. S’il y a un maître mot à retenir, c’est la diversité", précise Sylvie Vassallo. Les illustrations de l’album Le cauchemar du Thylacine (éd. La Partie) par Claudia Palmarucci, l’ont d'ailleurs particulièrement marquée. "Ce sont de véritables peintures. Sur le plan artistique, elles sont référencées à l’époque de la Renaissance et des Beaux-Arts", analyse la directrice du Salon.Cette dernière décortique également les autres albums de la sélection dans une série de vidéos, "La tête dans les images". Elles sont diffusées sur la Télé du salon, et disponibles en replay sur le site de l’événement. Le dispositif révèle la dimension pédagogique de l’exposition, via l’éducation à l’image. "Dans 'Solveig', l’ouvrage d’Edmond Baudoin et Mariette Nodet, la diversité des noirs est marquante, déclare-t-elle. Alors dans la vidéo, nous avons accolé trois dessins pour pouvoir les comparer. Le côté animé permet de comprendre des choses qu’on ne voit pas forcément dans une image fixe."Autre manière de révéler les détails des illustrations, les exposer en très grand. "Le livre est un objet relativement petit, commente Sylvie Vassallo. En agrandissant les images, on voit le trait, la matière, le coup de pinceau, et on comprend ce qu’est finalement le travail de l’illustrateur." Le lieu choisi pour l’exposition a aussi conditionné la taille des images. Les années précédentes, les albums étaient présentés au sous-sol du bâtiment accueillant le Salon. "Avec les contraintes d’aération imposées par la pandémie, c’était plus compliqué. Alors, on s’en est saisi et on a proposé un acte artistique différent, en extérieur." Les illustrations de l'album Les reflets d'Hariett, L'Agrume, de Maion Kadi. (Camille Bigot) Des cubes d'enfants Depuis quelques années déjà, la friche pleine d’herbes folles de cette ancienne usine de briqueterie faisait de l’œil à Sylvie Vassallo. "Nous avons appelé l’exposition, ‘Notre usine à Nous’, car en plus de questionner la construction du 'Nous', nous avons exploité la scénographie." Les cartons font référence à l’industrie, mais pas seulement : "une fois posés, nous nous sommes rendus compte qu’ils nous faisaient penser à des cubes avec lesquels les enfants jouent."Armelle, ingénieure en travaux publics, semble convaincue par la mise en scène : "les guirlandes lumineuses soulignent cette belle architecture". Elle était venue avec quelques idées en tête, avant de changer d’avis : "je voulais acheter le livre ‘Madame Autoritaire’ à ma petite fille de 3 ans et demi qui est très directive, détaille-t-elle. Finalement en passant devant les illustrations de Lisen Adbage, tirées de l’album 'Ceux qui décident', je me suis dit que j’allais plutôt prendre ça." L'exposition Notre usine à Nous, à l'entrée du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, à la nuit tombée. (Camille Bigot)